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La Ville de Paris laisse ses églises à l’abandon


La Ville de Paris laisse ses églises à l’abandon
La chapelle des Saints-Anges, à l'église Saint-Sulpice de Paris, et sa peinture murale d’Eugène Delacroix, La Lutte de Jacob avec l'Ange (1861). Crédit photo : Artedia/Leemage

Le patrimoine religieux de la capitale est l’un des plus riches du monde. Mais ceux qui en ont la charge le négligent tellement qu’il est désormais en péril, dans l’indifférence générale.


Planches de bois, filets, tôles ondulées : on ne parle pas de bidonvilles mais de certaines églises de Paris. Au rythme où vont les choses, la fille aînée de l’Église n’héritera que de quelques tas de pierres. Sa capitale du moins, tant celle-ci peine à assumer son passé cultuel et artistique. Depuis dix-sept ans, nos édiles laissent nos églises pourrir lentement et de façon parfois irrémédiable. Ces monuments, essentiels à la vie et à l’histoire de Paris, sont maintenus dans un état de survie artificielle qui ne pourra durer bien longtemps : édifices fermés au public, colonnes et frontons étayés, clochers condamnés et autres camouflages de protection ne font que pallier l’absence de travaux. Ce sont des chantiers Potemkine.

Nos églises tombent en morceaux

Certes des efforts sont parfois faits, et bien faits – les restaurateurs de la Ville faisant un excellent travail –, mais ils ne se concentrent que sur les façades. Pourquoi ? Parce qu’elles tombent ! À Saint-Paul-Saint-Louis, en 2008, un bloc de 15 kilos n’est pas passé loin de quelqu’un… et une catastrophe identique fut évitée à Saint-Augustin. On redonne à l’ensemble de ces édifices l’éclat de leur beauté originelle mais uniquement vu de la rue, pour la carte postale, pour les touristes des bus Paris-Vision, car à l’intérieur, l’état de délabrement est dramatique. C’est l’inconvénient de la peinture : elle ne tue personne en tombant. La Ville peut donc y être indifférente.

Les églises parisiennes devraient pourtant être une priorité de la municipalité. Elles constituent en effet le plus grand musée de peinture française du XIXe siècle. Un musée qui disparaît peu à peu sous nos yeux. Didier Rykner, directeur de La Tribune de l’Art, tire la sonnette d’alarme depuis longtemps en publiant sur son site les photos de ces fresques en décomposition. Pour lui, « cette indifférence totale au patrimoine mène dans certains cas à des points de non-retour. À Notre-Dame-de-Lorette et à Saint-Eustache, deux chapelles ont disparu ces dernières années. À Saint-Merri, celle peinte par Chassériau était encore dans un état correct il y a trois ou quatre ans mais aujourd’hui elle tombe en morceaux, et celle d’Amaury Duval est en très mauvais état. Plus on attend, plus ce sera cher à restaurer et moins il y aura de matière originale », déplore-t-il. À Notre-Dame-de-Lorette encore, qui a l’un des décors les plus riches de Paris (tous les peintres majeurs des années 1820 à 1850 environ y ont contribué), seule une chapelle a été restaurée, mais grâce au mécénat du World Monuments Fund, et le chœur de Saint-Germain-des-Prés a été sauvé grâce aux deniers des fidèles.

« Paris est une ville du tiers-monde pour le patrimoine »

Le problème, c’est que, depuis 1905, la Ville de Paris est propriétaire de 80 % des églises, le reste appartenant au diocèse. Ce sont en effet les édifices de la ville, 96 au total et les plus prestigieux, qui sont le plus souvent à l’abandon quand ils ne sont pas purement et simplement fermés. C’est le cas de la chapelle de la Sorbonne, chef-d’œuvre de Lemercier où se trouve le tombeau de Richelieu sculpté par Coysevox. Son délabrement est si avancé que l’accès est interdit pour raison « de sécurité ». Verrait-on cela à Cambridge ou à Oxford ? s’interroge Olivier de Rohan-Chabot, président de la Sauvegarde de l’Art Français.

Déconcerté par le déni de réalité de la municipalité, Didier Rykner raconte qu’« ils ne se défendent même pas » lorsqu’on leur prouve que le budget consacré à la restauration de ce patrimoine est en deçà des besoins ! « Les mandatures Delanoë et Hidalgo se contentent du “plan églises” lancé dans les années 1990 pour permettre la restauration de nombre d’entre elles, mais c’était au xxe siècle, explique-t-il. Depuis, le budget oscille entre 10 et 12 millions par an, alors qu’il faudrait, au bas mot, trois fois plus. On ne peut que restaurer de petites parties, la façade de Saint-Augustin, une chapelle à la Madeleine ou la toiture de Saint-Philippe-du-Roule qui devrait être refaite d’ici un an ou deux alors que des échafaudages ont été posés il y a six ans pour empêcher qu’il pleuve à l’intérieur ! Il n’y a aucun plan concerté pour établir les priorités, faire le point sur les restaurations urgentes. L’un des meilleurs exemples est la chapelle des Saints-Anges, de Delacroix, à Saint-Sulpice. Elle a été restaurée parce que c’est Delacroix mais ce n’était pas urgent. Dans le même temps, d’autres chapelles de cette église ont leurs peintures murales qui tombent littéralement en morceaux. Cette situation est catastrophique sur le long terme. Paris est une ville malade de son patrimoine. C’est une ville du tiers-monde pour le patrimoine. » Olivier de Rohan-Chabot est tout aussi furieux : « Il s’agit de lâcheté morale et politique puisque nous parlons ici d’un patrimoine d’une richesse inouïe, d’un patrimoine cultuel, culturel, artistique et historique que nous laissons littéralement moisir. Cela prouve que nos dirigeants ont une vision à très court terme de nos intérêts, le tourisme étant une manne essentielle pour notre pays. Ils ne se soucient pas de notre “capital”. De plus, ces monuments sont le bien de tous, ils font partie des rares choses dont pauvres et riches peuvent jouir de la même façon. Ce mépris de notre héritage finira par priver les pauvres de beauté, cette richesse accessible à tous…»

La chapelle de la Sorbonne, où se trouve le tombeau de Richelieu sculpté par Coysevox, est si délabrée que son accès est interdit pour raison « de sécurité »

Cet abandon est d’autant plus incompréhensible que le premier monument visité de France est Notre-Dame de Paris. 13 millions de personnes s’y pressent chaque année et on peut parier qu’une grande partie d’entre elles seraient curieuses de découvrir les autres églises de la capitale. Mais il n’y a aucun « parcours » pour cela, à la différence de ce qui existe à Rome avec un succès indéniable. Le désintérêt de Paris et de ses élus envers ce patrimoine historico-cultuel est tel – à moins qu’il s’agisse de haine ou de dégoût ? – que la Ville et l’État font actuellement directement appel au mécénat américain pour entretenir le monument le plus visité de notre pays. Dès qu’il est question de nos églises autrement que pour les transformer en mosquées ou en centres sociaux, la ligne officielle consiste à se boucher le nez et à détourner les yeux. Ce n’est pas à la gloire de notre République laïque.

Été 2017 - #48

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste. Dernière publication "Vivre en ville" (Les éditions du Cerf, 2023)

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