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Pourquoi les anges volent-ils?

"VOUS ICI, Monsieur le Conseiller d’Etat ! Quelle surprise !" de Romée de Bellescize, et "Drôle de justice" de Jean-Marie Rouart


Pourquoi les anges volent-ils?
D.R

Il avait des lettres, mais n’était pas un homme de lettres, enclin qu’il était plutôt, en prévision d’un prochain petit creux, à fourrer des petits fours dans ses poches lors de cocktails qui, pour être mondains, n’étaient en fait point de son monde.

Sa vie, il nous la relata au travers de divers récits tous aussi foutraques qu’endiablés, et toujours vernis à l’acide encaustique comme dirait ma concierge, à l’enseigne de ses différents postes : Vacances en Indo, Vacances à Saint-Tropez, Vacances au Tchad, enfin (de carrière), Vacances au Conseil d’Etat. Par son épouse avait-il ses entrées dans la famille gaulliste, lui-même se classant plutôt parmi les gaulliens critiques. À un moment, s’estimant suffisamment rompu à gratter des arrêts et histoire de se changer les idées (à défaut de pouvoir, on n’a pas dit influencer mais influer sur celles de ses collègues), et alors que la France cherchait à se doter d’un nouveau Haut-Commissaire en Nouvelle-Calédonie, il candidata auprès de Dominique de Vilpin, lequel, à défaut d’idées, lui aurait bien fait changer d’air, si le sien d’air, en l’occurrence, – et en toutes les autres que peut bien rencontrer dans sa carrière un haut magistrat de l’ordre administratif -, n’avait été si original.

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En l’espèce, nous retrouvons (feu) notre conseiller d’État, plus sans horaires qu’honoraire, dans la peau du ci-devant Romain de Cherchemidi, en goguette dans un genre Club Med, entouré d’une cour gouailleuse : une Josiane, genre cagole de Marseille sous les traits d’une piquante beurette multifonctionnelle, comme on ne dit plus, une Juliette, sous-préfète de Condom-sur-Baïse, dans le Gers. En arrière-plan (cul ou platonique), comme il se doit, on retrouve au téléphone (portable) la Comtesse, née Diane de Bonneval, alias Théodrade Bichette de Bonménage, Gros Lapin, le bon ami comme on ne dit toujours plus de Josiane, et Monsieur Pichegru, époux légitime de la sous-préfète.

Seules les mauvaises langues et les mauvais critiques soutiendront que cette littérature-là ne mange pas de pain. Au contraire, pour qui sait la lire, a-t-elle la consistance, le moelleux et la drôlerie roborative de la vraie vie délicatement pince-sans-rire.


Dans la même veine (parfois de sang bleu) s’inscrit le dernier opus en date du Petit théâtre de Rouart qu’il nous est donné, quoique différemment, d’apprécier tout autant que le grand.

Ici, sans l’écrire, je dis je. Voici les clefs, opératives diraient certains, qui, à l’unisson du rythme d’un Labiche, d’un Courteline ou, à un moindre degré, de Roger Vitrac, permettent de renvoyer à l’Histoire ou à l’actualité certains personnages. Le Président, c’est ce président de chambre de cour d’appel, du genre grand bourgeois, pas mauvais dans le fond, mais prêt à presque tout pour être promu. On a compris que toute la nuance, ou toute la comédie, ou toute la tragédie, comme vous voudrez (ou, plutôt, comme le voudra le fatum des dieux qui sont en l’espèce l’auteur même) tient dans ce « presque », oscillant entre les termes de ce triptyque qui a nom « mission, compromission, corruption », le tout sous les auspices de l’ambition. Ce personnage, nombre d’entre nous l’ont croisé ou y ont eu affaire. Eugénie, l’épouse du Président, revêt bien des traits de la mère de l’auteur, ce dernier nous écrivant qu’elle « est bonté même » ; c’est là en effet sa signature, et nous la laissons donc sans jugement moral aucun gentiment s’encanailler avec Roman Popovitch, l’immigré de service, « vingt-cinq ans, très beau, SDF yougoslave [yougoslave ? Et pourquoi donc, si ce n’est pas inconsciente réminiscence du Delon de l’affaire Markovic] », bien-nommé homme à tout faire de la maison qui « se lave en plein vent au robinet de la cour. » Chez Pierre, il y a du Rouart au même âge (25 ans), quelqu’un, comme on dit, qui se cherche, et son contraire aussi : une passion pour l’ébénisterie, activité à laquelle Augustin Rouart voulut un temps que son fils se consacra. Virginie, la fille de la maison, a, comme de coutume, fait « peu d’études » et ne connaît que peu de centres d’intérêt. À l’image des jeunes filles de son temps, elle ne voit pas où le mal, pour ne pas dire qu’elle ne voit pas grand-chose.

Après avoir lu ces deux pièces, on songe à ce mot qu’on devrait graver au fronton de tous les cimetières, de tous les théâtres, et qu’aimait à citer Jean d’Ormesson : Pourquoi les anges volent-ils ? Parce qu’ils se prennent eux-mêmes à la légère.


Romée de Bellescize, VOUS ICI, Monsieur le Conseiller d’Etat ! Quelle surprise ! – Pièce en treize actes et en prose – Anne Rideau éditions, 178 pages.

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Jean-Marie Rouart, Drôle de justice, – Pièce en trois actesAlbin Michel, 178 pages.

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