Accueil Politique Prolo, facho, la gauche aura ta peau!

Prolo, facho, la gauche aura ta peau!


photo : Flickr

Cochon de prolo ! Même pas capable de comprendre que son salut passe par la gauche, petite, grande, réformiste, radicale, mais la sainte Gauche, merde ! Ce rejeton sans-cœur oublie cette génitrice possessive qu’il a reléguée dans sa maison de retraite, rue de Solferino. Salaud de pauvre ! Un ignare, un ingrat éthylique qui se jette dans les bras de la première aventurière blondasse venue. Qu’on le déshérite, ce gougnafier aux mauvaises manières !

Si, encore, il s’était choisi une mère de substitution aux couleurs du Front de gauche, une généreuse pasionaria qui réconcilierait socialisme et République, justice sociale et bonnet phrygien ? Que nenni ! Mélenchon a beau promener sa gouaille sympathique et talentueuse sur les plateaux de télé, ce n’est pas lui qui ramènera la voix du prolo déboussolé.[access capability= »lire_inedits »]

Il faut dire que ce n’est pas la première fois. L’ignominie, le prolo a ça dans le sang. Ne revenons pas sur la délicieuse quinzaine « antifasciste » de 2002 avec ses cortèges de Jean Moulin en culottes courtes : la messe a déjà été dite. En 2005, cet indécrottable enraciné, esprit grégaire et limité n’a-t-il pas flingué le beau Traité constitutionnel de l’Union européenne qui allait permettre de dépasser les vieux États-nations périmés pour instaurer une démocratie hors-sol, tellement plus moderne ? Le Parti des médias l’avait pourtant bien exhorté à dire « oui » : à plus d’Europe, plus de beauté multiculturelle, plus de « droits à ». Mais, incapable de s’élever au-delà de ses vulgaires considérations nationales et sociales, il a jeté avec rage le joli Meccano élaboré par des éminences compétentes. C’est que le prolo bougon ne sait que dire « non ».

Sarko ou le retour de la « common decency »

Il faut croire qu’il a la culture du poignard dans le dos chevillée au corps. En 2007, voilà que, telle une midinette prompte à s’enflammer pour le premier néo-conservateur à passeport français venu, il se laisse séduire par la geste de Nicolas Sarkozy et le verbe inspiré d’un Henri Guaino. Il y croit, ce con, à ces diatribes enfiévrées sur le « retour à la valeur-travail », au recommencement du roman national, à la rupture avec les notabilités impotentes et chabroliennes de la gauche et de la droite bourgeoises. Il y retrouve les accents de la common decency chère à George Orwell, cette vieille morale issue de la tradition ouvrière fondée sur une certaine idée de la dignité de classe, méthodiquement disqualifiée par l’idéologie soixante-huitarde au profit de la nouvelle idéologie triomphante des droits de la personne et des communautés. Le tournant de 1983 et la désindustrialisation du pays, assumée sinon voulue au nom de l’avenir radieux européen, la volatilisation inexorable du Parti communiste et, pour finir, l’effondrement du bloc soviétique, poursuivent la destruction de cette ancienne culture où la chaleur de l’appartenance se mêlait à l’espoir partagé d’un monde meilleur. Avec la montée concomitante des communautarismes et de l’individualisme, notre prolo, veuf et incompris, est rejeté à la périphérie des villes, puis à celle des banlieues, en même temps qu’il est effacé du récit collectif comme les ennemis de la Révolution étaient effacés des photos. Dans une époque qui encense les icônes de la diversité, de la mobilité et de la performance, le prolo fait tache. S’il est en quête de justice, il ne dédaigne nullement l’autorité, contrairement aux élites moyennes et grandes qui ont décidé depuis belle lurette de jouir sans entrave et de s’émanciper des dieux et des maîtres. Bref, il est du côté du Père quand la gauche s’adonne aux rêveries d’une Big Mother qui câlinerait le corps social, sans jamais s’en prendre aux désordres d’une globalisation dont elle a d’ailleurs hâté l’avènement.

Disons-le clairement : ce beauf à l’esprit étroit est devenu « réactionnaire ». La preuve, c’est que, quand Sarkozy brocardait la bien-pensance, s’attaquait à l’idéologie libérale/libertaire et aux rebelles nantis qui en étaient les zélés propagandistes, le prolo a dit « banco » !

D’accord, il s’est peut-être fait avoir comme un bleu de travail. Il faut bien admettre que les appels à la moralisation du capitalisme n’ont pas eu raison de la gloutonnerie du CAC 40 et que le Mur de l’argent n’est point tombé ! Du coup, le prolo boude Sarko. On ne peut pas le lui reprocher.

Ceux qui en concluent qu’il va revenir au bercail et prendre part, enfin, aux saintes luttes contre les discriminations ou pour la régularisation immédiate de tous les sans-papiers se fourrent le doigt de l’œil. Non seulement le prolo sarko-dépité refuse de jouer du violon au bal des égos socialistes mais, décidément rétif à l’excitation produite par le tourbillon d’un marché ouvert à tous les vents – que cette petite nature trouve anxiogène−, il proclame un insupportable attachement à son petit coin de planète. Il faut croire que le prolétariat, contrairement au vieil adage internationaliste, n’est pas sans frontières. Impossible également de lui faire entendre que l’immigration massive est une chance pour la France. Il est vrai que, vautré dans sa médiocrité matérialiste, il voit surtout qu’elle n’est pas une bonne nouvelle pour son salaire et sa protection sociale.

Sarko peut-il reconquérir le prolo – ce qui revient à demander s’il peut revenir, et pas seulement par le verbe, aux promesses de 2007 ? Passés maître dans l’art du double langage, les socialistes n’ont eu de cesse de faire du Président l’incarnation de la « dérive libérale ». Quels que soient les reproches légitimes que l’on peut adresser au chef de l’État, il aura été plus étatiste et interventionniste que la gauche quand elle était aux affaires.

Dans le feu de ce qui demeurera dans les manuels d’économie comme la Grande crise du XXIe siècle, il se sera montré capable de fouler aux pieds les saints dogmes de l’Union européenne là où l’on peut gager que les dirigeants socialistes se seraient restés confits en dévotion. S’il avait le courage d’affronter l’ire bruxelloise ou teutonne pour revenir à une République fondée sur la règle et la souveraineté, il pourrait sans doute inverser une tendance que les commentateurs de la chose sondagière présentent comme une vérité révélée. Bref, le président sortant peut encore s’en sortir s’il renvoie la meute des conformistes de son camp à leurs vieilles lunes.

On me dira que ces considérations nous éloignent de notre prolo. Au contraire, la question sociale et la crise de la zone euro et le prolo sont totalement indissociables. Qu’un État de la zone décide de faire défaut et l’implosion de la monnaie unique (et des institutions qui lui sont liées) ne relèvera plus de l’incantation souverainiste. DSK et ses concurrents apparaîtront alors pour ce qu’ils sont : les tenants les plus intransigeants d’une mondialisation destructrice.

Marine Le Pen l’a compris : la crise de la globalisation sera le grand enjeu de la présidentielle de 2012. Certes, il existe à gauche des esprits fins qui refusent de se complaire dans le déni et se démarquent de cette « prolophobie » dans laquelle Christopher Lasch voyait la marque de La Révolte des élites − contre le peuple. Mais entre la gauche et le peuple, le divorce est consommé. Et ce n’est pas la gauche dite « radicale », n’en déplaise à mon ami Jérôme Leroy, qui va ramasser la mise. Certes, elle prétend règlementer le capital financier mais, en même temps, elle refuse, au nom de l’amour du prochain, de maîtriser les flux migratoires ou de châtier la racaille érigée en victime.

Il est temps, cher Jérôme, de s’affranchir des grilles de lectures marxisantes et convenues consistant à expliquer la « droitisation » de l’électorat populaire par un déficit de « conscience de classe ». Confronté au même « aveuglement » du prolétariat, Lénine avait forgé le concept du Parti-guide qui allait se transformer en Parti-État, faisant advenir une tyrannie moderne dont personne, surtout pas toi, cher Jérôme, ne peut regretter la disparition.

En attendant, Marine Le Pen est devenue la diva des ouvriers – et des chômeurs. Amour durable ou une simple passade, il est trop tôt pour le dire. Certes, elle a su intelligemment chanter les louanges de l’État fort et interventionniste, qu’il s’agisse de restaurer la paix publique ou de faire prévaloir le principe d’égalité, thématiques plutôt inédites pour le Front. Reste à savoir si la formation protestataire qu’elle dirige est capable de la suivre dans cette révolution culturelle. Les jeux sont loin d’être faits. Pour les prolos comme pour la France.[/access]

Mai 2011 · N°35

Article extrait du Magazine Causeur



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Intermittent de la gouvernance, Gérard Delahaye aime les mots, les idées, les sons, les bars. Il dispose encore de quelques brefs moments d'une lucidité précaire qu'il souhaite faire partager.

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