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Gaza : l’UE paie des fonctionnaires pour qu’ils ne fassent rien

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Il fut un temps, hélas définitivement révolu, où quelques grands journaux, comme France Soir, étaient tellement riches qu’ils pouvaient se permettre de recruter des « plumes » à prix d’or sans exiger d’elles d’écrire le moindre article. C’est ainsi que son directeur, Pierre Lazareff, engagea, entre autres, Françoise Sagan, à seule fin de l’empêcher de mettre son talent et sa notoriété au service de la concurrence.

Ce modèle économique n’est pas complètement mort : un rapport de la Cour des comptes de l’Union européenne pointe le fait que l’Autorité palestinienne continue de verser, depuis 2007, les salaires de plusieurs dizaines de milliers de fonctionnaires de Gaza, affiliés au Fatah, à condition qu’ils ne se mettent pas au service du Hamas, qui a pris le pouvoir dans ce territoire. Bruxelles verse annuellement une somme de 1 milliard d’euros à l’AP et assure à hauteur de 20% le paiement des salaires de ses fonctionnaires. Alors que le rapporteur de la Cour des comptes, le suédois Hans Gustaf Wessberg, estime que l’argent de l’UE serait mieux employé dans d’autres projets, notamment en Cisjordanie, le porte-parole de la Commission, Peter Stano, défend ce système : «  Si l’Autorité palestinienne cesse de les payer, qui pourra assurer leur subsistance et celle de leurs familles ? » affirme-t-il «  Sans revenus, ils risquent de se tourner vers des extrémistes avec lesquels nous n’avons aucun contact ». Pierre Lazareff, dit « Pierrot-les-bretelles » doit, là où il se trouve, suçoter dubitativement le tuyau de son éternelle bouffarde en se voyant doté d’une telle postérité…

 

Libye, Mali, Centrafrique : peut-on se battre sur tous les fronts ?

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armee mali centrafrique

La France est une puissance militaire devenue championne dans l’art de faire les choses à moitié. Alors que 2800 soldats poursuivent l’opération Serval et doivent déjouer quotidiennement des tentatives d’attentats perpétrées par des groupuscules favorables à la scission du Mali, la France se lance dans l’opération Sangaris en Centrafrique pour éviter un nouveau Rwanda.

Et pourtant, un autre front reste en suspens. Après les interventions conjointes de la France et de ses alliés de l’OTAN, la situation n’est toujours pas réglée en Libye. Si le bourbier malien se poursuit, c’est en partie parce que l’Etat libyen est un état fantôme qui ne contrôle plus ses frontières. Trafics d’armes, de drogues et de clandestins, le Sahel est la proie de bandes armées qui agissent en toute impunité. La déshérence du nouveau gouvernement favorise la porosité des frontières et la circulation d’un pays à l’autre des combattants islamistes. Mais la politique française actuelle aime les bourbiers. Non contente d’ouvrir un deuxième front en Centrafrique, elle pense pouvoir pacifier le Mali sans une intervention en Libye. De ce fait, elle essaie de combler un puits sans fond.

À vrai dire, les armées françaises déployées sur de multiples théâtres d’opération sont au four et au moulin. Elles agissent contre des milices islamistes pour sécuriser l’Europe en amont avec les deniers de la France et sans participation financière des alliés européens. Chasser Kadhafi du pouvoir relevait du vœu pieu officiel d’amener la démocratie en Libye. On sait ce qu’il en est aujourd’hui.

Les anciennes rivalités entre tribus que le dictateur avait réussi à contrôler se sont réveillées. C’est désormais la voix des armes qui prévaut et non celles des politiques. Sans armée nationale solide, l’Etat fantôme ne peut faire face. Malgré la promesse des Américains de former 8000 soldats libyens, une guerre civile à peine larvée menace le pays. Pis, le groupe radical Ansar Al-Sharia s’est implanté durablement à Syrte et à Benghazi et apporte un soutien logistique essentiel aux combattants jihadistes qui harcèlent les troupes françaises.

Le récent assassinat d’un enseignant américain, ainsi que la fermeture d’un dispensaire tenue par des sœurs qui soignaient gratuitement des personnes de toute confession, donnent une idée du climat dans lequel la Libye sombre. Désormais, les miliciens adverses s’entretuent pour asseoir leur domination sur des territoires. Par conséquent, cette insécurité permanente ne permet plus l’exploitation des ressources pétrolifères du pays. Ainsi, la production d’or noir, tombée à un niveau historiquement bas, affaiblit un peu plus le pouvoir central. Et, les tribus et milices se déchirent pour savoir hypothétiquement qui profitera de l’argent du pétrole.

A priori, on doute qu’il sera redistribué aux civils terrés chez eux. La Libye divisée inquiète les instances internationales. Le 9 décembre, l’un des ordres du jour au Conseil de Sécurité de l’ONU concernait toujours la situation du pays. En effet, le 28 novembre dernier, après une demande du secrétaire général Ban Ki-Moon, les Nations Unies ont voté l’envoi de 235 hommes. Cette force, la MANUL, est censée protéger le personnel onusien ainsi que les bâtiments officiels. En outre, si la situation se détériore encore, l’on s’interroge de plus en plus sur l’éventualité d’une deuxième intervention de l’OTAN. Mais, les atermoiements persistent.

Pendant ce temps, héroïquement, les troupes françaises font leur devoir sur plusieurs fronts en Afrique et l’Etat français dédaigne celui qu’il aurait fallu rouvrir en priorité. Malgré les sollicitations croissantes des Armées à l’extérieur, le livre blanc prévoit la suppression de 24000 postes en 2013. Ni au Mali, ni en Centrafrique, la durée de la mission n’est connue. La France a des ambitions sur la scène internationale mais les budgets et le personnel destinés à les soutenir diminuent. Vaille que vaille, il n’en reste pas moins que c’est seule qu’elle se retrouve dans des zones que l’on sait d’emblée impossible à sécuriser rapidement. Bravement, la France maintient encore l’illusion de son rang mais pour combien de temps ?

*Photo : NELSON RICHARD/SIRPA/SIPA. 00650820_000010.

Putes : de la théorie à la pratique

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putes chinoises paris

Ce n’est pas tout d’être l’un des 343 « salauds » qui a signé le manifeste  « Touche pas à ma pute » publié par Causeur. Encore faut-il passer de la théorie à la pratique. Ce que je me suis empressé de faire. J’ai choisi le domaine  que je connais le mieux : l’Asie. Et je me suis mis en quête, par le biais d’Internet, d’escort-girls japonaises ou coréennes. L’offre est quasiment illimitée, mais le plus souvent trompeuse (je l’ai appris à mes dépens).[access capability= »lire_inedits »]

Le marché est dominé par les Chinoises. Et, comme dans la restauration, si vous voulez trouver un vrai restaurant japonais, il vous faudra une persévérance à toute épreuve. Mais, après tout, pourquoi pas une pauvre Chinoise, surtout si les photos sont alléchantes ?

Je me suis donc retrouvé à trois reprises dans des studios des 6e et 14e arrondissements avec des partenaires dont les prix oscillaient entre 150 et 300 euros.

Les jeunes femmes, la trentaine environ, ne correspondaient en rien à l’image qu’elles voulaient donner d’elles-mêmes sur les sites pornos. Je m’y attendais, la naïveté n’étant pas mon principal défaut. En revanche, je ne m’attendais pas à des rencontres aussi pauvres dans l’échange et aussi techniques. À chaque reprise, j’ai eu l’impression d’être traité comme un porc dans une porcherie industrielle. Certes, j’ai bandé (je salue leur technique), mais dans une ambiance totalement déshumanisée. Pour l’affection, on repassera. Pour la douceur aussi. Aucune ne m’a autorisé à la filmer… même en doublant ou triplant les prix.

Sont-elles vraiment indépendantes, comme elles le prétendent? J’en doute fort, car leur connaissance du français ou de l’anglais est quasi nulle.

Celles qui se font passer pour des Japonaises ne savent qu’ânonner quelques mots en japonais. Si elles sont « protégées », je plains leur protecteur, car elles ont des caractères en acier trempé. Ce ne sont en aucun cas des « paumées » dont il serait aisé d’abuser. Si j’en juge d’après le nombre d’appels qu’elles reçoivent en une heure, leurs affaires sont prospères. Meilleures que celles d’un dentiste parisien.

Je n’ai jamais eu le sentiment d’être un « salaud », mais plutôt – tout au moins à leurs yeux – un gogo dont elles se chargeraient vite fait bien fait de vider tout à la fois le portefeuille et la divine semence. Évidemment, si j’avais de surcroît dû payer une amende de 1 500 euros, j’aurais trouvé l’addition salée. Pour une somme raisonnable, j’ai l’impression d’avoir enrichi mes connaissances anthropologiques. Et d’avoir pu vérifier une fois de plus que, si les hommes se paient le corps des femmes, les femmes, elles, se paient la tête des hommes.[/access]

*Photo : GELEBART/20 MINUTES/SIPA. 00646670_000012.

Les mots pour le dire

peillon zep prepas

Comment formuler l’objet de son exécration ? Comment trouver le mot exact ? « Touche pas au grisbi, salope ! » Ah, ce « salope », quelle trouvaille ! Ah, comme Georges Lautner et Michel Audiard me manquent !

Brunetière, en 1898, trouve « intellectuels » et « intellectualisme »  pour désigner Zola et sa clique dreyfusarde : de la part d’un critique littéraire, professeur à l’ENS, et Académicien, c’était savoureux de réfuter en un mot l’intellect qui le faisait vivre. Pompidou, en mai 1968, trouve, pour résumer l’opinion de De Gaulle, le slogan (admirablement torché, ma foi) « La réforme, oui ; la chienlit, non ». La manifestation gaulliste du 30 mai 68 est sortie de cette formule.

Vincent Peillon, lui, c’est « conservatisme » (au pluriel, parfois) et « élitisme ». Deux gros mots, prononcés du bout des lèvres, avec cette moue insultante que le ministre affectionne : « « Le conservatisme et l’élitisme sont en train de s’organiser », lâche-t-il au moment où les enseignants des classes préparatoires se battent à la fois pur préserver leurs salaires, leurs conditions de travail, et, à terme, le salaire et les conditions de travail de tous leurs collègues, du premier et du second degré. Car personne ne peut croire que l’attaque au missile sur ce confetti que représentent les Classes préparatoires aux Grandes Ecoles ne soit pas un tir d’essai avant ‘offensive générale sur les salaires. Les fonctionnaires, en France comme en Espagne ou en Grèce, sont une cible trop facile pour qu’on résiste à la tentation de l’éparpiller façon puzzle, comme disait Raoul dans les Tontons flingueurs.
Le truc, c’est d’associer « conservatisme » et « élitisme ». De faire croire qu’il y a un lien organique (puisque syntaxique) entre eux. Un peu comme si j’associais, pour caractériser Peillon, le PS et ceux qui s’en inspirent, « modernisme » et « médiocrité ».

Quoique… « Conservatisme », ma foi, est pris en mauvaise part depuis si longtemps que j’aurais mauvaise grâce d’en défendre même l’idée. Encore que si c’est être conservateur, en matière scolaire, que de vouloir que chaque élève s’élève (justement…) au plus haut de ses capacités, oui, je suis conservateur, et tous les parents derrière moi. Mais « élitisme »… Dans un monde drogué aux classements sportifs et aux performances extrêmes, pourquoi cette critique de tout ce qui permet d’aller jusqu’au bout de soi-même — et un peu au-delà ? L’élitisme, n’est-ce pas, c’est cela, et rien d’autre. Le goût du travail mieux que bien fait, cette poursuite d’un apex scolaire qui friserait la perfection, la beauté à portée de main et d’esprit.

En répugnant ainsi à l’élitisme, Vincent Peillon s’engage sur une voie dangereuse — mais malheureusement conforme à la réalité, surtout celle de son ministère. Depuis trente ans (et un peu plus) que les pédagos les plus convaincus ont fait main basse sur l’Ecole de la République, nous assistons à l’orchestration de la médiocrité, de la pauvreté d’esprit, de l’impuissance érigée en principe. Jospin, en 1989, a fourni le cadre légal à cette exaltation de l’à-peu-près et du n’importe-quoi. Puis un réseau serré d’inspecteurs, de prophètes et de didacticiens fous a porté la bonne parole, via les IUFM, et, demain, via les ESPE version Peillon. On prend les mêmes et on enfonce le clou.

Evidemment, en fustigeant ainsi l’élitisme, on fait œuvre pie — et électorale. Les bons esprits sont, par définition, moins nombreux que les bras-cassés. Dire que l’élève doit construire lui-même ses propres savoirs (même l’adulte en est parfaitement incapable, alors, la petite bête brute qu’on appelle un enfant…), c’est inciter tous ceux qui ne pensent pas à exprimer très fort leurs opinions.
Et ils ne s’en privent pas, les bougres. Il suffit de fréquenter certains forums d’enseignants pour voir la bêtise s’étaler au nom de la liberté d’expression — autre principe formateur de cette même loi criminelle de juillet 89 : pour le bicentenaire des Droits de l’Homme, Jospin a sacralisé les droits immortels de la bêtise satisfaite (pléonasme, n’est-ce pas…), du poncif érigé en vertu, de l’horreur pédagogique institutionnelle. La liberté d’expression est le concept inventé par les insuffisants mentaux pour s’arroger le pouvoir — le pouvoir de dire, déjà, puis le pouvoir tout court, au nom de la « démocratie », qui se révèle désormais pour ce qu’elle était dès le départ : la perversion de la République [1. Voir Montesquieu, qui dans l’Esprit des lois (Livre III) prévoyait déjà les délires de la « majorité » devenue tyran dans un système sans « vertu ». Et au Livre IV, chapitre V, lire l’admirable analyse des principes de l’éducation d’un gouvernement républicain.]. Un peu comme le christianisme, selon l’analyse de Nietzsche, est la religion des impuissants. Le succès de l’un et de l’autre ne prouve en rien leur légitimité, et on ne cesse d’être impotent, ou faible d’esprit, sous prétexte qu’on est plusieurs.

Masi c’est à eux que doit logiquement s’adresser un ministre qui cherche à rester populaire. En stigmatisant les profs de prépas, Vincent eillon a cherché à semer dans le corps enseignant des germes de division, d’autant plus facilement que dans ces temps de restrictions financières (cela fait quatre ans que l’on n’a pas revalorisé le point d’indice, cela fait quinze ans que Claude Allègre, le modèle de Peillon, a arbitrairement baissé de 17% la rémunération des heures sup), on joue sur du velours en désignant à la vindicte populaire ceux qui gagnent un peu mieux leur vie.
Je crois pourtant que cette tentative de division démagogique fera long feu. D’abord parce que les prépas sont le premier étage de la fusée — et que d’autres mesures suivront, et que l’on n’attrape pas les mouches avec de bonnes paroles. Les profs de ZEP, soi-disant bénéficiaires des allègements de revenus (20%, quand même) infligés à leurs collègues de CPGE, verront leur feuille de salaire augmentée de 8 euros (si !). Byzance !
J’ai enseigné 12 ans en ZEP. Je sais ce que cela signifie de tension nerveuse, de peur parfois, d’espoirs déçus, et de volonté de faire progresser des enfants arrivés en lambeaux que l’on doit recoller sans plus de moyens que les autres. Je sais aussi que la rémunération est à des années-lumière de ce qu’elle devrait être, et que ce n’est pas 8 euros qui achèteront la conscience malheureuse d’enseignants confinés dans des établissements-poubelles.
La « refondation » de l’Ecole, dont le ministre se gargarise tous les quatre matins, aurait dû — aurait pu — se concentrer sur les programmes et sur la redistribution intelligente des 64 milliards d’euros de budget de la rue de Grenelle. Mais d’intelligence, nous l’avons bien compris, il n’en est pas question. Ce n’est pas populaire, l’intelligence, surtout auprès de tous les imbéciles dont la caractéristique est justement de se croire intelligents, qu’ils soient ministres, membres du SGEN ou de l’UNSA, ou piliers de bistrots. Non, ce qui est populaire, c’est la mise au pilori des « élites ». En brisant les prépas aujourd’hui, les Grandes écoles demain, Peillon suggère fortement aux élites d’aller se faire voir ailleurs — par exemple à Londres où Paris-Dauphine vient d’installer une antenne payante. Ou faut-il désormais écrire « peillante », tant les décisions du ministre ont pour effet immédiat (l’a-t-il pensé seulement ?) de libéraliser encore un peu plus un système auquel la Droite n’avait pas vraiment touché ? Détruire dans l’Ecole ce qui marche le mieux, ne plus donner de but aux élèves qui, au collège et au lycée, se décarcassent, et aux profs qui les forment, contre vents, marées, sinistres et ministres, c’est inciter à multiplier les structures privées, que seuls pourront s’offrir ceux qui déjà se les offrent. Peillon, c’est Bourdieu réhabilité, les héritiers au pouvoir, la reproduction bien en place. Tout ça en prétendant faire le contraire — mais le contraire, justement, ce sont les prépas, et ceux qui les alimentent, de l’école primaire au lycée.

Alors oui, si le « conservatisme » et « l’élitisme » consistent à croire encore que l’on n’a pas besoin d’avoir une cuiller en argent dans la bouche pour accéder aux formations les meilleures et aux emplois rémunérateurs, oui, je suis conservateur et élitiste — et les autres sont des crapules.

*Photo : MEUNIER AURELIEN/SIPA. 00671094_000036.

Mandela, le rugby, le pardon

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nelson mandela rugby

Le rugby est une chose essentielle. Les Anglais disent du football : « ce n’est pas une question de vie ou de mort, c’est beaucoup plus important que cela ». Le rugby, c’est encore pire. Ce n’est pas un sport universel, il entretient avec l’histoire et la culture des pays où il s’est implanté des rapports très particuliers. La Nation néo-zélandaise n’existe pas. C’est une équipe de rugby qui a un État, c’est tout. En 1951, lors du tournoi des cinq nations, les Français affrontent les Anglais à Twickenham. Pour la première fois de l’Histoire, ils peuvent l’emporter. Mais épuisés, ils reculent. Jean Prat, leur capitaine, leur hurle alors cette apostrophe : « ils vous ont emmerdé pendant cent ans et vous ne seriez pas capables de tenir 10 minutes ? ». Il y a aussi l’histoire de Bob Deans ce fermier néo-zélandais qui se vit refuser un essai qui aurait permis à son pays de battre le pays de Galles et terminer invaincu, la tournée légendaire menée par Rory Gallaher en 1905. Sur son lit de mort, les dernières paroles de  Bob Deans furent naturellement : « cet essai, je l’avais marqué. »

Avec l’Afrique du Sud ce fut toujours très difficile. Là-bas, c’était le sport des Afrikaners qui y avaient injecté leur brutalité et leur arrogance. Les Français, pour la première fois, y firent une tournée en 1958. Homérique, elle se conclut, le 16 août, par la victoire française en test-match à Johannesburg. Abominable humiliation pour les blancs, qui se considéraient comme les meilleurs du monde n’ayant que mépris pour les Néo-Zélandais qui faisaient jouer des coloureds maoris. Pendant cette tournée, les quelques spectateurs noirs parqués dans des tribunes spéciales applaudissaient les Français, les blancs leur lançaient des bananes….

Tous les matches suivants entre les deux équipes furent compliqués, tendus et souvent brutaux. Les Afrikaners voulaient se venger, et les coqs français refusaient de reculer. Image célèbre de Jean-Pierre Rives, capitaine sonné et ensanglanté, à la dérive sur le terrain et refusant de quitter ses partenaires malgré les objurgations de l’arbitre : « Jean-Pierre, il faut sortir, ils vont vous tuer » réponse de Casque d’or : « sortir, mais pour aller où ? ». Le sommet fut atteint lors de la tournée de 1971. Depuis un an, les Sud-africains acceptaient que figurent dans les équipes étrangères qu’ils affrontaient des joueurs de couleur. La France avait sélectionné un poids plume noir de 75 kg, Roger Bourgarel, qui faisait l’objet à chaque match d’attentions particulières (sept points de suture au cuir chevelu après le premier test). « C’est là que j’ai pris conscience d’être noir. Avant, je ne m’étais jamais intéressé à cela, ça ne m’était jamais apparu comme quelque chose d’important. Mais là… ». Il ignorait qu’il venait d’un pays, qui comme nous le dit tous les jours Libération, est complètement gangrené par le racisme… Le 19 juin 1971 eu lieu, à Durban devant un stade blanc médusé et silencieux, la plus grande bagarre de l’histoire du rugby international. Emmenés par quelques glorieux « grands arbres », Dauga, Bastiat, Claude Spanghero, les Français refusèrent que l’on s’en prenne de nouveau à « Boubou ». Une légendaire « partie de manivelle » qu’il est un privilège d’entendre raconter par ceux qui en furent (au cours, par exemple d’une dégustation comparative de grands armagnacs conduite par Dauga,  grand spécialiste). Les Sud-africains prirent conscience qu’ils allaient avoir le dessous. Charles Marais leur capitaine vint trouver Benoît Dauga dans l’invraisemblable mêlée : «C’est fini, Benoît ? » « C’est comme il vous plaira » lui répondit le capitaine Montois. « Si vous voulez vous battre, on se bat. Si vous voulez partir, on s’en va. Si vous voulez qu’on joue, on joue ». « On joue » s’inclina Marais.

L’équipe d’Afrique du Sud fut par la suite bannie de compétitions et de tournées, l’apartheid obligeant les Noirs à ne jouer qu’entre eux.

Ayant été personnellement et professionnellement impliqué dans le combat mené de l’extérieur contre ce système, j’en avais acquis une petite expérience. J’étais très pessimiste sur l’issue. Profondément ému par la libération de Mandela, par la fin proclamée de l’apartheid, je pensais cependant que tout cela risquait de mal finir. Trop de violences, trop d’humiliations, trop de souffrances, trop de peurs. Toujours inquiet, je regardais à la télévision un an après l’élection de Mandela à la présidence, la coupe du monde de rugby 1995 qui se déroulait dans son pays de retour dans la communauté sportive internationale. Le jour de la finale qui opposait  l’Afrique du Sud à la Nouvelle-Zélande, je reçus, incrédule, le choc de son entrée sur le terrain, avant le match, revêtu du maillot Springboks portant le numéro 6. Celui de François Pieenar, le capitaine. Comment, le symbole, l’icône du combat contre l’apartheid, venait soutenir et rendre hommage à l’équipe qui en était l’incarnation ? Geste inouï, geste qui me fit prendre conscience jour-là, que la guerre était finie.

Je ne me suis pas intéressé aux surenchères dont la disparition de Mandela a été l’occasion. À l’émotion sincère se sont ajoutés de curieux spasmes d’adoration, de l’ignorance et de la mesquinerie qui en disent long sur l’époque. Au-delà de la magnifique humanité du personnage, je veux garder la conviction, au travers de la leçon donnée ce jour-là, que la politique peut toujours faire quelque chose. Et bien sûr, que le rugby est vraiment essentiel.

 *Photo : Ross Setford/AP/SIPA. AP21492754_000003;

 

Nos excuses à David Serra et aux éditions Ring

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En septembre 2012, Causeur a publié un billet de Jacques de Guillebon intitulé « Dantec, une renaissance », recension personnelle du conflit qui opposait Maurice Dantec à son ancien agent David Serra. En se basant uniquement sur les déclarations de Maurice Dantec pour qui Jacques de Guillebon a pris parti sans précautions comme d’autres blogueurs par ailleurs, notre auteur n’a pas mené d’enquête en écoutant uniquement les arguments d’une des parties, son article s’appuyant sur des informations dénuées finalement de tout fondement. Après avoir eu connaissance de nombreux éléments, comme celui où l’auteur lui-même exigeant de son ancien agent dès 2005 de le couper de tous ses principaux contacts parisiens, nous présentons ici même nos plus sincères excuses à David Serra et à sa famille pour l’injustice des propos tenus à son encontre.

Libertaires de 68, puritains de 2013

mai 68 feminisme

Trouvé cet objet bizarre sur le site materialistes.com en consultant le Web, par une curiosité en voie d’épuisement, au sujet de la pénalisation des clients de prostituées : une critique au lance-flammes des 343 signataires de ce « manifeste fasciste » et, plus globalement, de la « revue de droite ultra-conservatrice et décadente Causeurs » (sic).

Pour être précis, il s’agit du « document 45 » paru sur le site officiel du PCMLM, Parti communiste marxiste-léniniste maoïste. Pourquoi évoquer ce document rédigé par un groupuscule réduit à l’état de microscopique fossile ? Parce qu’il vient d’un temps lointain, justement, où la lutte des classes conjoignait le puritanisme le plus implacable aux libertés sexuelles les plus innocentes. On y relève ainsi cette phrase optimiste : « Après-demain, lorsque la révolution socialiste aura triomphé et que les fascistes auront été exécutés, la bourgeoisie expropriée, effectivement la prostitution et la pornographie seront écrasés, au profit de la romance et de l’érotisme, car l’épanouissement ne peut aller qu’avec la dignité et le caractère authentique des sentiments. » Programme exaltant…

S’étonnera-t-on que le romantisme révolutionnaire mette ses pelotons d’exécution et ses camps d’internement au service de la cause des femmes ? Aujourd’hui il y a de quoi s’éberluer, mais en 1968 et les années suivantes, ce genre de cauchemar sentimental enchantait des franges ardentes et généreuses de la jeunesse. Ceci pour signaler que le mouvement libertaire, loin d’être uni, comprenait dans ses replis les plus farouchement gauchistes un versant puritain déjà opérant dans la Chine de Mao, puis parfaitement réalisé dans le Cambodge de Pol Pot avec le triomphe d’un collectivisme intégral, l’abolition de l’argent, de l’intime et de toute liberté. Qu’une poignée d’irréductibles se réclame aujourd’hui encore de régimes génocidaires pour chanter la « romance », l’« érotisme » et la « dignité des sentiments » souligne la permanence d’une volonté répressive de nature purificatrice au coeur même des idéaux d’émancipation.

Évidemment il ne s’agit plus, pour les éthérés cloîtrés dans leur bonne conscience, de régler à la mitrailleuse les questions morales. Certains continuent sûrement d’en rêver, mais l’époque a perdu l’espérance des « grands soirs ». Sur elle souffle désormais une brise presque démocratique qui se limite, contre les « néo-réacs », à des bordées d’injures et à des torrents de boue. À défaut de débattre, on n’abat plus : on se contente de haïr. On peut s’étonner, là aussi, d’une telle inaptitude à penser contre soi, et d’un tel manque de respect à l’endroit de ses contradicteurs.[access capability= »lire_inedits »]

Reste que, dans son ensemble, le puritanisme contemporain a déserté le champ proprement politique pour se polariser sur les questions liées à la libération des femmes. Car aucune époque ne s’est montrée aussi éloignée du puritanisme que la nôtre, du moins en apparence. Elle affiche une sexualité tous azimuts, balayant le spectre entier de ses représentations possibles, depuis l’esthétique raffinée de photos de mode où les effets de lumière et le charme des poses subliment la nudité, jusqu’aux vidéos les plus trash en libre accès sur le Net, lait pornographique que biberonnent les générations nouvelles. Rien de puritain dans les LGBT Pride, dans le « mariage pour tous », dans L’Inconnu du lac ou La Vie d’Adèle, ni dans le culte du corps sous toutes ses formes, sportives, artistiques, hygiénistes, au point qu’on a élevé le thème du corps, dans les arts comme dans le cercle universitaire des lettres et sciences humaines, au rang d’icône.

Que fait la cyber-police ? Il se pourrait néanmoins que ce soit précisément par la fenêtre du corps que revienne le puritanisme autrefois chassé par la porte de la révolution sexuelle. Sous le coup d’un retournement dont l’Histoire est prodigue, l’esprit libertaire, dont procède le féminisme reconnu enfin comme force motrice, se trouve désormais menacé par les victoires que peuvent revendiquer à juste titre les homosexuel(le)s et les féministes radicales, minorités alliées depuis des décennies contre le système patriarcal, lequel, en dépit des assauts, préserve ses positions tout en déclinant. Symbolisé par l’irrésistible expansion des biotechnologies, le culte de la vie qui caractérise la postmodernité éclaire le succès de ces minorités, succès matérialisé par l’exhibition des corps tels que les met en scène, actuellement, l’exposition « Masculin/Masculin » au musée d’Orsay. Mais ce même culte de la vie et ce même corps minoritaire tendent à se développer toujours davantage aux dépens du corps archaïque, celui du mâle blanc hétérosexuel, qui se repère en premier lieu dans la verticalité du pouvoir incarné par l’Église, reçu pour mortifère, oppresseur, discriminant, c’est-à-dire conservateur.

Il va de soi que les succès remportés par les minorités sociétales comprennent des retombées positives, à commencer par le droit qu’elles ont vaillamment acquis de s’exprimer en pleine lumière. Cependant l’incroyable violence symbolique qu’elles se permettent à l’égard de l’Église et, plus généralement, à l’égard de l’esprit conservateur, témoigne de la radicalité insatiable du combat qu’elles mènent. À titre d’exemple, il est arrivé à Charlie Hebdo de tourner en dérision le pape Benoît XVI avec une brutalité inouïe, équivalente toutefois au courage que ce magazine démontre en publiant les caricatures du Prophète.

Bien sûr, dans les deux cas, c’est la religion qu’on pourfend, autrement dit la liberté qu’on défend, ou plutôt qu’on croit défendre. Et c’est là qu’on retrouve le retournement de la liberté en son contraire. Paradoxe d’une sincère mais naïve volonté de progrès, Najat Vallaud Belkacem décide, au nom de l’émancipation des femmes, de réhabiliter contre les clients de prostituées le « surveiller et punir » naguère démonté et dénoncé par Michel Foucault. Pour traquer les passes commises dans le secret des alcôves, voilà l’actuelle ministre du Droit des femmes conduite à mobiliser les formidables moyens de la cyber-police en guise de panoptique, ce type de prison imaginé au XVIIIe siècle par Jeremy Bentham pour obtenir, grâce à une architecture appropriée, une surveillance totale des détenus.

Cette décision qui s’inscrit dans le processus généralisé d’espionnage et de transparence permis par l’outil informatique repose sur l’idée, partagée entre autres par les révolutionnaires de 68, que l’Histoire suit un cours inéluctable, et que c’est aller dans le sens du progrès politique et moral que de réprimer sans état d’âme ce qui s’y oppose. Les meilleures intentions du monde – combattre les misères de la prostitution – transforment alors la lutte des femmes, dont personne ne conteste la nécessité, en guerre de dames patronnesses soucieuses de coercition à l’encontre des hommes coupables de désirs inconvenants, et de rééducation des filles perdues.

Il est impossible de ne pas percevoir sous ces intentions l’ancienne aspiration à faire table rase du passé pour changer l’humanité en vue de la rendre meilleure : plus saine, plus propre, plus vertueuse. Malgré la montagne de crimes perpétrés par les sociétés totalitaires du XXe siècle qui ont assis leur système répressif sur ce projet faustien, la leçon n’a pas suffi : sous une forme hautement civilisée, le projet perdure. Et il s’en remet à l’État pour s’accomplir.

Le recours aux moyens de répression policiers distingue le féminisme radical, qui en recherche l’exercice pour parvenir in fine au renversement de la domination masculine à son profit, du féminisme réformiste qui, confiant dans la responsabilité individuelle de toutes et de tous, prend acte de la réalité suivante : dans leur principe, l’égalité en droits de l’homme et de la femme et l’exigence de parité sont, au sein de la société française, globalement acceptés. Ce fait ne signifie d’aucune manière que l’idéal est atteint : il reste une grosse masse de grain à moudre, de résistances à vaincre.

Mais, si considérables soient-ils, les progrès à réaliser se situent dans ce cadre, pas dans le renversement d’une domination en une autre. C’est ce qui justifie l’insistance sur la sauvegarde à tout prix des libertés individuelles, fondement du contrat volontaire entre parties responsables, de préférence à l’imposition contraignante de la loi. Le puritanisme n’a pas conscience de ce qu’il est, et il n’a pas de limites : c’est son plus grand danger. Il avance à coups de boutoir sans se préoccuper de ses excès ni de ses contradictions. Il s’avère même capable de fourvoyer l’analyse d’une anthropologue aussi éminente que Françoise Héritier, à en croire du moins l’association abolitionniste Zéromacho qui la cite en ces termes : « Dire que les femmes ont le droit de se vendre, c’est dire que les hommes ont le droit de les acheter. » Or il est tout à fait manifeste que les prostituées ne se vendent pas, mais vendent leur force de travail sous forme de prestations tarifées, et que les hommes ne les achètent pas, mais achètent le plaisir que ces prestations leur fournissent. Les seules femmes qui se vendent, sans d’ailleurs que leur droit personnel soit impliqué, sont les fillettes que leurs parents proposent, moyennant tribut, pour des mariages arrangés. On ne dira même pas que les femmes qui monnaient la participation de leur corps à une gestation pour autrui se vendent, mais qu’elles louent leur ventre sans pour autant cesser de s’appartenir.

Ces confusions dans l’approche théorique du problème trahissent des a priori idéologiques par définition contraires à l’honnêteté intellectuelle qui devrait prévaloir dans l’abord de ce problème, d’une importance indéniable puisqu’il se rapporte en profondeur aux relations qu’entretiennent les femmes et les hommes. Les anciens gauchistes, tout comme le féminisme radical qui soutient l’abolition en matière de prostitution et, sans doute, de pornographie, réprouvent le lien, certes regrettable mais aussi universel qu’évident, entre le sexe et l’argent. Ils en arrivent ainsi à une conception virginale de la femme, dont l’intégrité corporelle rime pour eux avec la pureté de l’âme. Même librement consentantes, les prostituées seraient des victimes en tant que les jouissances sexuelles dont elles font commerce les souilleraient. À suivre ce genre de raisonnement, dans le monde irénique qu’ils s’attachent à fonder, enfin délivré de la figure autoritaire du père, de la marque des ancêtres, du sceau des traditions et, au bout du compte, de l’altérité sexuelle (exemplairement, dans l’univers du communisme intégral rien ne distingue, sur le plan vestimentaire, les hommes des femmes), le credo de l’immaculé régnera. Sonia Semionovna, la prostituée mystique de Crime et Châtiment, passera aux oubliettes. Cet obscur objet du désir de Luis Buñuel ne sera plus compris, ni Belle de jour de François Truffaut, ni La Maman et la Putain de Jean Eustache, ni tant de films, de romans, de récits qui n’ont que faire de la « romance » et du « caractère authentique des sentiments ».

Tout sera simple, sain, bardé d’interdits, surveillé. On sera frères et soeurs, sans ombres et sans passé. On sera tout neufs. On sera purs. On s’ennuiera à mourir.[/access]

*Photo : Mourir à 30 ans.

Et maintenant, voilà la Chinafrique!

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chine afrique france

La plupart des commentateurs se réjouissent de l’intervention française en Centrafrique, évoquant l’Afrique comme notre « un pré carré » stratégique et commercial. Leur analyse occulte un fait majeur : la France est en train de se faire damer le pion par la Chine sur le continent noir. Notamment dans le domaine agroalimentaire.

Peu d’observateurs le notent, mais la Chine achète de plus en plus de terres agricoles en Afrique subsaharienne. Si la hantise de Mao était de ne pouvoir nourrir l’immense population de l’empire du Milieu, c’est également l’inquiétude des autorités chinoises actuelles. L’avancée du désert de Gobi, les sécheresses à répétition, l’exode rural massif et la construction du barrage des Trois-Gorges[1. L’édification de cet ouvrage monumental a englouti 436 km2 de terres arables et déplacé 1,8 millions de personnes qui n’ont pas toutes été indemnisées.] expliquent le recul des terres cultivables de l’Empire du milieu.

Conscient du potentiel agroalimentaire immense du continent africain, le gouvernement chinois incite ses paysans sans terre à émigrer. Une fois la semelle posée sur le sol africain, ils achètent des terres sous le regard bienveillant des chefs locaux amadoués par les pots de vin. On ne demande pas l’avis des paysans africains qui sont expropriés, et souvent mis devant le fait accompli.

Malgré les critiques, Pékin argue que ses investissements africains profitent à l’économie locale. Habilement, la Chine renvoie ses possibles rivaux, notamment la France, dans les rets du « droit de l’hommisme » et de la repentance post-coloniale. Bonnes âmes, les Chinois importent leur propre main d’œuvre du pays. Aussi, les Africains ne profite-t-elle guère de la manne pourtant promise.  Certes, se produisent parfois des révoltes paysannes mais ces soulèvements sporadiques restent circonscrits à des territoires précis. Aussi ne menacent-ils pas la nouvelle relation sino-africaine que Pékin promeut au nom de la solidarité « Sud-Sud ».

En Tanzanie, s’étendent à perte de vue des terres où l’on cultive de manière intensive le maïs pour ensuite l’exporter vers la Chine. Pour l’ensemble du continent africain, l’enjeu n’est pas simplement symbolique. Les sociétés agricoles chinoises s’appropriant les meilleurs terrains, un avenir incertain s’annonce pour les 2.5 milliards d’Africains – contre un milliard actuellement – qui peupleront le continent. Comment nourrir tout cette population, a fortiori si l’on exporte ses ressources ?

On connaît déjà les difficultés du continent en la matière. Malnutritions, disettes, famines, à chaque fois le pire est évité grâce à l’aide internationale. Mais la population reste dépendante. Et pourtant, les ex-colons européens font tout pour payer leur dette au continent. Lors de son discours du 10 mai, au cours de la cérémonie commémorant l’abolition de l’esclavage, François Hollande avait déclaré : « Nous savons la part funeste prise par la France dans l’exploitation des terres d’Afrique à travers ce sombre négoce », et d’ajouter que les soldats français intervenaient notamment au Mali en reconnaissance de cette dette.

Empêtrée dans la repentance mémorielle, la France regarde les trains passer. Mieux, elle se saigne pour se racheter et aider l’Afrique à devenir indépendante sur le plan alimentaire. Ainsi, en 2012, sur près de 7 milliards d’engagements français en faveur du développement international, 2 milliards étaient alloués au seul continent africain. Cela passe par le financement de semis, de plants, de puits, de fermes, mais aussi par l’annulation de la dette de la Côte-d’Ivoire (3 milliards d’euros) généreusement accordée par le gouvernement français.

Paradoxalement, les populations locales considèrent cette aide au développement comme la dernière relique du colonialisme européen de papa. Du point de vue des élites africaines, la nouvelle donne chinoise apporte un vent d’air frais. Pékin risque pourtant de leur laisser des miettes, sans la mauvaise conscience de la France, laquelle se montre de plus en plus docile à l’égard de ses bailleurs de fond chinois[2. Une grande partie de la dette française est détenue par la Chine.]. Mais quelle plus belle fin que de mourir la main sur le cœur ?

*Photo : Andy Wong/AP/SIPA. AP21258231_000001.

Chronique bête n°4 : la fable du poney et du hérisson

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En liminaire, n’attendez de moi aucun commentaire sur Serge le lama – célèbre camélidé devenu multimillionnaire pour avoir pris le tramway bordelais avec des amis fêtards sans même demander l’autorisation d’Alain Juppé[1. Sont-ce les mêmes qui avaient volé, il y a quelques années, le légendaire canapé Chesterfield ?].

Pourtant l’heure est grave. Sachez que l’okapi se meurt. L’AFP nous apprend que « L’okapi ou « girafe des forêts » a rejoint la liste rouge des espèces menacées par l’Union internationale pour la conservation de la nature. L’okapi, animal mystérieux à la morphologie étrange évoquant à la fois le zèbre et la girafe, vit uniquement dans les forêts tropicales de la République démocratique du Congo dont il est le symbole national. » Dans le même temps, le méconnu ministre de l’écologie Philippe Martin (appartenant à la même équipe que Jean Dupont, secrétaire d’Etat au commerce participatif, Marcel Durand, ministre délégué à rien du tout et Albert Dugland, porte-parole) s’exprime dans les colonnes du quotidien La République des Pyrénées pour dire tout le bien qu’il pense des ours. Le ministre lâche : « Ma mission est de protéger la biodiversité et donc d’assurer la conservation de l’ours brun ». Le journal titre « Philippe Martin veut conserver l’ours ». Le gouvernement est au taquet. Cela fait plaisir.

Mais malgré cette attention portée aux animaux, les équidés sont dans la rue ! « Quelque 600 piétons et cavaliers de toute la Côte d’Azur, accompagnés de 170 chevaux et poneys selon la police (300 bêtes selon les organisateurs), ont marché dimanche sur la promenade des Anglais pour dire non à une hausse de la TVA sur les activités des centres équestres », rapportait récemment l’AFP. Parmi les slogans entonnés, retenons celui-ci, qui fera date : « Hollande t’es foutu, les poneys sont dans la rue ! » Faisons le pari que – cruellement – les historiens, dans deux cents ans, définiront ainsi le quinquennat hollandais : « Période trouble durant laquelle des ânes ont porté au pouvoir un homme plein d’humour, à cheval sur les bons mots, qui a réussi à faire l’unanimité contre lui, et même provoqué le courroux des poneys. » Dur.

Dans une précédente chronique bête, j’évoquais le porc-épic au travers de la prose de Pline l’ancien (voilà typiquement le genre de chose que Mediapart ne fait jamais). Posons ce principe : qu’importe la longueur des pics, l’important est l’ivresse… C’est pour cette raison qu’il ne faut nullement négliger le hérisson, qui – depuis toujours – fascine les naturalistes et fait rire les enfants. Le sympathique mammifère insectivore – qui prend les traits de « Sonic » dans l’univers des jeux vidéo – a fait une entrée fracassante dans l’actualité judiciaire , chez nos confrères de La Nouvelle République du Centre Ouest[2. Journal régional totalement punk qui nous avait déjà inspiré cette précédente brève.]. L’affaire pourrait sembler futile. Il s’agit du cambriolage d’un marchand de vins. Le journal titre pourtant son compte-rendu d’audience : « Chasse nocturne au hérisson ou rendez-vous coquin ? » Pourquoi ? Car la défense des prévenus – bras cassés et moi non plus – dépasse les attentes les plus folles des amateurs de faits divers… Ils ont pénétré de force dans l’échoppe pour se livrer à une partie de… « chasse » aux hérissons. « Leur seconde audition – nous apprend la NRCO – ne permet guère de progresser. Téo reste sur sa version : la chasse au hérisson, la cagoule contre le froid et les gants pour se prémunir des piquants de la bête ! ‘Alors, messieurs, aujourd’hui, qu’avez-vous à nous dire ? Avez-vous réfléchi à quelque chose de plus sérieux ?’ L’espace d’un instant, le tribunal semble y croire. Kévin prend la parole et promet de tout dire. La surprise est à la hauteur de l’espérance : ‘Si on ne voulait rien dire, c’est à cause de nos femmes ! On avait rendez-vous avec une demoiselle. C’était une soirée à thème dans le sauna !’ » Un sauna, voisin du marchand de vin, décrit dans cet article délectable comme « certes libertin, mais aussi citoyen » car ayant donné l’alerte. L’avenir est aux donneurs d’alertes…

Le gang des chasseurs poitevins de hérissons repart donc avec du sursis. Tout porte tragiquement à croire que leur aventure s’arrête là… Dommage. On aurait pourtant adoré rendre compte de la suite comique des péripéties de cette fine équipe. Les grandes associations criminelles portent quasiment toujours des noms d’animaux colorés. Le gang des « souris vertes » : celui des « panthères roses ». Il ne reste plus qu’à trouver la couleur du gang des hérissons…

Mandela tous les jours

nelson mandela insecurite

Depuis la mort de Nelson Mandela le 5 décembre, on n’en fait pas trop sur cette immense personnalité et ce caractère formidablement trempé. Pourtant sensible à l’hypertrophie, je n’ai rien à redire face à cette émotion quasiment universelle comme si le corps de l’humanité avait perdu l’un de ses membres. Se trouvait amputé d’un organe essentiel.

Rien de fait n’a été plus ridicule que l’absence de réactivité de France Inter préférant s’autocélébrer plutôt que de consacrer sa « matinale » à cette disparition (Le Figaro), alors qu’au quotidien cette radio nous « bassine » avec un progressisme conformiste et condescendant. Elle donne des leçons alors qu’elle mériterait d’en recevoir.

La violence et la lutte armée dont Mandela a été l’un des fers de lance, quand, chef de la branche combattante de l’ANC, il les a mises en oeuvre, n’assombrissent pas son image. En effet, il ne s’y est résolu qu’après avoir prôné une modération qui ne servait que l’adversaire. Le scandale absolu, pour son pays, de l’apartheid rendait légitime tout ce qui visait à s’y opposer, quelles que soient les manifestations de ce refus. Surtout Mandela, contrairement à tant d’autres, n’a jamais cherché à justifier le terrorisme et à se donner bonne conscience. Devant la Commission Vérité Justice, il a assumé et n’a pas ennobli hypocritement le sang et la mort résultant de son action un temps sans merci.

Il a démontré, une fois libéré, à quel point son obsession n’était pas de tuer et de faire tuer mais d’imposer cette intrépidité inouïe à son peuple de savoir résister à ce qui venait le plus naturellement aux victorieux sous toutes les latitudes : la vengeance et la haine institutionnalisées à rebours.

Ce qui m’importe, c’est l’exemple de Mandela et la manière dont tous les jours son courage, sa fermeté, son intransigeance admirable pourraient, modestement, irriguer nos comportements. Je ne voudrais pas qu’on saluât Mandela précisément pour l’oublier et ne pas en tirer, dans nos vies personnelles et sociales, de quoi les redresser, les améliorer.

Cette réflexion ne surgit pas en moi par hasard mais elle suit un moment de grande honte et de vraie lâcheté dont j’ai été à la fois le témoin et le coupable, le 7 décembre, dans le métro qui m’emmenait gare de Lyon. Monté dans la rame à Madeleine, je suis resté debout et j’ai tout de suite remarqué deux jeunes gens noirs parlant fort, cherchant à se faire remarquer, vautrés côte à côte sur une banquette avec leurs pieds sur la banquette d’en face.

Cette attitude ostensiblement grossière me donnait envie de réagir en les invitant à adopter une autre attitude. Je les observais de dos mais je ne tentais rien. Je n’étais pas Lino Ventura qui, dans ses films, leur aurait enjoint de se comporter autrement et qui, s’ils n’avaient pas obtempéré, aurait eu le geste qui convenait.

Jusqu’à ma descente gare de Lyon, je n’ai pas cessé de me torturer pour rien puisque je n’ignorais pas que je demeurerais passif et silencieux, tout en me culpabilisant parce que rien n’est plus insupportable que la faiblesse qui offense l’honneur plus qu’elle ne contredit la virilité.

Je n’étais pas le seul à ressentir un malaise puisque les autres voyageurs jetaient des regards rapides sur ces quatre pieds salissant la banquette inoccupée et que ceux qui survenaient à chaque station faisaient tout pour éviter d’avoir à déranger ces jeunes messieurs. Je n’étais pas le seul lâche, nous l’étions tous et l’indifférence affectée par tel ou tel n’était que le masque dont se sert la pusillanimité pour pouvoir se supporter, se pardonner.

J’aurais dû prendre sur moi et leur demander d’enlever leurs pieds de là. Cette incorrection me concernait, elle nous concernait tous et je n’étais pas assez médiocre pour me réfugier derrière l’absence d’un quelconque officiel ayant eu par ailleurs plusieurs fois l’expérience, ici ou là, notamment dans le franchissement des portiques, de l’inertie résolue des contrôleurs.

J’aurais dû intervenir et probablement je me serais mis dans un risque de conflit, de bagarre. J’aurais eu droit, comme toujours, à la semonce qui accable celui qui a eu l’audace de faire respecter un minimum de savoir-vivre plutôt que ceux qui l’ont salement transgressé.

Mais je suis resté coi.

C’est en acceptant ces défaites minimes, dérisoires du quotidien qu’on baisse insidieusement pavillon devant l’intolérable et qu’on participe à l’avilissement social. À force de se retenir et d’avoir peur, on perd. À force de s’effacer par prudence et de vivre avec la tête basse, de démissions en reculades, pour l’insignifiant comme pour le grave, on coule.

Il y a un usage de Mandela et de l’admiration qu’il a suscitée qui donne beaucoup de clés pour les infimes héroïsmes que nous devrions assumer. Il n’y a aucune raison pour que, contrairement à lui, nous partions battus par avance, par principe. Il y a des non modestes qui ont une valeur infinie.

Mandela tous les jours comme une inspiration : j’aurais alors surmonté sans l’ombre d’un problème mon écartèlement minable entre volonté d’exigence et crainte de l’action, de l’injonction et j’aurais été fidèle à l’image, à l’allure dont malgré mille rechutes je me persuade qu’elles devraient gouverner mon existence.

Mandela tous les jours : une leçon à appliquer sans modération.

*Photo : Ben Curtis/AP/SIPA. AP21494258_000071.

Gaza : l’UE paie des fonctionnaires pour qu’ils ne fassent rien

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Il fut un temps, hélas définitivement révolu, où quelques grands journaux, comme France Soir, étaient tellement riches qu’ils pouvaient se permettre de recruter des « plumes » à prix d’or sans exiger d’elles d’écrire le moindre article. C’est ainsi que son directeur, Pierre Lazareff, engagea, entre autres, Françoise Sagan, à seule fin de l’empêcher de mettre son talent et sa notoriété au service de la concurrence.

Ce modèle économique n’est pas complètement mort : un rapport de la Cour des comptes de l’Union européenne pointe le fait que l’Autorité palestinienne continue de verser, depuis 2007, les salaires de plusieurs dizaines de milliers de fonctionnaires de Gaza, affiliés au Fatah, à condition qu’ils ne se mettent pas au service du Hamas, qui a pris le pouvoir dans ce territoire. Bruxelles verse annuellement une somme de 1 milliard d’euros à l’AP et assure à hauteur de 20% le paiement des salaires de ses fonctionnaires. Alors que le rapporteur de la Cour des comptes, le suédois Hans Gustaf Wessberg, estime que l’argent de l’UE serait mieux employé dans d’autres projets, notamment en Cisjordanie, le porte-parole de la Commission, Peter Stano, défend ce système : «  Si l’Autorité palestinienne cesse de les payer, qui pourra assurer leur subsistance et celle de leurs familles ? » affirme-t-il «  Sans revenus, ils risquent de se tourner vers des extrémistes avec lesquels nous n’avons aucun contact ». Pierre Lazareff, dit « Pierrot-les-bretelles » doit, là où il se trouve, suçoter dubitativement le tuyau de son éternelle bouffarde en se voyant doté d’une telle postérité…

 

Libye, Mali, Centrafrique : peut-on se battre sur tous les fronts ?

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armee mali centrafrique

armee mali centrafrique

La France est une puissance militaire devenue championne dans l’art de faire les choses à moitié. Alors que 2800 soldats poursuivent l’opération Serval et doivent déjouer quotidiennement des tentatives d’attentats perpétrées par des groupuscules favorables à la scission du Mali, la France se lance dans l’opération Sangaris en Centrafrique pour éviter un nouveau Rwanda.

Et pourtant, un autre front reste en suspens. Après les interventions conjointes de la France et de ses alliés de l’OTAN, la situation n’est toujours pas réglée en Libye. Si le bourbier malien se poursuit, c’est en partie parce que l’Etat libyen est un état fantôme qui ne contrôle plus ses frontières. Trafics d’armes, de drogues et de clandestins, le Sahel est la proie de bandes armées qui agissent en toute impunité. La déshérence du nouveau gouvernement favorise la porosité des frontières et la circulation d’un pays à l’autre des combattants islamistes. Mais la politique française actuelle aime les bourbiers. Non contente d’ouvrir un deuxième front en Centrafrique, elle pense pouvoir pacifier le Mali sans une intervention en Libye. De ce fait, elle essaie de combler un puits sans fond.

À vrai dire, les armées françaises déployées sur de multiples théâtres d’opération sont au four et au moulin. Elles agissent contre des milices islamistes pour sécuriser l’Europe en amont avec les deniers de la France et sans participation financière des alliés européens. Chasser Kadhafi du pouvoir relevait du vœu pieu officiel d’amener la démocratie en Libye. On sait ce qu’il en est aujourd’hui.

Les anciennes rivalités entre tribus que le dictateur avait réussi à contrôler se sont réveillées. C’est désormais la voix des armes qui prévaut et non celles des politiques. Sans armée nationale solide, l’Etat fantôme ne peut faire face. Malgré la promesse des Américains de former 8000 soldats libyens, une guerre civile à peine larvée menace le pays. Pis, le groupe radical Ansar Al-Sharia s’est implanté durablement à Syrte et à Benghazi et apporte un soutien logistique essentiel aux combattants jihadistes qui harcèlent les troupes françaises.

Le récent assassinat d’un enseignant américain, ainsi que la fermeture d’un dispensaire tenue par des sœurs qui soignaient gratuitement des personnes de toute confession, donnent une idée du climat dans lequel la Libye sombre. Désormais, les miliciens adverses s’entretuent pour asseoir leur domination sur des territoires. Par conséquent, cette insécurité permanente ne permet plus l’exploitation des ressources pétrolifères du pays. Ainsi, la production d’or noir, tombée à un niveau historiquement bas, affaiblit un peu plus le pouvoir central. Et, les tribus et milices se déchirent pour savoir hypothétiquement qui profitera de l’argent du pétrole.

A priori, on doute qu’il sera redistribué aux civils terrés chez eux. La Libye divisée inquiète les instances internationales. Le 9 décembre, l’un des ordres du jour au Conseil de Sécurité de l’ONU concernait toujours la situation du pays. En effet, le 28 novembre dernier, après une demande du secrétaire général Ban Ki-Moon, les Nations Unies ont voté l’envoi de 235 hommes. Cette force, la MANUL, est censée protéger le personnel onusien ainsi que les bâtiments officiels. En outre, si la situation se détériore encore, l’on s’interroge de plus en plus sur l’éventualité d’une deuxième intervention de l’OTAN. Mais, les atermoiements persistent.

Pendant ce temps, héroïquement, les troupes françaises font leur devoir sur plusieurs fronts en Afrique et l’Etat français dédaigne celui qu’il aurait fallu rouvrir en priorité. Malgré les sollicitations croissantes des Armées à l’extérieur, le livre blanc prévoit la suppression de 24000 postes en 2013. Ni au Mali, ni en Centrafrique, la durée de la mission n’est connue. La France a des ambitions sur la scène internationale mais les budgets et le personnel destinés à les soutenir diminuent. Vaille que vaille, il n’en reste pas moins que c’est seule qu’elle se retrouve dans des zones que l’on sait d’emblée impossible à sécuriser rapidement. Bravement, la France maintient encore l’illusion de son rang mais pour combien de temps ?

*Photo : NELSON RICHARD/SIRPA/SIPA. 00650820_000010.

Putes : de la théorie à la pratique

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putes chinoises paris

putes chinoises paris

Ce n’est pas tout d’être l’un des 343 « salauds » qui a signé le manifeste  « Touche pas à ma pute » publié par Causeur. Encore faut-il passer de la théorie à la pratique. Ce que je me suis empressé de faire. J’ai choisi le domaine  que je connais le mieux : l’Asie. Et je me suis mis en quête, par le biais d’Internet, d’escort-girls japonaises ou coréennes. L’offre est quasiment illimitée, mais le plus souvent trompeuse (je l’ai appris à mes dépens).[access capability= »lire_inedits »]

Le marché est dominé par les Chinoises. Et, comme dans la restauration, si vous voulez trouver un vrai restaurant japonais, il vous faudra une persévérance à toute épreuve. Mais, après tout, pourquoi pas une pauvre Chinoise, surtout si les photos sont alléchantes ?

Je me suis donc retrouvé à trois reprises dans des studios des 6e et 14e arrondissements avec des partenaires dont les prix oscillaient entre 150 et 300 euros.

Les jeunes femmes, la trentaine environ, ne correspondaient en rien à l’image qu’elles voulaient donner d’elles-mêmes sur les sites pornos. Je m’y attendais, la naïveté n’étant pas mon principal défaut. En revanche, je ne m’attendais pas à des rencontres aussi pauvres dans l’échange et aussi techniques. À chaque reprise, j’ai eu l’impression d’être traité comme un porc dans une porcherie industrielle. Certes, j’ai bandé (je salue leur technique), mais dans une ambiance totalement déshumanisée. Pour l’affection, on repassera. Pour la douceur aussi. Aucune ne m’a autorisé à la filmer… même en doublant ou triplant les prix.

Sont-elles vraiment indépendantes, comme elles le prétendent? J’en doute fort, car leur connaissance du français ou de l’anglais est quasi nulle.

Celles qui se font passer pour des Japonaises ne savent qu’ânonner quelques mots en japonais. Si elles sont « protégées », je plains leur protecteur, car elles ont des caractères en acier trempé. Ce ne sont en aucun cas des « paumées » dont il serait aisé d’abuser. Si j’en juge d’après le nombre d’appels qu’elles reçoivent en une heure, leurs affaires sont prospères. Meilleures que celles d’un dentiste parisien.

Je n’ai jamais eu le sentiment d’être un « salaud », mais plutôt – tout au moins à leurs yeux – un gogo dont elles se chargeraient vite fait bien fait de vider tout à la fois le portefeuille et la divine semence. Évidemment, si j’avais de surcroît dû payer une amende de 1 500 euros, j’aurais trouvé l’addition salée. Pour une somme raisonnable, j’ai l’impression d’avoir enrichi mes connaissances anthropologiques. Et d’avoir pu vérifier une fois de plus que, si les hommes se paient le corps des femmes, les femmes, elles, se paient la tête des hommes.[/access]

*Photo : GELEBART/20 MINUTES/SIPA. 00646670_000012.

Les mots pour le dire

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peillon zep prepas

peillon zep prepas

Comment formuler l’objet de son exécration ? Comment trouver le mot exact ? « Touche pas au grisbi, salope ! » Ah, ce « salope », quelle trouvaille ! Ah, comme Georges Lautner et Michel Audiard me manquent !

Brunetière, en 1898, trouve « intellectuels » et « intellectualisme »  pour désigner Zola et sa clique dreyfusarde : de la part d’un critique littéraire, professeur à l’ENS, et Académicien, c’était savoureux de réfuter en un mot l’intellect qui le faisait vivre. Pompidou, en mai 1968, trouve, pour résumer l’opinion de De Gaulle, le slogan (admirablement torché, ma foi) « La réforme, oui ; la chienlit, non ». La manifestation gaulliste du 30 mai 68 est sortie de cette formule.

Vincent Peillon, lui, c’est « conservatisme » (au pluriel, parfois) et « élitisme ». Deux gros mots, prononcés du bout des lèvres, avec cette moue insultante que le ministre affectionne : « « Le conservatisme et l’élitisme sont en train de s’organiser », lâche-t-il au moment où les enseignants des classes préparatoires se battent à la fois pur préserver leurs salaires, leurs conditions de travail, et, à terme, le salaire et les conditions de travail de tous leurs collègues, du premier et du second degré. Car personne ne peut croire que l’attaque au missile sur ce confetti que représentent les Classes préparatoires aux Grandes Ecoles ne soit pas un tir d’essai avant ‘offensive générale sur les salaires. Les fonctionnaires, en France comme en Espagne ou en Grèce, sont une cible trop facile pour qu’on résiste à la tentation de l’éparpiller façon puzzle, comme disait Raoul dans les Tontons flingueurs.
Le truc, c’est d’associer « conservatisme » et « élitisme ». De faire croire qu’il y a un lien organique (puisque syntaxique) entre eux. Un peu comme si j’associais, pour caractériser Peillon, le PS et ceux qui s’en inspirent, « modernisme » et « médiocrité ».

Quoique… « Conservatisme », ma foi, est pris en mauvaise part depuis si longtemps que j’aurais mauvaise grâce d’en défendre même l’idée. Encore que si c’est être conservateur, en matière scolaire, que de vouloir que chaque élève s’élève (justement…) au plus haut de ses capacités, oui, je suis conservateur, et tous les parents derrière moi. Mais « élitisme »… Dans un monde drogué aux classements sportifs et aux performances extrêmes, pourquoi cette critique de tout ce qui permet d’aller jusqu’au bout de soi-même — et un peu au-delà ? L’élitisme, n’est-ce pas, c’est cela, et rien d’autre. Le goût du travail mieux que bien fait, cette poursuite d’un apex scolaire qui friserait la perfection, la beauté à portée de main et d’esprit.

En répugnant ainsi à l’élitisme, Vincent Peillon s’engage sur une voie dangereuse — mais malheureusement conforme à la réalité, surtout celle de son ministère. Depuis trente ans (et un peu plus) que les pédagos les plus convaincus ont fait main basse sur l’Ecole de la République, nous assistons à l’orchestration de la médiocrité, de la pauvreté d’esprit, de l’impuissance érigée en principe. Jospin, en 1989, a fourni le cadre légal à cette exaltation de l’à-peu-près et du n’importe-quoi. Puis un réseau serré d’inspecteurs, de prophètes et de didacticiens fous a porté la bonne parole, via les IUFM, et, demain, via les ESPE version Peillon. On prend les mêmes et on enfonce le clou.

Evidemment, en fustigeant ainsi l’élitisme, on fait œuvre pie — et électorale. Les bons esprits sont, par définition, moins nombreux que les bras-cassés. Dire que l’élève doit construire lui-même ses propres savoirs (même l’adulte en est parfaitement incapable, alors, la petite bête brute qu’on appelle un enfant…), c’est inciter tous ceux qui ne pensent pas à exprimer très fort leurs opinions.
Et ils ne s’en privent pas, les bougres. Il suffit de fréquenter certains forums d’enseignants pour voir la bêtise s’étaler au nom de la liberté d’expression — autre principe formateur de cette même loi criminelle de juillet 89 : pour le bicentenaire des Droits de l’Homme, Jospin a sacralisé les droits immortels de la bêtise satisfaite (pléonasme, n’est-ce pas…), du poncif érigé en vertu, de l’horreur pédagogique institutionnelle. La liberté d’expression est le concept inventé par les insuffisants mentaux pour s’arroger le pouvoir — le pouvoir de dire, déjà, puis le pouvoir tout court, au nom de la « démocratie », qui se révèle désormais pour ce qu’elle était dès le départ : la perversion de la République [1. Voir Montesquieu, qui dans l’Esprit des lois (Livre III) prévoyait déjà les délires de la « majorité » devenue tyran dans un système sans « vertu ». Et au Livre IV, chapitre V, lire l’admirable analyse des principes de l’éducation d’un gouvernement républicain.]. Un peu comme le christianisme, selon l’analyse de Nietzsche, est la religion des impuissants. Le succès de l’un et de l’autre ne prouve en rien leur légitimité, et on ne cesse d’être impotent, ou faible d’esprit, sous prétexte qu’on est plusieurs.

Masi c’est à eux que doit logiquement s’adresser un ministre qui cherche à rester populaire. En stigmatisant les profs de prépas, Vincent eillon a cherché à semer dans le corps enseignant des germes de division, d’autant plus facilement que dans ces temps de restrictions financières (cela fait quatre ans que l’on n’a pas revalorisé le point d’indice, cela fait quinze ans que Claude Allègre, le modèle de Peillon, a arbitrairement baissé de 17% la rémunération des heures sup), on joue sur du velours en désignant à la vindicte populaire ceux qui gagnent un peu mieux leur vie.
Je crois pourtant que cette tentative de division démagogique fera long feu. D’abord parce que les prépas sont le premier étage de la fusée — et que d’autres mesures suivront, et que l’on n’attrape pas les mouches avec de bonnes paroles. Les profs de ZEP, soi-disant bénéficiaires des allègements de revenus (20%, quand même) infligés à leurs collègues de CPGE, verront leur feuille de salaire augmentée de 8 euros (si !). Byzance !
J’ai enseigné 12 ans en ZEP. Je sais ce que cela signifie de tension nerveuse, de peur parfois, d’espoirs déçus, et de volonté de faire progresser des enfants arrivés en lambeaux que l’on doit recoller sans plus de moyens que les autres. Je sais aussi que la rémunération est à des années-lumière de ce qu’elle devrait être, et que ce n’est pas 8 euros qui achèteront la conscience malheureuse d’enseignants confinés dans des établissements-poubelles.
La « refondation » de l’Ecole, dont le ministre se gargarise tous les quatre matins, aurait dû — aurait pu — se concentrer sur les programmes et sur la redistribution intelligente des 64 milliards d’euros de budget de la rue de Grenelle. Mais d’intelligence, nous l’avons bien compris, il n’en est pas question. Ce n’est pas populaire, l’intelligence, surtout auprès de tous les imbéciles dont la caractéristique est justement de se croire intelligents, qu’ils soient ministres, membres du SGEN ou de l’UNSA, ou piliers de bistrots. Non, ce qui est populaire, c’est la mise au pilori des « élites ». En brisant les prépas aujourd’hui, les Grandes écoles demain, Peillon suggère fortement aux élites d’aller se faire voir ailleurs — par exemple à Londres où Paris-Dauphine vient d’installer une antenne payante. Ou faut-il désormais écrire « peillante », tant les décisions du ministre ont pour effet immédiat (l’a-t-il pensé seulement ?) de libéraliser encore un peu plus un système auquel la Droite n’avait pas vraiment touché ? Détruire dans l’Ecole ce qui marche le mieux, ne plus donner de but aux élèves qui, au collège et au lycée, se décarcassent, et aux profs qui les forment, contre vents, marées, sinistres et ministres, c’est inciter à multiplier les structures privées, que seuls pourront s’offrir ceux qui déjà se les offrent. Peillon, c’est Bourdieu réhabilité, les héritiers au pouvoir, la reproduction bien en place. Tout ça en prétendant faire le contraire — mais le contraire, justement, ce sont les prépas, et ceux qui les alimentent, de l’école primaire au lycée.

Alors oui, si le « conservatisme » et « l’élitisme » consistent à croire encore que l’on n’a pas besoin d’avoir une cuiller en argent dans la bouche pour accéder aux formations les meilleures et aux emplois rémunérateurs, oui, je suis conservateur et élitiste — et les autres sont des crapules.

*Photo : MEUNIER AURELIEN/SIPA. 00671094_000036.

Mandela, le rugby, le pardon

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nelson mandela rugby

nelson mandela rugby

Le rugby est une chose essentielle. Les Anglais disent du football : « ce n’est pas une question de vie ou de mort, c’est beaucoup plus important que cela ». Le rugby, c’est encore pire. Ce n’est pas un sport universel, il entretient avec l’histoire et la culture des pays où il s’est implanté des rapports très particuliers. La Nation néo-zélandaise n’existe pas. C’est une équipe de rugby qui a un État, c’est tout. En 1951, lors du tournoi des cinq nations, les Français affrontent les Anglais à Twickenham. Pour la première fois de l’Histoire, ils peuvent l’emporter. Mais épuisés, ils reculent. Jean Prat, leur capitaine, leur hurle alors cette apostrophe : « ils vous ont emmerdé pendant cent ans et vous ne seriez pas capables de tenir 10 minutes ? ». Il y a aussi l’histoire de Bob Deans ce fermier néo-zélandais qui se vit refuser un essai qui aurait permis à son pays de battre le pays de Galles et terminer invaincu, la tournée légendaire menée par Rory Gallaher en 1905. Sur son lit de mort, les dernières paroles de  Bob Deans furent naturellement : « cet essai, je l’avais marqué. »

Avec l’Afrique du Sud ce fut toujours très difficile. Là-bas, c’était le sport des Afrikaners qui y avaient injecté leur brutalité et leur arrogance. Les Français, pour la première fois, y firent une tournée en 1958. Homérique, elle se conclut, le 16 août, par la victoire française en test-match à Johannesburg. Abominable humiliation pour les blancs, qui se considéraient comme les meilleurs du monde n’ayant que mépris pour les Néo-Zélandais qui faisaient jouer des coloureds maoris. Pendant cette tournée, les quelques spectateurs noirs parqués dans des tribunes spéciales applaudissaient les Français, les blancs leur lançaient des bananes….

Tous les matches suivants entre les deux équipes furent compliqués, tendus et souvent brutaux. Les Afrikaners voulaient se venger, et les coqs français refusaient de reculer. Image célèbre de Jean-Pierre Rives, capitaine sonné et ensanglanté, à la dérive sur le terrain et refusant de quitter ses partenaires malgré les objurgations de l’arbitre : « Jean-Pierre, il faut sortir, ils vont vous tuer » réponse de Casque d’or : « sortir, mais pour aller où ? ». Le sommet fut atteint lors de la tournée de 1971. Depuis un an, les Sud-africains acceptaient que figurent dans les équipes étrangères qu’ils affrontaient des joueurs de couleur. La France avait sélectionné un poids plume noir de 75 kg, Roger Bourgarel, qui faisait l’objet à chaque match d’attentions particulières (sept points de suture au cuir chevelu après le premier test). « C’est là que j’ai pris conscience d’être noir. Avant, je ne m’étais jamais intéressé à cela, ça ne m’était jamais apparu comme quelque chose d’important. Mais là… ». Il ignorait qu’il venait d’un pays, qui comme nous le dit tous les jours Libération, est complètement gangrené par le racisme… Le 19 juin 1971 eu lieu, à Durban devant un stade blanc médusé et silencieux, la plus grande bagarre de l’histoire du rugby international. Emmenés par quelques glorieux « grands arbres », Dauga, Bastiat, Claude Spanghero, les Français refusèrent que l’on s’en prenne de nouveau à « Boubou ». Une légendaire « partie de manivelle » qu’il est un privilège d’entendre raconter par ceux qui en furent (au cours, par exemple d’une dégustation comparative de grands armagnacs conduite par Dauga,  grand spécialiste). Les Sud-africains prirent conscience qu’ils allaient avoir le dessous. Charles Marais leur capitaine vint trouver Benoît Dauga dans l’invraisemblable mêlée : «C’est fini, Benoît ? » « C’est comme il vous plaira » lui répondit le capitaine Montois. « Si vous voulez vous battre, on se bat. Si vous voulez partir, on s’en va. Si vous voulez qu’on joue, on joue ». « On joue » s’inclina Marais.

L’équipe d’Afrique du Sud fut par la suite bannie de compétitions et de tournées, l’apartheid obligeant les Noirs à ne jouer qu’entre eux.

Ayant été personnellement et professionnellement impliqué dans le combat mené de l’extérieur contre ce système, j’en avais acquis une petite expérience. J’étais très pessimiste sur l’issue. Profondément ému par la libération de Mandela, par la fin proclamée de l’apartheid, je pensais cependant que tout cela risquait de mal finir. Trop de violences, trop d’humiliations, trop de souffrances, trop de peurs. Toujours inquiet, je regardais à la télévision un an après l’élection de Mandela à la présidence, la coupe du monde de rugby 1995 qui se déroulait dans son pays de retour dans la communauté sportive internationale. Le jour de la finale qui opposait  l’Afrique du Sud à la Nouvelle-Zélande, je reçus, incrédule, le choc de son entrée sur le terrain, avant le match, revêtu du maillot Springboks portant le numéro 6. Celui de François Pieenar, le capitaine. Comment, le symbole, l’icône du combat contre l’apartheid, venait soutenir et rendre hommage à l’équipe qui en était l’incarnation ? Geste inouï, geste qui me fit prendre conscience jour-là, que la guerre était finie.

Je ne me suis pas intéressé aux surenchères dont la disparition de Mandela a été l’occasion. À l’émotion sincère se sont ajoutés de curieux spasmes d’adoration, de l’ignorance et de la mesquinerie qui en disent long sur l’époque. Au-delà de la magnifique humanité du personnage, je veux garder la conviction, au travers de la leçon donnée ce jour-là, que la politique peut toujours faire quelque chose. Et bien sûr, que le rugby est vraiment essentiel.

 *Photo : Ross Setford/AP/SIPA. AP21492754_000003;

 

Nos excuses à David Serra et aux éditions Ring

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En septembre 2012, Causeur a publié un billet de Jacques de Guillebon intitulé « Dantec, une renaissance », recension personnelle du conflit qui opposait Maurice Dantec à son ancien agent David Serra. En se basant uniquement sur les déclarations de Maurice Dantec pour qui Jacques de Guillebon a pris parti sans précautions comme d’autres blogueurs par ailleurs, notre auteur n’a pas mené d’enquête en écoutant uniquement les arguments d’une des parties, son article s’appuyant sur des informations dénuées finalement de tout fondement. Après avoir eu connaissance de nombreux éléments, comme celui où l’auteur lui-même exigeant de son ancien agent dès 2005 de le couper de tous ses principaux contacts parisiens, nous présentons ici même nos plus sincères excuses à David Serra et à sa famille pour l’injustice des propos tenus à son encontre.

Libertaires de 68, puritains de 2013

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mai 68 feminisme

mai 68 feminisme

Trouvé cet objet bizarre sur le site materialistes.com en consultant le Web, par une curiosité en voie d’épuisement, au sujet de la pénalisation des clients de prostituées : une critique au lance-flammes des 343 signataires de ce « manifeste fasciste » et, plus globalement, de la « revue de droite ultra-conservatrice et décadente Causeurs » (sic).

Pour être précis, il s’agit du « document 45 » paru sur le site officiel du PCMLM, Parti communiste marxiste-léniniste maoïste. Pourquoi évoquer ce document rédigé par un groupuscule réduit à l’état de microscopique fossile ? Parce qu’il vient d’un temps lointain, justement, où la lutte des classes conjoignait le puritanisme le plus implacable aux libertés sexuelles les plus innocentes. On y relève ainsi cette phrase optimiste : « Après-demain, lorsque la révolution socialiste aura triomphé et que les fascistes auront été exécutés, la bourgeoisie expropriée, effectivement la prostitution et la pornographie seront écrasés, au profit de la romance et de l’érotisme, car l’épanouissement ne peut aller qu’avec la dignité et le caractère authentique des sentiments. » Programme exaltant…

S’étonnera-t-on que le romantisme révolutionnaire mette ses pelotons d’exécution et ses camps d’internement au service de la cause des femmes ? Aujourd’hui il y a de quoi s’éberluer, mais en 1968 et les années suivantes, ce genre de cauchemar sentimental enchantait des franges ardentes et généreuses de la jeunesse. Ceci pour signaler que le mouvement libertaire, loin d’être uni, comprenait dans ses replis les plus farouchement gauchistes un versant puritain déjà opérant dans la Chine de Mao, puis parfaitement réalisé dans le Cambodge de Pol Pot avec le triomphe d’un collectivisme intégral, l’abolition de l’argent, de l’intime et de toute liberté. Qu’une poignée d’irréductibles se réclame aujourd’hui encore de régimes génocidaires pour chanter la « romance », l’« érotisme » et la « dignité des sentiments » souligne la permanence d’une volonté répressive de nature purificatrice au coeur même des idéaux d’émancipation.

Évidemment il ne s’agit plus, pour les éthérés cloîtrés dans leur bonne conscience, de régler à la mitrailleuse les questions morales. Certains continuent sûrement d’en rêver, mais l’époque a perdu l’espérance des « grands soirs ». Sur elle souffle désormais une brise presque démocratique qui se limite, contre les « néo-réacs », à des bordées d’injures et à des torrents de boue. À défaut de débattre, on n’abat plus : on se contente de haïr. On peut s’étonner, là aussi, d’une telle inaptitude à penser contre soi, et d’un tel manque de respect à l’endroit de ses contradicteurs.[access capability= »lire_inedits »]

Reste que, dans son ensemble, le puritanisme contemporain a déserté le champ proprement politique pour se polariser sur les questions liées à la libération des femmes. Car aucune époque ne s’est montrée aussi éloignée du puritanisme que la nôtre, du moins en apparence. Elle affiche une sexualité tous azimuts, balayant le spectre entier de ses représentations possibles, depuis l’esthétique raffinée de photos de mode où les effets de lumière et le charme des poses subliment la nudité, jusqu’aux vidéos les plus trash en libre accès sur le Net, lait pornographique que biberonnent les générations nouvelles. Rien de puritain dans les LGBT Pride, dans le « mariage pour tous », dans L’Inconnu du lac ou La Vie d’Adèle, ni dans le culte du corps sous toutes ses formes, sportives, artistiques, hygiénistes, au point qu’on a élevé le thème du corps, dans les arts comme dans le cercle universitaire des lettres et sciences humaines, au rang d’icône.

Que fait la cyber-police ? Il se pourrait néanmoins que ce soit précisément par la fenêtre du corps que revienne le puritanisme autrefois chassé par la porte de la révolution sexuelle. Sous le coup d’un retournement dont l’Histoire est prodigue, l’esprit libertaire, dont procède le féminisme reconnu enfin comme force motrice, se trouve désormais menacé par les victoires que peuvent revendiquer à juste titre les homosexuel(le)s et les féministes radicales, minorités alliées depuis des décennies contre le système patriarcal, lequel, en dépit des assauts, préserve ses positions tout en déclinant. Symbolisé par l’irrésistible expansion des biotechnologies, le culte de la vie qui caractérise la postmodernité éclaire le succès de ces minorités, succès matérialisé par l’exhibition des corps tels que les met en scène, actuellement, l’exposition « Masculin/Masculin » au musée d’Orsay. Mais ce même culte de la vie et ce même corps minoritaire tendent à se développer toujours davantage aux dépens du corps archaïque, celui du mâle blanc hétérosexuel, qui se repère en premier lieu dans la verticalité du pouvoir incarné par l’Église, reçu pour mortifère, oppresseur, discriminant, c’est-à-dire conservateur.

Il va de soi que les succès remportés par les minorités sociétales comprennent des retombées positives, à commencer par le droit qu’elles ont vaillamment acquis de s’exprimer en pleine lumière. Cependant l’incroyable violence symbolique qu’elles se permettent à l’égard de l’Église et, plus généralement, à l’égard de l’esprit conservateur, témoigne de la radicalité insatiable du combat qu’elles mènent. À titre d’exemple, il est arrivé à Charlie Hebdo de tourner en dérision le pape Benoît XVI avec une brutalité inouïe, équivalente toutefois au courage que ce magazine démontre en publiant les caricatures du Prophète.

Bien sûr, dans les deux cas, c’est la religion qu’on pourfend, autrement dit la liberté qu’on défend, ou plutôt qu’on croit défendre. Et c’est là qu’on retrouve le retournement de la liberté en son contraire. Paradoxe d’une sincère mais naïve volonté de progrès, Najat Vallaud Belkacem décide, au nom de l’émancipation des femmes, de réhabiliter contre les clients de prostituées le « surveiller et punir » naguère démonté et dénoncé par Michel Foucault. Pour traquer les passes commises dans le secret des alcôves, voilà l’actuelle ministre du Droit des femmes conduite à mobiliser les formidables moyens de la cyber-police en guise de panoptique, ce type de prison imaginé au XVIIIe siècle par Jeremy Bentham pour obtenir, grâce à une architecture appropriée, une surveillance totale des détenus.

Cette décision qui s’inscrit dans le processus généralisé d’espionnage et de transparence permis par l’outil informatique repose sur l’idée, partagée entre autres par les révolutionnaires de 68, que l’Histoire suit un cours inéluctable, et que c’est aller dans le sens du progrès politique et moral que de réprimer sans état d’âme ce qui s’y oppose. Les meilleures intentions du monde – combattre les misères de la prostitution – transforment alors la lutte des femmes, dont personne ne conteste la nécessité, en guerre de dames patronnesses soucieuses de coercition à l’encontre des hommes coupables de désirs inconvenants, et de rééducation des filles perdues.

Il est impossible de ne pas percevoir sous ces intentions l’ancienne aspiration à faire table rase du passé pour changer l’humanité en vue de la rendre meilleure : plus saine, plus propre, plus vertueuse. Malgré la montagne de crimes perpétrés par les sociétés totalitaires du XXe siècle qui ont assis leur système répressif sur ce projet faustien, la leçon n’a pas suffi : sous une forme hautement civilisée, le projet perdure. Et il s’en remet à l’État pour s’accomplir.

Le recours aux moyens de répression policiers distingue le féminisme radical, qui en recherche l’exercice pour parvenir in fine au renversement de la domination masculine à son profit, du féminisme réformiste qui, confiant dans la responsabilité individuelle de toutes et de tous, prend acte de la réalité suivante : dans leur principe, l’égalité en droits de l’homme et de la femme et l’exigence de parité sont, au sein de la société française, globalement acceptés. Ce fait ne signifie d’aucune manière que l’idéal est atteint : il reste une grosse masse de grain à moudre, de résistances à vaincre.

Mais, si considérables soient-ils, les progrès à réaliser se situent dans ce cadre, pas dans le renversement d’une domination en une autre. C’est ce qui justifie l’insistance sur la sauvegarde à tout prix des libertés individuelles, fondement du contrat volontaire entre parties responsables, de préférence à l’imposition contraignante de la loi. Le puritanisme n’a pas conscience de ce qu’il est, et il n’a pas de limites : c’est son plus grand danger. Il avance à coups de boutoir sans se préoccuper de ses excès ni de ses contradictions. Il s’avère même capable de fourvoyer l’analyse d’une anthropologue aussi éminente que Françoise Héritier, à en croire du moins l’association abolitionniste Zéromacho qui la cite en ces termes : « Dire que les femmes ont le droit de se vendre, c’est dire que les hommes ont le droit de les acheter. » Or il est tout à fait manifeste que les prostituées ne se vendent pas, mais vendent leur force de travail sous forme de prestations tarifées, et que les hommes ne les achètent pas, mais achètent le plaisir que ces prestations leur fournissent. Les seules femmes qui se vendent, sans d’ailleurs que leur droit personnel soit impliqué, sont les fillettes que leurs parents proposent, moyennant tribut, pour des mariages arrangés. On ne dira même pas que les femmes qui monnaient la participation de leur corps à une gestation pour autrui se vendent, mais qu’elles louent leur ventre sans pour autant cesser de s’appartenir.

Ces confusions dans l’approche théorique du problème trahissent des a priori idéologiques par définition contraires à l’honnêteté intellectuelle qui devrait prévaloir dans l’abord de ce problème, d’une importance indéniable puisqu’il se rapporte en profondeur aux relations qu’entretiennent les femmes et les hommes. Les anciens gauchistes, tout comme le féminisme radical qui soutient l’abolition en matière de prostitution et, sans doute, de pornographie, réprouvent le lien, certes regrettable mais aussi universel qu’évident, entre le sexe et l’argent. Ils en arrivent ainsi à une conception virginale de la femme, dont l’intégrité corporelle rime pour eux avec la pureté de l’âme. Même librement consentantes, les prostituées seraient des victimes en tant que les jouissances sexuelles dont elles font commerce les souilleraient. À suivre ce genre de raisonnement, dans le monde irénique qu’ils s’attachent à fonder, enfin délivré de la figure autoritaire du père, de la marque des ancêtres, du sceau des traditions et, au bout du compte, de l’altérité sexuelle (exemplairement, dans l’univers du communisme intégral rien ne distingue, sur le plan vestimentaire, les hommes des femmes), le credo de l’immaculé régnera. Sonia Semionovna, la prostituée mystique de Crime et Châtiment, passera aux oubliettes. Cet obscur objet du désir de Luis Buñuel ne sera plus compris, ni Belle de jour de François Truffaut, ni La Maman et la Putain de Jean Eustache, ni tant de films, de romans, de récits qui n’ont que faire de la « romance » et du « caractère authentique des sentiments ».

Tout sera simple, sain, bardé d’interdits, surveillé. On sera frères et soeurs, sans ombres et sans passé. On sera tout neufs. On sera purs. On s’ennuiera à mourir.[/access]

*Photo : Mourir à 30 ans.

Et maintenant, voilà la Chinafrique!

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chine afrique france

chine afrique france

La plupart des commentateurs se réjouissent de l’intervention française en Centrafrique, évoquant l’Afrique comme notre « un pré carré » stratégique et commercial. Leur analyse occulte un fait majeur : la France est en train de se faire damer le pion par la Chine sur le continent noir. Notamment dans le domaine agroalimentaire.

Peu d’observateurs le notent, mais la Chine achète de plus en plus de terres agricoles en Afrique subsaharienne. Si la hantise de Mao était de ne pouvoir nourrir l’immense population de l’empire du Milieu, c’est également l’inquiétude des autorités chinoises actuelles. L’avancée du désert de Gobi, les sécheresses à répétition, l’exode rural massif et la construction du barrage des Trois-Gorges[1. L’édification de cet ouvrage monumental a englouti 436 km2 de terres arables et déplacé 1,8 millions de personnes qui n’ont pas toutes été indemnisées.] expliquent le recul des terres cultivables de l’Empire du milieu.

Conscient du potentiel agroalimentaire immense du continent africain, le gouvernement chinois incite ses paysans sans terre à émigrer. Une fois la semelle posée sur le sol africain, ils achètent des terres sous le regard bienveillant des chefs locaux amadoués par les pots de vin. On ne demande pas l’avis des paysans africains qui sont expropriés, et souvent mis devant le fait accompli.

Malgré les critiques, Pékin argue que ses investissements africains profitent à l’économie locale. Habilement, la Chine renvoie ses possibles rivaux, notamment la France, dans les rets du « droit de l’hommisme » et de la repentance post-coloniale. Bonnes âmes, les Chinois importent leur propre main d’œuvre du pays. Aussi, les Africains ne profite-t-elle guère de la manne pourtant promise.  Certes, se produisent parfois des révoltes paysannes mais ces soulèvements sporadiques restent circonscrits à des territoires précis. Aussi ne menacent-ils pas la nouvelle relation sino-africaine que Pékin promeut au nom de la solidarité « Sud-Sud ».

En Tanzanie, s’étendent à perte de vue des terres où l’on cultive de manière intensive le maïs pour ensuite l’exporter vers la Chine. Pour l’ensemble du continent africain, l’enjeu n’est pas simplement symbolique. Les sociétés agricoles chinoises s’appropriant les meilleurs terrains, un avenir incertain s’annonce pour les 2.5 milliards d’Africains – contre un milliard actuellement – qui peupleront le continent. Comment nourrir tout cette population, a fortiori si l’on exporte ses ressources ?

On connaît déjà les difficultés du continent en la matière. Malnutritions, disettes, famines, à chaque fois le pire est évité grâce à l’aide internationale. Mais la population reste dépendante. Et pourtant, les ex-colons européens font tout pour payer leur dette au continent. Lors de son discours du 10 mai, au cours de la cérémonie commémorant l’abolition de l’esclavage, François Hollande avait déclaré : « Nous savons la part funeste prise par la France dans l’exploitation des terres d’Afrique à travers ce sombre négoce », et d’ajouter que les soldats français intervenaient notamment au Mali en reconnaissance de cette dette.

Empêtrée dans la repentance mémorielle, la France regarde les trains passer. Mieux, elle se saigne pour se racheter et aider l’Afrique à devenir indépendante sur le plan alimentaire. Ainsi, en 2012, sur près de 7 milliards d’engagements français en faveur du développement international, 2 milliards étaient alloués au seul continent africain. Cela passe par le financement de semis, de plants, de puits, de fermes, mais aussi par l’annulation de la dette de la Côte-d’Ivoire (3 milliards d’euros) généreusement accordée par le gouvernement français.

Paradoxalement, les populations locales considèrent cette aide au développement comme la dernière relique du colonialisme européen de papa. Du point de vue des élites africaines, la nouvelle donne chinoise apporte un vent d’air frais. Pékin risque pourtant de leur laisser des miettes, sans la mauvaise conscience de la France, laquelle se montre de plus en plus docile à l’égard de ses bailleurs de fond chinois[2. Une grande partie de la dette française est détenue par la Chine.]. Mais quelle plus belle fin que de mourir la main sur le cœur ?

*Photo : Andy Wong/AP/SIPA. AP21258231_000001.

Chronique bête n°4 : la fable du poney et du hérisson

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En liminaire, n’attendez de moi aucun commentaire sur Serge le lama – célèbre camélidé devenu multimillionnaire pour avoir pris le tramway bordelais avec des amis fêtards sans même demander l’autorisation d’Alain Juppé[1. Sont-ce les mêmes qui avaient volé, il y a quelques années, le légendaire canapé Chesterfield ?].

Pourtant l’heure est grave. Sachez que l’okapi se meurt. L’AFP nous apprend que « L’okapi ou « girafe des forêts » a rejoint la liste rouge des espèces menacées par l’Union internationale pour la conservation de la nature. L’okapi, animal mystérieux à la morphologie étrange évoquant à la fois le zèbre et la girafe, vit uniquement dans les forêts tropicales de la République démocratique du Congo dont il est le symbole national. » Dans le même temps, le méconnu ministre de l’écologie Philippe Martin (appartenant à la même équipe que Jean Dupont, secrétaire d’Etat au commerce participatif, Marcel Durand, ministre délégué à rien du tout et Albert Dugland, porte-parole) s’exprime dans les colonnes du quotidien La République des Pyrénées pour dire tout le bien qu’il pense des ours. Le ministre lâche : « Ma mission est de protéger la biodiversité et donc d’assurer la conservation de l’ours brun ». Le journal titre « Philippe Martin veut conserver l’ours ». Le gouvernement est au taquet. Cela fait plaisir.

Mais malgré cette attention portée aux animaux, les équidés sont dans la rue ! « Quelque 600 piétons et cavaliers de toute la Côte d’Azur, accompagnés de 170 chevaux et poneys selon la police (300 bêtes selon les organisateurs), ont marché dimanche sur la promenade des Anglais pour dire non à une hausse de la TVA sur les activités des centres équestres », rapportait récemment l’AFP. Parmi les slogans entonnés, retenons celui-ci, qui fera date : « Hollande t’es foutu, les poneys sont dans la rue ! » Faisons le pari que – cruellement – les historiens, dans deux cents ans, définiront ainsi le quinquennat hollandais : « Période trouble durant laquelle des ânes ont porté au pouvoir un homme plein d’humour, à cheval sur les bons mots, qui a réussi à faire l’unanimité contre lui, et même provoqué le courroux des poneys. » Dur.

Dans une précédente chronique bête, j’évoquais le porc-épic au travers de la prose de Pline l’ancien (voilà typiquement le genre de chose que Mediapart ne fait jamais). Posons ce principe : qu’importe la longueur des pics, l’important est l’ivresse… C’est pour cette raison qu’il ne faut nullement négliger le hérisson, qui – depuis toujours – fascine les naturalistes et fait rire les enfants. Le sympathique mammifère insectivore – qui prend les traits de « Sonic » dans l’univers des jeux vidéo – a fait une entrée fracassante dans l’actualité judiciaire , chez nos confrères de La Nouvelle République du Centre Ouest[2. Journal régional totalement punk qui nous avait déjà inspiré cette précédente brève.]. L’affaire pourrait sembler futile. Il s’agit du cambriolage d’un marchand de vins. Le journal titre pourtant son compte-rendu d’audience : « Chasse nocturne au hérisson ou rendez-vous coquin ? » Pourquoi ? Car la défense des prévenus – bras cassés et moi non plus – dépasse les attentes les plus folles des amateurs de faits divers… Ils ont pénétré de force dans l’échoppe pour se livrer à une partie de… « chasse » aux hérissons. « Leur seconde audition – nous apprend la NRCO – ne permet guère de progresser. Téo reste sur sa version : la chasse au hérisson, la cagoule contre le froid et les gants pour se prémunir des piquants de la bête ! ‘Alors, messieurs, aujourd’hui, qu’avez-vous à nous dire ? Avez-vous réfléchi à quelque chose de plus sérieux ?’ L’espace d’un instant, le tribunal semble y croire. Kévin prend la parole et promet de tout dire. La surprise est à la hauteur de l’espérance : ‘Si on ne voulait rien dire, c’est à cause de nos femmes ! On avait rendez-vous avec une demoiselle. C’était une soirée à thème dans le sauna !’ » Un sauna, voisin du marchand de vin, décrit dans cet article délectable comme « certes libertin, mais aussi citoyen » car ayant donné l’alerte. L’avenir est aux donneurs d’alertes…

Le gang des chasseurs poitevins de hérissons repart donc avec du sursis. Tout porte tragiquement à croire que leur aventure s’arrête là… Dommage. On aurait pourtant adoré rendre compte de la suite comique des péripéties de cette fine équipe. Les grandes associations criminelles portent quasiment toujours des noms d’animaux colorés. Le gang des « souris vertes » : celui des « panthères roses ». Il ne reste plus qu’à trouver la couleur du gang des hérissons…

Mandela tous les jours

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nelson mandela insecurite

nelson mandela insecurite

Depuis la mort de Nelson Mandela le 5 décembre, on n’en fait pas trop sur cette immense personnalité et ce caractère formidablement trempé. Pourtant sensible à l’hypertrophie, je n’ai rien à redire face à cette émotion quasiment universelle comme si le corps de l’humanité avait perdu l’un de ses membres. Se trouvait amputé d’un organe essentiel.

Rien de fait n’a été plus ridicule que l’absence de réactivité de France Inter préférant s’autocélébrer plutôt que de consacrer sa « matinale » à cette disparition (Le Figaro), alors qu’au quotidien cette radio nous « bassine » avec un progressisme conformiste et condescendant. Elle donne des leçons alors qu’elle mériterait d’en recevoir.

La violence et la lutte armée dont Mandela a été l’un des fers de lance, quand, chef de la branche combattante de l’ANC, il les a mises en oeuvre, n’assombrissent pas son image. En effet, il ne s’y est résolu qu’après avoir prôné une modération qui ne servait que l’adversaire. Le scandale absolu, pour son pays, de l’apartheid rendait légitime tout ce qui visait à s’y opposer, quelles que soient les manifestations de ce refus. Surtout Mandela, contrairement à tant d’autres, n’a jamais cherché à justifier le terrorisme et à se donner bonne conscience. Devant la Commission Vérité Justice, il a assumé et n’a pas ennobli hypocritement le sang et la mort résultant de son action un temps sans merci.

Il a démontré, une fois libéré, à quel point son obsession n’était pas de tuer et de faire tuer mais d’imposer cette intrépidité inouïe à son peuple de savoir résister à ce qui venait le plus naturellement aux victorieux sous toutes les latitudes : la vengeance et la haine institutionnalisées à rebours.

Ce qui m’importe, c’est l’exemple de Mandela et la manière dont tous les jours son courage, sa fermeté, son intransigeance admirable pourraient, modestement, irriguer nos comportements. Je ne voudrais pas qu’on saluât Mandela précisément pour l’oublier et ne pas en tirer, dans nos vies personnelles et sociales, de quoi les redresser, les améliorer.

Cette réflexion ne surgit pas en moi par hasard mais elle suit un moment de grande honte et de vraie lâcheté dont j’ai été à la fois le témoin et le coupable, le 7 décembre, dans le métro qui m’emmenait gare de Lyon. Monté dans la rame à Madeleine, je suis resté debout et j’ai tout de suite remarqué deux jeunes gens noirs parlant fort, cherchant à se faire remarquer, vautrés côte à côte sur une banquette avec leurs pieds sur la banquette d’en face.

Cette attitude ostensiblement grossière me donnait envie de réagir en les invitant à adopter une autre attitude. Je les observais de dos mais je ne tentais rien. Je n’étais pas Lino Ventura qui, dans ses films, leur aurait enjoint de se comporter autrement et qui, s’ils n’avaient pas obtempéré, aurait eu le geste qui convenait.

Jusqu’à ma descente gare de Lyon, je n’ai pas cessé de me torturer pour rien puisque je n’ignorais pas que je demeurerais passif et silencieux, tout en me culpabilisant parce que rien n’est plus insupportable que la faiblesse qui offense l’honneur plus qu’elle ne contredit la virilité.

Je n’étais pas le seul à ressentir un malaise puisque les autres voyageurs jetaient des regards rapides sur ces quatre pieds salissant la banquette inoccupée et que ceux qui survenaient à chaque station faisaient tout pour éviter d’avoir à déranger ces jeunes messieurs. Je n’étais pas le seul lâche, nous l’étions tous et l’indifférence affectée par tel ou tel n’était que le masque dont se sert la pusillanimité pour pouvoir se supporter, se pardonner.

J’aurais dû prendre sur moi et leur demander d’enlever leurs pieds de là. Cette incorrection me concernait, elle nous concernait tous et je n’étais pas assez médiocre pour me réfugier derrière l’absence d’un quelconque officiel ayant eu par ailleurs plusieurs fois l’expérience, ici ou là, notamment dans le franchissement des portiques, de l’inertie résolue des contrôleurs.

J’aurais dû intervenir et probablement je me serais mis dans un risque de conflit, de bagarre. J’aurais eu droit, comme toujours, à la semonce qui accable celui qui a eu l’audace de faire respecter un minimum de savoir-vivre plutôt que ceux qui l’ont salement transgressé.

Mais je suis resté coi.

C’est en acceptant ces défaites minimes, dérisoires du quotidien qu’on baisse insidieusement pavillon devant l’intolérable et qu’on participe à l’avilissement social. À force de se retenir et d’avoir peur, on perd. À force de s’effacer par prudence et de vivre avec la tête basse, de démissions en reculades, pour l’insignifiant comme pour le grave, on coule.

Il y a un usage de Mandela et de l’admiration qu’il a suscitée qui donne beaucoup de clés pour les infimes héroïsmes que nous devrions assumer. Il n’y a aucune raison pour que, contrairement à lui, nous partions battus par avance, par principe. Il y a des non modestes qui ont une valeur infinie.

Mandela tous les jours comme une inspiration : j’aurais alors surmonté sans l’ombre d’un problème mon écartèlement minable entre volonté d’exigence et crainte de l’action, de l’injonction et j’aurais été fidèle à l’image, à l’allure dont malgré mille rechutes je me persuade qu’elles devraient gouverner mon existence.

Mandela tous les jours : une leçon à appliquer sans modération.

*Photo : Ben Curtis/AP/SIPA. AP21494258_000071.