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Des plombiers polonais ? Oh oui !


photo : eyesore9 (Flicker)

« Nous sommes prêts à embaucher tout travailleur qualifié, même parmi ceux qui ne parlent pas l’allemand. Il nous faut également n’importe quelle quantité d’infirmières et plus on en trouvera, mieux ce sera ! » Cette petite phrase a été prononcée, début avril, par un responsable de l’entreprise allemande de ressources humaines Personal Service, dans la ville frontalière de Nysa, en Silésie, où se tenait la Foire internationale du travail. L’événement a attiré près de 3 000 visiteurs, Polonais en recherche d’emploi ou employeurs allemands en manque désespéré de main-d’oeuvre. Plus de 1 000 personnes recrutées à Nysa travaillent déjà, en toute légalité, de l’autre côté de la frontière. Car depuis le 1er mai, les marchés du travail de l’Allemagne, de l’Autriche et de la Suisse sont ouverts aux ressortissants des dix pays intégrés le plus
récemment à l’Union européenne[1. Contrairement aux autres pays de l’Union, l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse − qui honore la majorité des directives européennes bien qu’elle ne soit pas de la famille − ont appliqué la période de transition maximale de sept ans avant de permettre aux Polonais, Tchèques ou Hongrois de cueillir des fraises en Basse-Rhénanie ou de soigner les dents des Berlinois]. Lors de l’élargissement, en mai 2004, seules la Grande-Bretagne, l’Irlande et la Suède n’ont posé aucune restriction à l’emploi des nouveaux venus. À ce stade, il est encore difficile d’apprécier les conséquences de ce choix.[access capability= »lire_inedits »]

L’immigration, une chance pour l’Europe ?

Si le borough (district) de Westminster a dû recourir au service de quelques interprètes et mobiliser des policiers supplémentaires de la Metropolitan Force pour maîtriser les gangs de SDF polonais, le ministère britannique de l’Intérieur évalue à environ 15 % la contribution des immigrés est-européens, dont près de 2 millions de travailleurs polonais, à la croissance économique du pays – ce qui, pour la période 2004-2009, correspond à la contribution nette du pays au budget européen. Ni plus ni moins. À en croire le National Institute of Economic and Social Research, « si les Allemands avaient ouvert leur marché du travail au même moment que les Britanniques, leur PIB aurait pu augmenter de 0,5 % ». Bien sûr, cela ne prouve nullement que l’ouverture tardive du marché allemand aura des effets comparables.

En théorie, quelque 50 millions d’Européens de l’Est sont désormais autorisés à postuler à n’importe quel poste en Allemagne mais, selon l’Institut allemand du marché du travail de Nuremberg, on nais ? Oh oui ! On devrait enregistrer 140 000 candidatures par an. Pour sa part, Krystyna Iglicka, experte polonaise en immigration, avance le chiffre de 1 million, estimant qu’une grande partie des 400 000 clandestins travaillant comme saisonniers devraient profiter des nouvelles dispositions pour s’établir définitivement de l’autre côté de la frontière Oder-Neisse.

Alors que l’économie allemande semble recouvrer la santé et que l’OCDE anticipe un écart de 25 % entre entrants et sortants sur le marché du travail, ces prévisions ne suscitent pas d’inquiétude, même chez les adversaires les plus résolus de l’immigration, comme le chef de la CSU bavaroise Horst Seehofer. Avec une croissance annoncée de 3,4 % pour l’année 2011, les entrepreneurs allemands multiplient les appels au secours pour recruter du personnel qualifié. Ainsi, la toute-puissante Association fédérale pour la technologie de l’information, des télécommunications et des nouveaux médias estime que 28 000 postes, dans le domaine du hightech, resteraient désespérément vacants.

L’ennui, c’est qu’on ne résoudra pas ce problème en faisant appel aux chômeurs de longue durée, comme l’a proposé Angela Merkel en réponse à la demande de Horst Seehofer de stopper net l’immigration venant de « cultures étrangères ». Après les houleux débats sur le « multikulti », nombre d’hommes politiques allemands sont favorables à une « préférence européenne » qui ne dit pas son nom. Dans Der Spiegel, Krystyna Iglicka appelle un chat un chat : « Les Polonais et les ressortissants du reste des pays de l’Europe de l’Est peuvent s’assimiler beaucoup plus facilement que les immigrés des autres groupes ethniques. Après tout, ils ont des origines chrétiennes et ne suscitent pas autant d’appréhension que, disons, les Africains ou les Pakistanais. »

Bataille globale pour la main d’oeuvre

Seulement voilà : une partie des Polonais hautement qualifiés n’a pas attendu le bon plaisir allemand pour s’exiler en Irlande ou en Grande-Bretagne. Or, les démographes estiment que, pour maintenir sa croissance à un niveau de 2 à 3 %, l’Allemagne va avoir besoin de 300 000 travailleurs étrangers par an. Si l’on met de côté leurs origines chrétiennes et leurs valises en carton, avec quel bagage les nouveaux immigrés polonais arriveront-ils en Allemagne ? D’après les chercheurs de l’Institut des affaires publiques de Varsovie, les Allemands doivent s’attendre à accueillir deux genres de Polonais : les premiers, ouvriers spécialisés dans le bâtiment, la plomberie, la maçonnerie ou la rénovation ne parleront pas l’allemand et connaîtront donc des difficultés d’adaptation aux conditions de travail et de vie locales, ce qui ne devrait pas contribuer à faire reculer le stéréotype, largement répandu outre-Rhin, de la « polnische Wirtschaft »[2. En allemand, expression qui signifie « économie polonaise »] ; le second groupe sera composé d’étudiants en fin de parcours universitaire et de diplômés de fraîche date. En l’absence de réelles perspectives d’avenir en Pologne, 60 % de ces jeunes gens éduqués, ambitieux et polyglottes se déclarent fermement décidés à s’établir à l’étranger. De quoi rassurer les patrons de Siemens ou de Deutsche Telekom et désespérer les dirigeants de l’économie polonaise.

Le maire de Nysa cache mal son embarras face au succès incontestable de la Foire internationale du travail organisée dans sa ville : « C’est bien qu’ils trouvent enfin le travail qui correspond à leurs qualifications. Mais que se passera-t-il si tous nos jeunes éduqués partent ailleurs ? 30 % de nos chômeurs ont moins de 25 ans ! » Pour autant, la panique n’est pas de mise. Mieux vaut la Pologne à ce que certains spécialistes
appellent la « bataille globale pour la maind’oeuvre ». L’Université de Wroclaw a ainsi ouvert ses portes à 500 étudiants ukrainiens, biélorusses et moldaves. « Nous devrions dès à présent penser à comment les retenir en Pologne une fois leur diplôme en poche ! », prévient, tout à fait sérieusement, Krystyna Iglicka. Faute de trouver les solutions pour retenir les Ukrainiens, il sera toujours temps de faire appel aux Chinois, même s’ils ne peuvent se targuer d’avoir des racines chrétiennes.[/access]

Juin 2011 . N°36

Article extrait du Magazine Causeur



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Paulina Dalmayer est journaliste et travaille dans l'édition.

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