Accueil Site Page 2386

Dexia : on vous l’avait bien pas dit

7

Pourquoi se fatiguer à écrire des brèves, quand les attachés de presse vous mâchent le travail ?
Et même si parfois les nouvelles ne sont pas toutes fraiches, elles valent parfois leur pesant de pommes chips

Voilà en effet la dépêche publiée par Reuters le 23 juillet dernier, laquelle paraphrasait le communiqué de Dexia :

« Dexia a annoncé vendredi avoir largement réussi les tests de résistance des banques européennes à des scénarios de dégradations économiques pires que prévu (sic) et à une nouvelle crise sur les dettes souveraines. Recapitalisée à hauteur de 6,4 milliards d’euros durant la crise financière par la France, la Belgique et le Luxembourg, Dexia a affiché un ratio Tier One de 10,9% dans un scénario « stressé ». La barre de 6% a été choisie par le Comité européen des contrôleurs bancaires (CESB) comme seuil de fonds propres suffisants et le minimum réglementaire est de 4%. Ce chiffre de 10,9% est le plus élevé des quatre autres banques françaises testées (BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole et le mutualiste BPCE.
« En conclusion du stress test, il apparaît que Dexia n’aurait pas besoin de fonds propres supplémentaires pour résister au scénario ‘dégradé’ à deux ans du CEBS, y compris en cas de nouveau choc lié aux dettes souveraines » a indiqué la banque franco-belge dans un communiqué.
»

Comment dit-on rire jaune en wallon ?

La guerre des gauches n’aura pas lieu

4

Du Front de gauche aux groupuscules nationaux-républicains, la plupart des militants de gauche n’ont pas de mots assez durs pour dénoncer l’idéologie « libérale-libertaire » des « sociaux-traîtres » vendus au marché. « Gauche américaine », profèrent-ils en guise d’anathème, oubliant ou ignorant que les États-Unis sont aussi la patrie d’un socialisme populiste que l’on retrouve chez certains dissidents de la « New Left » comme Paul Piccone et Christopher Lasch.

À intervalles réguliers, ils justifient néanmoins leur alliance avec la lie sociale-démocrate qu’ils pourfendent au nom de la lutte contre une droite « antirépublicaine », « antisociale » , voire, « néo-libérale ». Certains esprits indépendants, croyant défoncer les portes de l’anticonformisme, vont jusqu’à prôner une alliance transversale avec les gaullistes sociaux pour conjurer la collusion des forces du marché et du « capitalisme de la séduction » qu’incarne la gauche sociétale. Vaste programme, dirait l’autre !

Hélas, un socialiste intégral[1. Pour parler comme Benoît Malon (et non Maurras).] et conséquent ne réduit pas sa révolte au volet sociétal des analyses anticapitalistes radicales de Michel Clouscard.[access capability= »lire_inedits »] En ne retenant que la critique anti-« lib-lib »¸ nos amis anticonformistes de gauche appliquent à la société du salariat ce que Jean-Claude Michéa nomme l’illusion « Meiji ». Comme leurs adversaires libéraux-conservateurs − mais, reconnaissons-le, à un degré moindre −, les défenseurs acharnés d’une gauche planificatrice se raccrochent aux oripeaux usés du capitalisme patrimonial et aux compromis avec les valeurs traditionnelles qui ont permis son développement au cours des Trente glorieuses.

Or, il ne suffit pas de crier haro sur le néo-libéralisme et sus au pédagogisme pour combattre les conséquences culturelles des lois d’un marché que l’on se résoudrait à réguler faute de mieux. Aujourd’hui, foin d’abolition du capitalisme en cinquante jours, comme le proposait le Ceres au milieu des années 1970, l’hypothèse même d’un enrégimentement du secteur marchand au sein d’une économie laissant une large place à la libre association, au don et au partage du travail suscite des réactions pavloviennes : « Utopistes » ! L’invective vaut compliment : au XIXe siècle, les socialistes scientifiques lançaient ce qualificatif au visage de leurs contradicteurs coupables de ne pas communier à l’Église de l’émancipation programmée.

Parce qu’ils ne poussent pas la enrégimente-ment critique à son point d’aboutissement, nos honorables alter-capitalistes s’enferment dans un discours archéo-républicain nostalgique de la France du Général. Ah, les années 1960 ! Époque chérie du « capitalisme coopératif », du compromis fordiste capital/travail, de l’ordre financier de Bretton-Woods, des centrales nucléaires et des usines Renault dans lesquelles une simple consigne de la CGT suffisait à mettre au pas des millions d’ouvriers… De quoi pantoufler pépère en entonnant le « Tu le regretteras » de Gilbert Bécaud !
Ironiquement, l’incapacité de « l’autre gauche » à se projeter au-delà du capitalisme[2. Qui, comme Michéa le démontre brillamment, ne peut générer qu’une société de marché immergeant les individus-consommateurs atomisés dans le nihilisme moral.] la rapproche de ses meilleurs ennemis libéraux. Gauche réac, patriote et souverainiste contre gauche mondialo-socio-libérale : toutes deux rêvent de lendemains qui chantent, qui par la multiplication des emplois de service, qui par la prolifération des centrales nucléaires au parfum (puant) d’ouvrier d’antan.

Fondamentalement, ces deux gauches siamoises convergent dans le dogme du Progrès humain par l’économie. En ce sens, leurs imaginaires ne sont ni plus ni moins colonisés par le capital que ceux des ouailles d’Hayek et von Mises : entre les partisans d’un État minimal et les néo-colbertistes, l’essentiel n’est-il pas d’attendre le salut par le marché, fût-il régulé ?

Contre le « bougisme » libéral, nos Prométhées alternatifs ne proposent qu’un « reculisme » graduel qui discrédite par avance leurs velléités de réforme sociale, économique ou culturelle. La nostalgie ne fait pas un programme, même quand elle prétend revenir à un moindre mal ante-mondialiste.

À tout prendre, le néo-barriste Gérard Collomb, maire PS de Lyon, a le mérite de dissiper tout malentendu : saint-simoniste revendiqué, il assume le productivisme − certes mâtiné de morale à l’eau de lilas pour complaire à ses électeurs bourgeois − comme horizon ultime de l’humanité. Mais toutes les gauches, en célébrant leurs épousailles avec la Croissance, sanctifient leur adhésion à un processus d’accumulation économique infini dans un monde fini, sans cesse relégitimé par la vision apocalyptique d’une France moyenâgeuse, privée de smartphones et des merveilles du packaging. En utilisant le même registre larmoyant, on pourrait leur rétorquer que la vie technicisée conduit à la barbarie et l’arraisonnement du monde à son épuisement, donc à sa fin.

Dans ce domaine, en dehors de l’hétérodoxie du Mauss, de L’Encyclopédie des nuisances et de quelques autres cercles autour de La Décroissance, la gauche mainstream nous invite à lever le pied sur le chemin du précipice en développant un néo-capitalisme vert inspiré du Grenelle de l’environnement. Pour ne pas contrecarrer l’extension indéfinie de la forme-capital, l’État monnaiera des permis de polluer, poussant un peu plus loin le jeu du marché au profit des plus gros poissons industriels.

À ceux qui cherchaient la recette de l’art de la synthèse sauce Hollande, le progressisme fournit la réponse. De Mélenchon au centre-gauche, le mirage d’un avenir capitaliste heureux complète l’antifascisme pavlovien comme mythe mobilisateur. En avant la musique, battons Le Pen et Sarkozy…
Malgré leur inconséquence idéologique, concédons aux gauchistes à mégaphone qu’eux, au moins, nous rappellent l’impasse où nous enferme un capitalisme qu’on ne peut pas enfermer entre quatre murs.[/access]

Pour acheter ce numéro cliquez ici
Pour s’abonner à Causeur cliquez ici

Egypte : de la révolution à la terreur

221
Photo : omarroberthamilton

Les Coptes deviennent-ils indésirables dans leur propre pays ? Après les émeutes qui ont fait des dizaines de morts au Caire dimanche, la question se pose. Les chrétiens qui manifestaient devant les bâtiments de la télévision ont été rapidement pris en tenaille entre les forces armées qui ne faisaient pas dans la dentelle ( des véhicules blindés ont foncé dans la foule à plusieurs reprises), et des groupes de salafistes et de voyous qui pourchassaient les chrétiens non pas jusque dans les chiottes à la Poutine, mais jusque dans l’hôpital chrétien où les victimes de la répression policière avaient trouvé refuge. Dimanche, à la télévision d’état égyptienne, on diffusait un reportage montrant un soldat blessé qui s’en prenait aux chrétiens, ces « fils de chiens », responsables selon lui de la mort d’un de ses collègues.

Dans un premier temps, le gouvernement et les médias officiels accusaient les Coptes d’être à l’origine des violences et d’avoir tué jusqu’à 19 soldats, accusations reprises sans guère de recul par les sites des grands journaux français comme Le Parisien ou Le Monde. Ces accusations nourrissaient la colère de certains musulmans qui descendaient dans la rue pour faire la peau à ces « chiens de chrétiens ». Pendant toute la nuit, les ratonnades antichrétiennes se sont poursuivies dans les rues du Caire. D’autres musulmans au contraire, admirables de courage et d’humanité, se rendaient place Tahrir en solidarité avec leurs compatriotes.

Au final, le gouvernement parle de 24 morts et de plusieurs centaines de blessés, essentiellement du côté des manifestants coptes. Dés dimanche, un journaliste de l’AFP dénombrait 16 cadavres de chrétiens à l’hôpital copte du Caire.
Les Coptes protestaient ce dimanche à la suite de l’incendie d’une église il y a une dizaine de jours par des musulmans dans une petite ville de la province d’Assouan. Les incendiaires ont semble-t-il été incités à passer à l’acte après que le gouverneur de la province eut déclaré à la télévision- au mépris de la vérité- que l’église était rénovée sans autorisation légale. Depuis des semaines les musulmans locaux faisaient pression sur les autorités pour interrompre la rénovation de ce lieu de culte. Ils avaient obtenu que les signes ostentatoires sur le bâtiment soient enlevés. Comme ces modifications n’étaient pas mises en œuvre assez vite à leur goût, ils s’en sont chargé eux-mêmes, per ignem, brûlant au passage quelques maisons et magasins appartenant aux Coptes du village, après les avoir harcelés continuellement pendant des semaines.

Dans certaines régions rurales d’Egypte les Coptes vivent désormais dans la terreur. Ils sont harcelés par leurs voisins musulmans qui menacent de brûler leurs maisons, s’ils ne détruisent pas eux-mêmes leurs églises. Des tracts sont distribués dans les villages appelant à la destruction des lieux de culte chrétiens qui « menacent l’islam ». Du côté du pouvoir, des mandats d’arrêt sont lancés contre des Coptes accusés d’avoir prié sans autorisation dans leur propre maison.

Que se passe-t-il aujourd’hui en Egypte ? Les persécutions antichrétiennes sont-elles une conséquence de la démocratie naissante? Il suffit de lire le désopilant Hadji Baba de James Morier pour savoir que les persécutions antichrétiennes dans la région ne datent pas d’ hier. En Egypte même, elles n’ont jamais cessé sous les régimes dictatoriaux de Nasser, de Sadate et de Moubarak. A titre d’exemple, cela fait de nombreuses années que des femmes coptes sont enlevées par des musulmans au prétexte qu’elles se seraient converties à l’Islam, dans la bienveillante indifférence des autorités.

Il est cependant indéniable que les persécutions antichrétiennes redoublent avec la transition en cours. Selon une ONG copte, près de 100000 chrétiens auraient fui l’Egypte depuis le début du « printemps arabe » en janvier 2011, en raison des persécutions dont ils sont victimes de la part de certains de leurs compatriotes musulmans. Nous avons du mal à admettre en Occident que la démocratie puisse être d’une façon ou d’une autre la source d’un mal plus grand qu’un régime dictatorial. Un régime libre ne doit pas seulement instaurer le règne de la majorité, il doit aussi, et doit peut-être surtout, protéger les minorités. Mais le mot démocratie ne produit à lui seul aucun effet magique : réduit à la seule règle de la majorité ce n’est qu’une tyrannie, celle du plus grand nombre, qui en chasse une autre. Et de fait, l’on entend aujourd’hui des opinions en Egypte qui ne sont guère compatibles avec l’idée que nous nous faisons de la liberté. Les minorités y sont souvent accusées, comme en Syrie, d’avoir collaboré avec les dictatures.

Beaucoup en Egypte en appelle à l’avènement d’un pouvoir qui représente « vraiment » la population, c’est-à-dire d’un pouvoir qui doit être « vraiment » musulman et d’une législation qui doit être « vraiment » fondée sur la Charia. C’est la raison pour laquelle un gouverneur chrétien a pu être révoqué sous la pression populaire il y a quelques mois : en tant que chrétien, il ne représentait pas « vraiment » l’immense majorité musulmane de la population[1. C’est d’ailleurs en vertu de la même logique identitaire que l’on réclame de plus en plus chez nous plus de femmes ou plus de membres issus des minorités visibles aux postes de pouvoir, niant ainsi la logique même de la représentation politique, cette grande invention des démocraties modernes.].

Plus radicalement, plusieurs leaders salafistes égyptiens ont récemment déclaré, sans susciter de polémiques très vives, que l’avenir des chrétiens en Egypte, c’était ou la soumission ou la conversion, ou la mort. D’autres leaders musulmans affirment que l’unité de l’Egypte ne pourra se réaliser que sous la férule de la Charia. Partout, non seulement en Egypte, mais aussi en Tunisie ou en Libye, les partis islamistes apparaissent comme étant les mieux à même de prendre et d’exercer le pouvoir : ils représentent l’immense majorité de la population, ils ont pour eux l’ aura de ceux qui ont les premiers résisté aux tyrans vendus à l’Occident. Ils ont aussi l’autorité dont disposent dans les pays musulmans ceux que l’on considère comme étant les plus pieux. Que pèsera un gazouillis sur tweeter d’un révolutionnaire en herbe numérique ou un compte facebook doté de plein d’amis occidentaux révolutionnant à distance face à cela ?

Partout ou presque dans le monde arabe, les chrétiens sont menacés. Il est troublant de constater que le sort des chrétiens ne diffère pas vraiment selon les cas. Que la démocratie ait été imposée par la force comme en Irak, qu’elle ait été obtenue par un soulèvement populaire comme en Tunisie ou en Egypte, ou par un mélange des deux comme en Libye, le résultat est le même : les chrétiens sont en danger. C’est même paradoxalement dans les pays dans lesquels a eu lieu une intervention étrangère que la situation est la plus dramatique[2. On connait le sort tragique des chrétiens irakiens. Quant aux chrétiens présents en Libye avant la guerre civile, si l’on en croit le journal La Croix, la plupart d’entre eux a fui le pays.].

Dans les époques troublées, la soif de purification des groupes humains est impossible à rassasier. Les Dieux ont soif, écrivait Anatole France à propos de la révolution française en titre de son meilleur livre. La transition vers la démocratie de l’Egypte, dont les historiens se souviendront peut-être qu’elle fut lancée par le gouvernement Moubarak lorsqu’il autorisa le pluralisme à l’élection présidentielle de 2005, est une de ces époques troublées. Comme en Chine sous Mao durant le « Grand Bond en Avant », lorsque furent massacrés les moineaux pendant la campagne d’hygiène dite des « quatre nuisibles », cette soif de purification a d’abord frappé les animaux.

En mai 2009, tirant profit de la grippe H1N1, le gouvernement égyptien avait orchestré une hallucinante campagne d’abattage des dizaines de milliers de porcs élevés par les chiffonniers coptes du Caire, sans que leur sort n’éveille de compassion dans le reste de la population, y compris copte, d’Egypte. Il n’y a désormais plus de porcs en Egypte et les chiffonniers coptes s’en trouvent plus misérables encore. Le sort des porcs égyptiens, disparus soudainement d’une région qui les avait domestiqués depuis des millénaires préfigurera-t-il celui des chrétiens, dont l’ancienneté sur la terre d’Egypte est presque aussi grande ?

Les Coptes d'Egypte: Discriminations et persécutions (1970-2011)

Price: 5,00 €

19 used & new available from

Le ni-ni façon Montebourg chez Pujadas

29

Comme je l’espérais, Arnaud Montebourg n’a pas donné de consigne de vote de hier malgré tous les appels du pied et les élans du cœur dont il avait été l’objet depuis vingt-quatre heures. Un Montebourg tout feu tout flamme, faisant questions et réponses, distribuant à la volée mauvais points et très mauvais points aux deux finalistes de dimanche prochain et s’amusant même à s’autocaricaturer en qualifiant à trois reprises Martine et François de « can-di-dats im-pé-trants » et en articulant méticuleusement ces deux mots à la manière du Baron Arnaud de la Patate Chaude cher à Nicolas Canteloup.

S’il s’est refusé a reprendre à son compte le « bonnet blanc, blanc bonnet » suggéré par son intervieweur, ce fut pour mieux le paraphraser la seconde suivante : « Aubry et Hollande sont les deux faces d’une même pièce… Il n’y a pas de différence sur le fond mais des différences de tempérament. ».

En conséquence de quoi a décidé de juger, justement sur pièces, et invité ses électeurs à faire de même : « Je leur ai annoncé que j’allais leur écrire une lettre que je rendrais publique, ils me répondront par écrit et nous publierons les échanges. Les citoyens pourront ainsi consulter mes demandes et leurs réponses ».

Match nul donc ? Pas tout à fait : il semble bien, comme je l’espérais là encore, que certains ont été plus taclés que d’autres. Ou disons plutôt certaine. Certes le numéro Trois a rappelé que l’archi-favori des sondages n’avait pas réussi son OPA sur le premier tour, mais pour ajouter aussi sec qu’une première secrétaire qui ne fédère que 30% sur son nom, c’est plutôt léger.

Mais surtout, Arnaud a envoyé un scud d’entrée à Martine, qui l’énerve prodigieusement à vouloir engloutir d’office ses 400 000 voix sans demander son avis à personne. Sans même être sollicité par David, il s’est déchainé dès le début de l’interview contre ce qu’il appelle la gauche « compassionnelle » et « qui pleure sur les conséquences d’une économie cruelle et violente » . Que ceux qui n’ont pas reconnu là le « care » aillent voter en paix…

Le dilemme du Grand Arnaud

19
Webstern socialiste

Le rideau s’ouvre dans la grande salle d’un château-fort dominant la Saône, près de Macon. Un grand feu brûle dans la cheminée. Le vicomte Arnaud de la Bresse s’entretient avec Aquilino, son conseiller et ami des bons et mauvais jours.

Arnaud
Mon ami, quel bonheur ! Il suffit d’une soirée
Et le charmant garçon se mue en coryphée !
Le chœur de ces primaires, c’est moi qui le conduit.
Une reine ou bien un roi ? Sans Arnaud rien n’est dit !
Pouce en haut, pouce en bas, tel un César romain
Je peux de l’une ou l’autre façonner le destin.
Cela me remplit d’aise, mais il faut faire un choix
Tes conseils sont précieux, fais entendre ta voix !

Aquilino
Messire Arnaud tout doux ! En de telles circonstances
Il faut rester modeste, et s’armer de prudence.
On vous fête dehors, les flatteurs se déchaînent
Craignez que vers l’abîme l’ubris ne vous entraîne !
Il faut choisir, c’est vrai, ou Martine ou François
Pour mener un combat qui ne va pas de soi…
Nicolas semble à terre, mais méfions nous de lui
Sa vaillance est intacte, rien n’est jamais acquis.
Pour bouter hors du trône ce suppôt d’Attila
Que tous les braves se lèvent et clament : « Me voilà ! »
Mais qui sera leur chef ? Le grognard est perplexe
Il faut lui parler clair, mais l’affaire est complexe…

Arnaud
Du héros si glorieux revenu de campagne
L’humilité doit être la revêche compagne.
J’ai compris la leçon, et sois en remercié.
Seulement de mon tourment, il faut te soucier.
Et m’aider à trancher aujourd’hui, pas demain !
Moscovici me presse, Cambadélis itou.
Si cela continue, ils vont me rendre fou.
Martine ? Je me souviens du piège de Marseille !
François ? Je n’aime pas trop les amis de la veille !

Aquilino
Ton cœur est partagé, et ta méfiance est grande
Le mien l’est tout autant : puisque tu le demandes,
Permets-moi d’éclairer ce chemin hasardeux.
Ils te veulent bavard ? Eh bien fait le taiseux !
Laisse planer le doute, attends que de leur joute
Sorte enfin le vainqueur qui montrera la route.
Parmi ses compagnons, tu seras le premier
Et cela sans devoir, jamais, te renier !

Arnaud
Ami, tu parles d’or, et je m’en vais céans
Cultiver le silence au bord de l’océan !

Quel second tour pour les voix de Montebourg ?

11
Photo : Le Parisien-PQR

Purée, ma voix vaut cher ! Dès hier soir, ils me faisaient tous les yeux doux. Enfin à moi et aux 400000 autres degauches qui ont mitonné la surprise du chef en soutenant Arnaud Montebourg au premier tour de la primaire socialiste (On va continuer de faire comme si les 0,61% de Baylet n’existaient pas, ce qui nous évitera d’utiliser le piteux vocable de primaires citoyennes.)

En conséquence de quoi, dès hier soir, la chasse aux voix démondialistes était la seule obsession des deux états-majors du second tour – qui ont préalablement pris soin, toutefois, de verser quelques larmes de crocodile sur le suaire de Ségolène. Et là, j’avoue avoir été assez choqué par la tonalité générale des commentaires. Tout d’abord, du haut de leur science exacte, experts, politologues, et sondeurs nous expliquaient dès 21 heures que ces 17% -qu’aucun d’entre eux n’avait vu venir, mais passons- se reporteraient « logiquement », voire « naturellement » sur Martine Aubry. Un credo aussitôt psalmodié en chœur par tous les ténors aubrystes, notamment ceux issus de la gauche socialiste, que Martine avait soigneusement planqués sous le tapis pendant sa campagne de premier tour, à commencer par leur leader, Benoît Hamon.

Que nous disent Benoît et Le Monde (et Fabius, et Camba et Delanoë) ? Tout d’abord que la maire de Lille captera forcément nos voix parce qu’elle est plus sociale et moins libérale que son adversaire de dimanche prochain. Déjà, c’est faire peu de cas de ce que le député de Saône et Loire n’a cessé de répéter depuis le début de sa traversée des primaires : du point de vue idéologique, Aubry et Hollande, c’est Dupond et Dupont ou, plus exactement Delors contre Delors.

C’est encore plus vrai quand on se rapproche du cœur du corpus montebourgiste, à savoir la démondialisation. Démondialisation dont il faut répéter qu’elle n’aura été que le premier étage de la fusée d’Arnaud, suivie au fil de la campagne, du rappel de plus en plus insistant de son double refus du TCE et de la lamentable ratification du Traité de Lisbonne –ce qui le distingue de ses cinq rivaux. Le troisième étage de la fusée, celui qui à mes yeux a réellement fait décoller Arnaud et convaincu pas mal d’hésitants de bouger de sous leur couette automnale, c’est bien sûr l’appropriation et la revendication du mot « protectionnisme », et ce sans même prendre la peine de l’accoler automatiquement dans ses discours à l’adjectif « européen ». Jusque là, c’était le mot qui stigmatise, décrédibilise, lepénise, la Lettre écarlate de la politique française au point que même le tonitruant Mélenchon n’osait le prononcer. Arnaud Montebourg l’a placé au cœur de ses « éléments de langage » -démontrant au passage qu’en politique, le cran peut parfois payer : avec moi, en tout cas, ça a marché à donf.

Martine Aubry est-elle mieux placée que François Hollande pour capter le protectionnisme ? Vu de loin, l’argument asséné hier par Benoit Hamon devant toutes les caméras semble imparable : « Imagine-t-on Arnaud Montebourg soutenir François Hollande au côté de Manuel Valls?». Mais le raisonnement de notre décongelé de fraiche date est hémiplégique : imagine-t-on Démondialisator faire tribune commune avec Martine entre Jacques Delors et Alain Minc sur fond de bannière bleue étoilée et d’Hymne à la joie ? Thierry Mandon, un des lieutenants de l’Arabo-morvandiau a assez bien moqué cette grosse ficelle sur le plateau de LCP : « Je suis content de voir que Fabius s’est converti à la démondialisation. Depuis le JT de 20 heures… » .

Bien sûr, dans le camp d’en face, ça a dragué sec aussi. Mais au moins les Hollande boys n’ont-ils pas trop cherché à me vendre de pianos (sauf Jack Lang, hein, mais c’est un peu le Baylet du PS, hein). Pas de conversion aussi soudaine que suspecte à la démondialisation, mais une prise en compte somme toute assez crédible, du volet VIème République du projet Montebourg, soit le minimum syndical. Les idées de François Hollande ne sont pas mes idées, et ses rêves encore moins, mais sa sobriété me sied. A contrario, le dolorisme indigné de sa challengeuse me replonge en plein cauchemar ségoléniste, et j’ai déjà donné.

Accessoirement, et c’est mon petit doigt qui me le dit, et pas mes amis les sondeurs, Hollande me paraît plus à même de tenir le choc face à un Nicolas Sarkozy, qui, va mettre toute sa force, sa ruse et son intelligence dans le combat de sa vie. En cas de confrontation avec Martine Aubry, là encore ce sera Ségo bis. Perso, ce n’est pas cette dimension de vote utile qui me parle le plus, mais je ne suis probablement pas un échantillon représentatif du vote Montebourg…

N’étant pas dans le secret des dieux, j’ignore tout de la consigne que donnera, ou ne donnera pas, ce soir Arnaud Montebourg. De toute façon, dans ce type de scrutin plus que dans tout autre, nul n’est propriétaire de ses voix. Comme tous les supporters d’Arnaud Montebourg, j’écouterai avec attention les indications qu’il donnera pour le second tour. En l’état actuel des choses, je ne sais pas encore si j’irai voter dimanche prochain, mais je sais déjà pour quelle candidate je ne voterai pas.

Aubry : carrément « care » !

Les plus subtils observateurs de la faune politique sauvage française auront pu remarquer que depuis des mois – bien avant que commence l’âpre mêlée des primaires socialistes en vue de l’élection présidentielle de 2012 − Martine Aubry, candidate à la magistrature suprême, évoque à longueur de prises de parole la nébuleuse notion anglo-saxonne de care (mot polysémique agaçant renvoyant au soin, à la sollicitude, au dévouement, etc.) Elle y tient tellement qu’elle a fait imprimer des milliers de T-shirts pour ses militants, sur lesquels on peut lire son slogan « Yes we care ! », mollement calqué sur le « Yes we can ! » victorieux de Barak Obama. Mais, qu’est-ce que le care (à prononcer un peu comme le nom de la capitale égyptienne) ? À quelle effrayante société maternante rêve − pour tous les Français − la mairesse de Lille ?[access capability= »lire_inedits »]

Notons, en liminaire, que l’effort déployé par Martine Aubry pour donner à son programme une véritable assise intellectuelle et morale est louable. Ses concurrents et concurrentes socialistes n’ont pas tous engagé ce type de réflexion, à l’instar par exemple de Ségolène Royal qui n’a réussi − au bout d’un travail que l’on présuppose intense − qu’à emprunter au chevrotant Stéphane Hessel son ébouriffante antienne de l’indignation. Le care va plus loin que ce gadget sémantique électoral, et vient de plus loin aussi. Dans les années 1980, outre-Atlantique, des intellectuelles féministes telles que Carol Gilligan ou Joan Tronto ont développé − dans des champs divers allant de l’éthique à la politique − cet impératif altruiste du soin aux autres qui devrait prévaloir sur l’égoïsme prétendument généralisé de nos sociétés contemporaines matérialistes et post-industrielles. Moi non plus. Tronto définit en ces termes le care qui « constitue une activité caractéristique de l’espèce humaine qui inclut tout ce que nous faisons en vue de maintenir, de continuer, ou de réparer notre monde de telle sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible ». Nous serions bien médisants de penser que l’Amérique récupère toujours le pire de la pensée française, et que les intellectuels français héritent habituellement de la plus irritante pensée américaine qui soit. Le care ne propose pas qu’une optimiste vision altruiste de la société (qui le rattache pourtant à une tradition catholique de gauche prévisible comme un pater noster), mais suit une approche éthique plus rugueuse partant du constat que les valeurs de care qu’il faut encourager (soin, attention à autrui, etc.) sont non seulement particulièrement familières aux femmes (étant très présentes dans les domaines de la santé, de l’éducation, et des services aux personnes, etc.), mais seraient même intrinsèquement féminines… Le salut moral − puis politique − de notre temps passerait donc par la douceur compatissante propre aux représentantes délicates du sexe faible. Ce fameux sexe numéro deux.

C’est vers le mois d’avril 2010 que Martine Aubry a défendu pour la première fois la société du care, à travers une allocution publique et une interview à Mediapart. Elle déclarait crânement : « N’oublions jamais qu’aucune allocation ne remplace les chaînes de soins, les solidarités familiales et amicales, l’attention au voisinage. » La cheftaine socialiste a alors commencé à adhérer avec un enthousiasme sans plus de vergogne à cette vision morale intégrale selon laquelle la dépendance serait le propre de l’humain, et la solidarité entre interdépendants un impératif moral. Un an plus tard, Martine-à-la-campagne-électorale déclarait à nos confrères du Monde : « Le care, c’est l’attention aux autres, le contraire d’une société dure et indifférente. La façon dont on vit ensemble, le lien social sont des questions majeures. La collectivité doit s’occuper de chacun. Mais chacun, dans chaque rue, dans chaque quartier, doit s’impliquer contre la solitude, le vieillissement, la perte d’autonomie. C’est ce que j’ai appelé à Lille la « ville de la solidarité », et cela marche. Le care, ce n’est pas l’assistance. Cela donne de nouvelles responsabilités à l’État, qui doit personnaliser ses réponses. » Et ta sœur ? La société du care propose ainsi une forme d’atténuation des frontières entre le domaine public et le domaine privé : au-delà de l’action sociale découlant de manière verticale, des autorités vers les populations, la société du care encourage et organise une angoissante solidarité horizontale entre les individus. L’intrusif care aubryste vise finalement à accompagner chacun d’entre nous dans la vie privée d’autrui, en vue d’un hypothétique bien collectif… Mais quel est le pas entre l’accompagnement acceptable et l’angoissant réordonnancement globalisé ?

La fille légitime de Jacques Delors et de Pierre Mauroy (pardon pour l’image), déclarait récemment à Rue89 qu’elle retenait… « d’abord du socialisme de l’ère Jospin la morale en politique ». Et pourquoi pas l’« ordre juste » ? Ce care ultra-moralisant ne serait donc qu’une rare et intrigante forme de jospinite aiguë ? Les séquelles prévisibles du passage de Martine Aubry au gouvernement − dans les années de jadis − sous les sarcasmes de Philippe Muray ? Le fait est que l’apparition de ce tropisme altruiste dans le « logiciel socialiste » ne date pas d’hier ; la nouveauté tient davantage à l’actuelle et ridicule tentative maternante et à sa soudaine publicité…

Nous obligera-t-on − demain − à céder aux facilités doucereuses de la solidarité-facilité ? Quel avenir pour les esprits un peu anars qui ne voudront pas s’ouvrir aux autres, comme des huîtres, et n’attendront rien (non plus) de personne ? Les contraindra-t-on, un jour, à avoir de l’affection pour autrui ?
Emphatique empathie…

Mes aïeux, libérez-nous du care ![/access]

Pour acheter ce numéro cliquez ici
Pour s’abonner à Causeur cliquez ici

Et Montebourg siphonna la gauche du PS

63
Photo : Des Idées et des Rêves

Je n’ai pas voté aux primaires. Faut-il en conclure que je n’adhère pas aux « valeurs de la gauche et de la République » ? En tout cas, j’ai raté le rendez-vous du Parti Socialiste avec la démocratie d’opinion.
Pourtant, si la gauche m’exaspère, la droite, elle, au mieux, me navre. Au moins côté sinistre, les plus audacieux affichent de sympathiques velléités néogaullistes, qui ne brillent pas par leur capacité à dépasser l’économie de marché mais ont le mérite de rompre avec l’orthodoxie libérale.
Du coup, je ne suis pas plus mal placé qu’un autre pour tenter d’analyser le principal événement de la soirée d’hier, la percée d’Arnaud Montebourg. Aux étourdis, je rappelle d’ailleurs les résultats : sur plus de deux millions de votants – lesquels ne suffisent pas cependant à garantir le résultat de la vraie élection si l’on se souvient que quatre millions de participants aux primaires de la gauche italienne n’empêchèrent pas, il y a quelques années, Walter Veltroni de finir terrassé par Berlusconi – 39% ont glissé un bulletin Hollande dans l’urne, 31% Aubry, 17% Montebourg et…. seulement 7% Royal[1. Je mets de côté les résultats piteux de Valls et Baylet, respectivement « socialiste » et « radical », qui pourraient concourir à la primaire du Modem, si le parti centriste respectait un semblant de démocratie interne.].

Sans faire preuve de cruauté inutile, l’échec cuisant de Madame « 17 millions de voix au second tour de la présidentielle » illustre l’éclatement de la bulle médiatique ouverte en 2006. Ah ces salauds de sondeurs qui vous apostasient après vous avoir baptisée ! La popularité et les effets de manche ne marchent qu’un temps, au bout d’un moment, le réel reprend ses droits. La recette est imparable : invoquez Delors et Chevènement dans une même phrase, jouez jusqu’à l’excès le numéro de la femme bafouée sûre de sa victoire, gargarisez-vous de votre défaite passée, mélangez le tout et vous obtiendrez… un bide retentissant.

Et Montebourg à 17%. Qui l’eût cru ? Certainement pas moi, lorsqu’au début de l’été, l’un des proches collaborateurs du député de Saône-et-Loire me confiait viser un score « entre 15% et 20% », porté par la conjoncture internationale. Eh oui, le démantèlement de Dexia, les plans d’aide à la Grèce qui n’en finissent pas, et l’abaissement occasionnel des notes souveraines espagnole ou italienne ont certainement joué en faveur du candidat de la démondialisation. Fût-elle incantatoire, la combativité de Montebourg a sans doute payé : lorsque tout s’effondre, le système financier, l’euro, et le libre-échange chéri, autant se tourner vers les Cassandre qui vous avaient annoncé la chienlit et vous proposent de remettre de l’ordre dans ce fourbi. Damer le pion aux banquiers, créer une agence de notation Potemkine[2. Pas besoin d’être Georges Kaplan pour comprendre que les agences de notation ne sont que des instruments d’ajustement aux mains des marchés et qu’il ne suffit pas de casser le thermomètre (ou d’en fabriquer un pipé) pour dompter la fièvre financière]- pardon nationale- relocaliser une économie à dominante coopérative, en voilà des thématiques alternatives qui séduisent le chaland en quête de nouveauté !

Avec tout cet attirail dans son fourreau, Arnaud Montebourg a probablement phagocyté la gauche de la gauche et, au-delà, une bonne partie du Non au Traité constitutionnel européen, orphelin depuis un certain 29 mai 2005. Le ralliement – pas toujours enthousiaste – à Martine Aubry des emmanuellistes, hamonistes, proches de Quilès et Lienemann et de toute l’aile gauche n’a pas empêché Montebourg de remonter ses concurrents durant la dernière ligne droite. Le caractère ouvert de la primaire n’a pas reproduit les subtils équilibres au sein d’un parti aussi sclérosé que le PCUS brejnevien. Au contraire, l’absence, dans son entourage, de figures de poids a potentiellement renforcé l’image d’outsider de Montebourg, trop heureux de ruer dans les brancards devant le premier potentat marseillais venu. Il se pourrait même que les affaires Guérini, Takieddine, Bourgi et Djouhri aient favorisé l’émergence du Torquemada de Macon, que sa croisade contre la corruption et les paradis fiscaux a longtemps enfermé dans le costume de grand inquisiteur. Ajoutez à cela les performances remarquées- quitte à sombrer dans les outrances anti-sociaux-dems du candidat protectionniste lors des trois débats télévisés, où il s’illustra par la hauteur de son verbe et l’originalité de ses propositions, et vous comprendrez une partie de son exploit du jour.

De facto, Montebourg devient le nouveau leader de l’aile gauche, Benoît Hamon n’ayant plus assez d’yeux pour pleurer à force de s’être enferré dans l’emploi inconfortable de porte-parole aubryste du PS. Fils adultérin du couple improbable Eva Joly-Bernard Cassen, « Monsieur démondialisation » devra désormais faire fructifier son capital électoral.

À entendre ses soutiens, il s’agit en effet d’inscrire ce succès dans la durée, par-delà les (légitimes) ambitions personnelles de leur leader. Oubliées les alliances broussailleuses avec Moscovici, les combinazione avec Royal puis Aubry ? N’allez pas trop vite en besogne, les amis. On me murmure qu’une alliance avec François Hollande se fait jour. Vous vous souvenez ? Le candidat encore honni hier matin, social-démocrate « mou », figure du « système » qui voudrait que tout change pour que rien ne change. Pour un peu, moyennant quelques concessions de fond et, cela va sans dire, une flopée de retours d’ascenseur, Guy Mollet se transformerait en Mitterrand 2.0 (le quasi-socialiste d’Epinay, pas celui des Croix-de-Feu ou de la « parenthèse » libérale 1983-1995).

Bon, arrêtons là nos spéculations. Quand bien même Montebourg se vendrait à Hollande (ou d’ailleurs à Aubry, même topo chez ces deux jospiniens bon teint), rien de nouveau sous le soleil. Quoiqu’en disent les grands mythes de la gauche, l’histoire politique est celle d’un éternel cocufiage, les héros d’hier mutant régulièrement en traîtres d’aujourd’hui, et réciproquement.
Montebourg est sorti vainqueur du match des « petits candidats ». Pour créer un courant à la gauche du PS ? Monnayer quelques postes bien placés dans le gouvernement du (très hypothétique) président Hollande ? Jouer le tout pour le tout en pariant sur la défaite de la gauche histoire de s’ériger en homme providentiel au milieu des ruines socialistes dès mai 2012 ?

Et si ces hypothèses ne s’excluaient pas ? Après tout, comme disait le presque regretté Michel Poniatowski, à droite, à gauche, et sur les côtés, l’avenir n’est écrit nulle part

Le Syrte a assez duré

3

Comme Alain Minc, je suis content de vivre dans un pays riche. Comme lui, j’exècre l’économie planifiée, et, comme lui, je préfère de beaucoup me trouver dans le camp des vainqueurs. Il est exact que, sur le plan économique, l’Union Européenne nous cause un certain souci. Mais sur le plan diplomatique, les nouvelles sont très bonnes. Un dictateur est en fuite. La ville de Syrte devrait tomber d’un instant à l’autre. Le dernier fanatique sera tué, et tout sera fini.

Quel temps perdu, quand même. Comment peut-on vouloir s’opposer à une guerre humanitaire ? Et soutenue par l’OTAN, en plus ?

Je trouve que nos ennemis sont devenus incompréhensibles depuis quelques temps. Les combattants kadhafistes ont un intérêt pécuniaire dans l’affaire, ce n’est pas possible autrement. Sont-ils fanatisés par leur instinct tribal? Je n’en sais rien.

De toute façon, cette histoire commence à bien faire.

Il faudrait que quelqu’un leur dise que cette résistance acharnée ne sert à rien. Il faudrait que quelqu’un leur dise que le courage est une vertu réservée au vainqueur. Il faudrait que quelqu’un leur dise que, s’ils se font massacrer, personne n’en saura rien.

Un petit coin de paradis

Price: 6,00 €

46 used & new available from 1,24 €

Primaires : a failli voter !

270

Samedi soir, j’étais résolu à descendre à la sous-préfecture la plus proche de mon domicile, localité assignée par le comité d’organisation des « primaires citoyennes de la gauche » aux électeurs de mon village désireux d’y participer.
Cette tentation était d’autant plus grande que se déroulait dans cette même ville le comice agricole, un événement décennal haut en couleur. On peut y admirer les plus beaux spécimens de l’élevage local, veaux, vaches, cochons et couvées, et déguster un choix de spécialités solides et liquides du meilleur aloi. La dimension politique du comice agricole fait hélas partie de ce passé qui, hélas, ne reviendra plus, tout comme les discours amphigouriques des notables dont l’élite intellectuelle parisienne ne manquait pas de se moquer[1. Je viens de lire Michéa…].

La nuit, dit-on, porte conseil. Certes, mais avant que ce conseil éclairé s’impose à vous, vous vous payez une sacrée insomnie dont les traces seront sensibles pendant une bonne journée, sinon plus.
La question qui éloignait de moi le marchand de sable était aussi simple qu’insoluble : à quel titre irais-je m’immiscer dans ce scrutin destiné à permettre aux électeurs de la gauche de choisir leur champion(ne) pour la présidentielle de mai prochain ?
Ayant déserté ce camp, qui fut longtemps le mien, lors de l’élection de 2007, et n’étant pas du tout certain de revenir au bercail en 2012, je devrais être totalement indifférent à cette primaire.

Et pourtant, je me sentais fortement tenté de mettre mon grain de sel dans ce nouveau plat de la vie politique, car l’hypothèse d’une victoire de la gauche en mai et juin est loin d’être absurde. Non que j’attende une quelconque prébende du parti des vainqueurs : à mon âge, cela serait aussi ridicule que présomptueux.

Mais l’électeur de droite que je suis devenu a bien, lui aussi, le droit de choisir contre qui il va voter, et cela d’autant plus que ce dernier a de bonnes chances de l’emporter. Dans cette configuration, le choix du candidat à la primaire s’impose : il s’agit de celui ou celle qui vous donnera le plus envie de vous mobiliser pour lui barrer le chemin de l’Elysée. Mais la simple idée de glisser dans une enveloppe et dans l’urne un bulletin portant le nom de Ségolène Royal ajoutait l’horreur du cauchemar aux affres de l’insomnie.

Mais dans la perspective d’une probable victoire de la gauche, un raisonnement inverse me poussait à favoriser le candidat le moins éloigné de mes convictions, autrement dit le plus à droite des postulants. Celui qui ne nous bassine pas avec le care, le dolorisme universel et nous garantit un quota suffisant d’énergie à bon marché grâce au nucléaire : Manuel Valls. Mais comme il n’a aucune chance de passer le premier tour, l’incitation à l’effort de se lever, se laver, descendre dans la vallée par un temps maussade invitant au farniente et à la sieste est de faible intensité.
Pendant que toutes ces pensées se bousculaient dans ma tête, mon épouse, électrice de gauche sans états d’âme depuis un nombre de décennies qu’il serait discourtois de préciser, dormait comme un ange. Le lendemain matin, elle se leva sans bruit pour aller voter, me laissant récupérer de ma calamiteuse nuit.

J’espère très fort qu’il n’y aura pas de second tour.

Dexia : on vous l’avait bien pas dit

7

Pourquoi se fatiguer à écrire des brèves, quand les attachés de presse vous mâchent le travail ?
Et même si parfois les nouvelles ne sont pas toutes fraiches, elles valent parfois leur pesant de pommes chips

Voilà en effet la dépêche publiée par Reuters le 23 juillet dernier, laquelle paraphrasait le communiqué de Dexia :

« Dexia a annoncé vendredi avoir largement réussi les tests de résistance des banques européennes à des scénarios de dégradations économiques pires que prévu (sic) et à une nouvelle crise sur les dettes souveraines. Recapitalisée à hauteur de 6,4 milliards d’euros durant la crise financière par la France, la Belgique et le Luxembourg, Dexia a affiché un ratio Tier One de 10,9% dans un scénario « stressé ». La barre de 6% a été choisie par le Comité européen des contrôleurs bancaires (CESB) comme seuil de fonds propres suffisants et le minimum réglementaire est de 4%. Ce chiffre de 10,9% est le plus élevé des quatre autres banques françaises testées (BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole et le mutualiste BPCE.
« En conclusion du stress test, il apparaît que Dexia n’aurait pas besoin de fonds propres supplémentaires pour résister au scénario ‘dégradé’ à deux ans du CEBS, y compris en cas de nouveau choc lié aux dettes souveraines » a indiqué la banque franco-belge dans un communiqué.
»

Comment dit-on rire jaune en wallon ?

La guerre des gauches n’aura pas lieu

4

Du Front de gauche aux groupuscules nationaux-républicains, la plupart des militants de gauche n’ont pas de mots assez durs pour dénoncer l’idéologie « libérale-libertaire » des « sociaux-traîtres » vendus au marché. « Gauche américaine », profèrent-ils en guise d’anathème, oubliant ou ignorant que les États-Unis sont aussi la patrie d’un socialisme populiste que l’on retrouve chez certains dissidents de la « New Left » comme Paul Piccone et Christopher Lasch.

À intervalles réguliers, ils justifient néanmoins leur alliance avec la lie sociale-démocrate qu’ils pourfendent au nom de la lutte contre une droite « antirépublicaine », « antisociale » , voire, « néo-libérale ». Certains esprits indépendants, croyant défoncer les portes de l’anticonformisme, vont jusqu’à prôner une alliance transversale avec les gaullistes sociaux pour conjurer la collusion des forces du marché et du « capitalisme de la séduction » qu’incarne la gauche sociétale. Vaste programme, dirait l’autre !

Hélas, un socialiste intégral[1. Pour parler comme Benoît Malon (et non Maurras).] et conséquent ne réduit pas sa révolte au volet sociétal des analyses anticapitalistes radicales de Michel Clouscard.[access capability= »lire_inedits »] En ne retenant que la critique anti-« lib-lib »¸ nos amis anticonformistes de gauche appliquent à la société du salariat ce que Jean-Claude Michéa nomme l’illusion « Meiji ». Comme leurs adversaires libéraux-conservateurs − mais, reconnaissons-le, à un degré moindre −, les défenseurs acharnés d’une gauche planificatrice se raccrochent aux oripeaux usés du capitalisme patrimonial et aux compromis avec les valeurs traditionnelles qui ont permis son développement au cours des Trente glorieuses.

Or, il ne suffit pas de crier haro sur le néo-libéralisme et sus au pédagogisme pour combattre les conséquences culturelles des lois d’un marché que l’on se résoudrait à réguler faute de mieux. Aujourd’hui, foin d’abolition du capitalisme en cinquante jours, comme le proposait le Ceres au milieu des années 1970, l’hypothèse même d’un enrégimentement du secteur marchand au sein d’une économie laissant une large place à la libre association, au don et au partage du travail suscite des réactions pavloviennes : « Utopistes » ! L’invective vaut compliment : au XIXe siècle, les socialistes scientifiques lançaient ce qualificatif au visage de leurs contradicteurs coupables de ne pas communier à l’Église de l’émancipation programmée.

Parce qu’ils ne poussent pas la enrégimente-ment critique à son point d’aboutissement, nos honorables alter-capitalistes s’enferment dans un discours archéo-républicain nostalgique de la France du Général. Ah, les années 1960 ! Époque chérie du « capitalisme coopératif », du compromis fordiste capital/travail, de l’ordre financier de Bretton-Woods, des centrales nucléaires et des usines Renault dans lesquelles une simple consigne de la CGT suffisait à mettre au pas des millions d’ouvriers… De quoi pantoufler pépère en entonnant le « Tu le regretteras » de Gilbert Bécaud !
Ironiquement, l’incapacité de « l’autre gauche » à se projeter au-delà du capitalisme[2. Qui, comme Michéa le démontre brillamment, ne peut générer qu’une société de marché immergeant les individus-consommateurs atomisés dans le nihilisme moral.] la rapproche de ses meilleurs ennemis libéraux. Gauche réac, patriote et souverainiste contre gauche mondialo-socio-libérale : toutes deux rêvent de lendemains qui chantent, qui par la multiplication des emplois de service, qui par la prolifération des centrales nucléaires au parfum (puant) d’ouvrier d’antan.

Fondamentalement, ces deux gauches siamoises convergent dans le dogme du Progrès humain par l’économie. En ce sens, leurs imaginaires ne sont ni plus ni moins colonisés par le capital que ceux des ouailles d’Hayek et von Mises : entre les partisans d’un État minimal et les néo-colbertistes, l’essentiel n’est-il pas d’attendre le salut par le marché, fût-il régulé ?

Contre le « bougisme » libéral, nos Prométhées alternatifs ne proposent qu’un « reculisme » graduel qui discrédite par avance leurs velléités de réforme sociale, économique ou culturelle. La nostalgie ne fait pas un programme, même quand elle prétend revenir à un moindre mal ante-mondialiste.

À tout prendre, le néo-barriste Gérard Collomb, maire PS de Lyon, a le mérite de dissiper tout malentendu : saint-simoniste revendiqué, il assume le productivisme − certes mâtiné de morale à l’eau de lilas pour complaire à ses électeurs bourgeois − comme horizon ultime de l’humanité. Mais toutes les gauches, en célébrant leurs épousailles avec la Croissance, sanctifient leur adhésion à un processus d’accumulation économique infini dans un monde fini, sans cesse relégitimé par la vision apocalyptique d’une France moyenâgeuse, privée de smartphones et des merveilles du packaging. En utilisant le même registre larmoyant, on pourrait leur rétorquer que la vie technicisée conduit à la barbarie et l’arraisonnement du monde à son épuisement, donc à sa fin.

Dans ce domaine, en dehors de l’hétérodoxie du Mauss, de L’Encyclopédie des nuisances et de quelques autres cercles autour de La Décroissance, la gauche mainstream nous invite à lever le pied sur le chemin du précipice en développant un néo-capitalisme vert inspiré du Grenelle de l’environnement. Pour ne pas contrecarrer l’extension indéfinie de la forme-capital, l’État monnaiera des permis de polluer, poussant un peu plus loin le jeu du marché au profit des plus gros poissons industriels.

À ceux qui cherchaient la recette de l’art de la synthèse sauce Hollande, le progressisme fournit la réponse. De Mélenchon au centre-gauche, le mirage d’un avenir capitaliste heureux complète l’antifascisme pavlovien comme mythe mobilisateur. En avant la musique, battons Le Pen et Sarkozy…
Malgré leur inconséquence idéologique, concédons aux gauchistes à mégaphone qu’eux, au moins, nous rappellent l’impasse où nous enferme un capitalisme qu’on ne peut pas enfermer entre quatre murs.[/access]

Pour acheter ce numéro cliquez ici
Pour s’abonner à Causeur cliquez ici

Egypte : de la révolution à la terreur

221
Photo : omarroberthamilton

Les Coptes deviennent-ils indésirables dans leur propre pays ? Après les émeutes qui ont fait des dizaines de morts au Caire dimanche, la question se pose. Les chrétiens qui manifestaient devant les bâtiments de la télévision ont été rapidement pris en tenaille entre les forces armées qui ne faisaient pas dans la dentelle ( des véhicules blindés ont foncé dans la foule à plusieurs reprises), et des groupes de salafistes et de voyous qui pourchassaient les chrétiens non pas jusque dans les chiottes à la Poutine, mais jusque dans l’hôpital chrétien où les victimes de la répression policière avaient trouvé refuge. Dimanche, à la télévision d’état égyptienne, on diffusait un reportage montrant un soldat blessé qui s’en prenait aux chrétiens, ces « fils de chiens », responsables selon lui de la mort d’un de ses collègues.

Dans un premier temps, le gouvernement et les médias officiels accusaient les Coptes d’être à l’origine des violences et d’avoir tué jusqu’à 19 soldats, accusations reprises sans guère de recul par les sites des grands journaux français comme Le Parisien ou Le Monde. Ces accusations nourrissaient la colère de certains musulmans qui descendaient dans la rue pour faire la peau à ces « chiens de chrétiens ». Pendant toute la nuit, les ratonnades antichrétiennes se sont poursuivies dans les rues du Caire. D’autres musulmans au contraire, admirables de courage et d’humanité, se rendaient place Tahrir en solidarité avec leurs compatriotes.

Au final, le gouvernement parle de 24 morts et de plusieurs centaines de blessés, essentiellement du côté des manifestants coptes. Dés dimanche, un journaliste de l’AFP dénombrait 16 cadavres de chrétiens à l’hôpital copte du Caire.
Les Coptes protestaient ce dimanche à la suite de l’incendie d’une église il y a une dizaine de jours par des musulmans dans une petite ville de la province d’Assouan. Les incendiaires ont semble-t-il été incités à passer à l’acte après que le gouverneur de la province eut déclaré à la télévision- au mépris de la vérité- que l’église était rénovée sans autorisation légale. Depuis des semaines les musulmans locaux faisaient pression sur les autorités pour interrompre la rénovation de ce lieu de culte. Ils avaient obtenu que les signes ostentatoires sur le bâtiment soient enlevés. Comme ces modifications n’étaient pas mises en œuvre assez vite à leur goût, ils s’en sont chargé eux-mêmes, per ignem, brûlant au passage quelques maisons et magasins appartenant aux Coptes du village, après les avoir harcelés continuellement pendant des semaines.

Dans certaines régions rurales d’Egypte les Coptes vivent désormais dans la terreur. Ils sont harcelés par leurs voisins musulmans qui menacent de brûler leurs maisons, s’ils ne détruisent pas eux-mêmes leurs églises. Des tracts sont distribués dans les villages appelant à la destruction des lieux de culte chrétiens qui « menacent l’islam ». Du côté du pouvoir, des mandats d’arrêt sont lancés contre des Coptes accusés d’avoir prié sans autorisation dans leur propre maison.

Que se passe-t-il aujourd’hui en Egypte ? Les persécutions antichrétiennes sont-elles une conséquence de la démocratie naissante? Il suffit de lire le désopilant Hadji Baba de James Morier pour savoir que les persécutions antichrétiennes dans la région ne datent pas d’ hier. En Egypte même, elles n’ont jamais cessé sous les régimes dictatoriaux de Nasser, de Sadate et de Moubarak. A titre d’exemple, cela fait de nombreuses années que des femmes coptes sont enlevées par des musulmans au prétexte qu’elles se seraient converties à l’Islam, dans la bienveillante indifférence des autorités.

Il est cependant indéniable que les persécutions antichrétiennes redoublent avec la transition en cours. Selon une ONG copte, près de 100000 chrétiens auraient fui l’Egypte depuis le début du « printemps arabe » en janvier 2011, en raison des persécutions dont ils sont victimes de la part de certains de leurs compatriotes musulmans. Nous avons du mal à admettre en Occident que la démocratie puisse être d’une façon ou d’une autre la source d’un mal plus grand qu’un régime dictatorial. Un régime libre ne doit pas seulement instaurer le règne de la majorité, il doit aussi, et doit peut-être surtout, protéger les minorités. Mais le mot démocratie ne produit à lui seul aucun effet magique : réduit à la seule règle de la majorité ce n’est qu’une tyrannie, celle du plus grand nombre, qui en chasse une autre. Et de fait, l’on entend aujourd’hui des opinions en Egypte qui ne sont guère compatibles avec l’idée que nous nous faisons de la liberté. Les minorités y sont souvent accusées, comme en Syrie, d’avoir collaboré avec les dictatures.

Beaucoup en Egypte en appelle à l’avènement d’un pouvoir qui représente « vraiment » la population, c’est-à-dire d’un pouvoir qui doit être « vraiment » musulman et d’une législation qui doit être « vraiment » fondée sur la Charia. C’est la raison pour laquelle un gouverneur chrétien a pu être révoqué sous la pression populaire il y a quelques mois : en tant que chrétien, il ne représentait pas « vraiment » l’immense majorité musulmane de la population[1. C’est d’ailleurs en vertu de la même logique identitaire que l’on réclame de plus en plus chez nous plus de femmes ou plus de membres issus des minorités visibles aux postes de pouvoir, niant ainsi la logique même de la représentation politique, cette grande invention des démocraties modernes.].

Plus radicalement, plusieurs leaders salafistes égyptiens ont récemment déclaré, sans susciter de polémiques très vives, que l’avenir des chrétiens en Egypte, c’était ou la soumission ou la conversion, ou la mort. D’autres leaders musulmans affirment que l’unité de l’Egypte ne pourra se réaliser que sous la férule de la Charia. Partout, non seulement en Egypte, mais aussi en Tunisie ou en Libye, les partis islamistes apparaissent comme étant les mieux à même de prendre et d’exercer le pouvoir : ils représentent l’immense majorité de la population, ils ont pour eux l’ aura de ceux qui ont les premiers résisté aux tyrans vendus à l’Occident. Ils ont aussi l’autorité dont disposent dans les pays musulmans ceux que l’on considère comme étant les plus pieux. Que pèsera un gazouillis sur tweeter d’un révolutionnaire en herbe numérique ou un compte facebook doté de plein d’amis occidentaux révolutionnant à distance face à cela ?

Partout ou presque dans le monde arabe, les chrétiens sont menacés. Il est troublant de constater que le sort des chrétiens ne diffère pas vraiment selon les cas. Que la démocratie ait été imposée par la force comme en Irak, qu’elle ait été obtenue par un soulèvement populaire comme en Tunisie ou en Egypte, ou par un mélange des deux comme en Libye, le résultat est le même : les chrétiens sont en danger. C’est même paradoxalement dans les pays dans lesquels a eu lieu une intervention étrangère que la situation est la plus dramatique[2. On connait le sort tragique des chrétiens irakiens. Quant aux chrétiens présents en Libye avant la guerre civile, si l’on en croit le journal La Croix, la plupart d’entre eux a fui le pays.].

Dans les époques troublées, la soif de purification des groupes humains est impossible à rassasier. Les Dieux ont soif, écrivait Anatole France à propos de la révolution française en titre de son meilleur livre. La transition vers la démocratie de l’Egypte, dont les historiens se souviendront peut-être qu’elle fut lancée par le gouvernement Moubarak lorsqu’il autorisa le pluralisme à l’élection présidentielle de 2005, est une de ces époques troublées. Comme en Chine sous Mao durant le « Grand Bond en Avant », lorsque furent massacrés les moineaux pendant la campagne d’hygiène dite des « quatre nuisibles », cette soif de purification a d’abord frappé les animaux.

En mai 2009, tirant profit de la grippe H1N1, le gouvernement égyptien avait orchestré une hallucinante campagne d’abattage des dizaines de milliers de porcs élevés par les chiffonniers coptes du Caire, sans que leur sort n’éveille de compassion dans le reste de la population, y compris copte, d’Egypte. Il n’y a désormais plus de porcs en Egypte et les chiffonniers coptes s’en trouvent plus misérables encore. Le sort des porcs égyptiens, disparus soudainement d’une région qui les avait domestiqués depuis des millénaires préfigurera-t-il celui des chrétiens, dont l’ancienneté sur la terre d’Egypte est presque aussi grande ?

Les Coptes d'Egypte: Discriminations et persécutions (1970-2011)

Price: 5,00 €

19 used & new available from

Le ni-ni façon Montebourg chez Pujadas

29

Comme je l’espérais, Arnaud Montebourg n’a pas donné de consigne de vote de hier malgré tous les appels du pied et les élans du cœur dont il avait été l’objet depuis vingt-quatre heures. Un Montebourg tout feu tout flamme, faisant questions et réponses, distribuant à la volée mauvais points et très mauvais points aux deux finalistes de dimanche prochain et s’amusant même à s’autocaricaturer en qualifiant à trois reprises Martine et François de « can-di-dats im-pé-trants » et en articulant méticuleusement ces deux mots à la manière du Baron Arnaud de la Patate Chaude cher à Nicolas Canteloup.

S’il s’est refusé a reprendre à son compte le « bonnet blanc, blanc bonnet » suggéré par son intervieweur, ce fut pour mieux le paraphraser la seconde suivante : « Aubry et Hollande sont les deux faces d’une même pièce… Il n’y a pas de différence sur le fond mais des différences de tempérament. ».

En conséquence de quoi a décidé de juger, justement sur pièces, et invité ses électeurs à faire de même : « Je leur ai annoncé que j’allais leur écrire une lettre que je rendrais publique, ils me répondront par écrit et nous publierons les échanges. Les citoyens pourront ainsi consulter mes demandes et leurs réponses ».

Match nul donc ? Pas tout à fait : il semble bien, comme je l’espérais là encore, que certains ont été plus taclés que d’autres. Ou disons plutôt certaine. Certes le numéro Trois a rappelé que l’archi-favori des sondages n’avait pas réussi son OPA sur le premier tour, mais pour ajouter aussi sec qu’une première secrétaire qui ne fédère que 30% sur son nom, c’est plutôt léger.

Mais surtout, Arnaud a envoyé un scud d’entrée à Martine, qui l’énerve prodigieusement à vouloir engloutir d’office ses 400 000 voix sans demander son avis à personne. Sans même être sollicité par David, il s’est déchainé dès le début de l’interview contre ce qu’il appelle la gauche « compassionnelle » et « qui pleure sur les conséquences d’une économie cruelle et violente » . Que ceux qui n’ont pas reconnu là le « care » aillent voter en paix…

Le dilemme du Grand Arnaud

19
Webstern socialiste

Le rideau s’ouvre dans la grande salle d’un château-fort dominant la Saône, près de Macon. Un grand feu brûle dans la cheminée. Le vicomte Arnaud de la Bresse s’entretient avec Aquilino, son conseiller et ami des bons et mauvais jours.

Arnaud
Mon ami, quel bonheur ! Il suffit d’une soirée
Et le charmant garçon se mue en coryphée !
Le chœur de ces primaires, c’est moi qui le conduit.
Une reine ou bien un roi ? Sans Arnaud rien n’est dit !
Pouce en haut, pouce en bas, tel un César romain
Je peux de l’une ou l’autre façonner le destin.
Cela me remplit d’aise, mais il faut faire un choix
Tes conseils sont précieux, fais entendre ta voix !

Aquilino
Messire Arnaud tout doux ! En de telles circonstances
Il faut rester modeste, et s’armer de prudence.
On vous fête dehors, les flatteurs se déchaînent
Craignez que vers l’abîme l’ubris ne vous entraîne !
Il faut choisir, c’est vrai, ou Martine ou François
Pour mener un combat qui ne va pas de soi…
Nicolas semble à terre, mais méfions nous de lui
Sa vaillance est intacte, rien n’est jamais acquis.
Pour bouter hors du trône ce suppôt d’Attila
Que tous les braves se lèvent et clament : « Me voilà ! »
Mais qui sera leur chef ? Le grognard est perplexe
Il faut lui parler clair, mais l’affaire est complexe…

Arnaud
Du héros si glorieux revenu de campagne
L’humilité doit être la revêche compagne.
J’ai compris la leçon, et sois en remercié.
Seulement de mon tourment, il faut te soucier.
Et m’aider à trancher aujourd’hui, pas demain !
Moscovici me presse, Cambadélis itou.
Si cela continue, ils vont me rendre fou.
Martine ? Je me souviens du piège de Marseille !
François ? Je n’aime pas trop les amis de la veille !

Aquilino
Ton cœur est partagé, et ta méfiance est grande
Le mien l’est tout autant : puisque tu le demandes,
Permets-moi d’éclairer ce chemin hasardeux.
Ils te veulent bavard ? Eh bien fait le taiseux !
Laisse planer le doute, attends que de leur joute
Sorte enfin le vainqueur qui montrera la route.
Parmi ses compagnons, tu seras le premier
Et cela sans devoir, jamais, te renier !

Arnaud
Ami, tu parles d’or, et je m’en vais céans
Cultiver le silence au bord de l’océan !

Quel second tour pour les voix de Montebourg ?

11
Photo : Le Parisien-PQR

Purée, ma voix vaut cher ! Dès hier soir, ils me faisaient tous les yeux doux. Enfin à moi et aux 400000 autres degauches qui ont mitonné la surprise du chef en soutenant Arnaud Montebourg au premier tour de la primaire socialiste (On va continuer de faire comme si les 0,61% de Baylet n’existaient pas, ce qui nous évitera d’utiliser le piteux vocable de primaires citoyennes.)

En conséquence de quoi, dès hier soir, la chasse aux voix démondialistes était la seule obsession des deux états-majors du second tour – qui ont préalablement pris soin, toutefois, de verser quelques larmes de crocodile sur le suaire de Ségolène. Et là, j’avoue avoir été assez choqué par la tonalité générale des commentaires. Tout d’abord, du haut de leur science exacte, experts, politologues, et sondeurs nous expliquaient dès 21 heures que ces 17% -qu’aucun d’entre eux n’avait vu venir, mais passons- se reporteraient « logiquement », voire « naturellement » sur Martine Aubry. Un credo aussitôt psalmodié en chœur par tous les ténors aubrystes, notamment ceux issus de la gauche socialiste, que Martine avait soigneusement planqués sous le tapis pendant sa campagne de premier tour, à commencer par leur leader, Benoît Hamon.

Que nous disent Benoît et Le Monde (et Fabius, et Camba et Delanoë) ? Tout d’abord que la maire de Lille captera forcément nos voix parce qu’elle est plus sociale et moins libérale que son adversaire de dimanche prochain. Déjà, c’est faire peu de cas de ce que le député de Saône et Loire n’a cessé de répéter depuis le début de sa traversée des primaires : du point de vue idéologique, Aubry et Hollande, c’est Dupond et Dupont ou, plus exactement Delors contre Delors.

C’est encore plus vrai quand on se rapproche du cœur du corpus montebourgiste, à savoir la démondialisation. Démondialisation dont il faut répéter qu’elle n’aura été que le premier étage de la fusée d’Arnaud, suivie au fil de la campagne, du rappel de plus en plus insistant de son double refus du TCE et de la lamentable ratification du Traité de Lisbonne –ce qui le distingue de ses cinq rivaux. Le troisième étage de la fusée, celui qui à mes yeux a réellement fait décoller Arnaud et convaincu pas mal d’hésitants de bouger de sous leur couette automnale, c’est bien sûr l’appropriation et la revendication du mot « protectionnisme », et ce sans même prendre la peine de l’accoler automatiquement dans ses discours à l’adjectif « européen ». Jusque là, c’était le mot qui stigmatise, décrédibilise, lepénise, la Lettre écarlate de la politique française au point que même le tonitruant Mélenchon n’osait le prononcer. Arnaud Montebourg l’a placé au cœur de ses « éléments de langage » -démontrant au passage qu’en politique, le cran peut parfois payer : avec moi, en tout cas, ça a marché à donf.

Martine Aubry est-elle mieux placée que François Hollande pour capter le protectionnisme ? Vu de loin, l’argument asséné hier par Benoit Hamon devant toutes les caméras semble imparable : « Imagine-t-on Arnaud Montebourg soutenir François Hollande au côté de Manuel Valls?». Mais le raisonnement de notre décongelé de fraiche date est hémiplégique : imagine-t-on Démondialisator faire tribune commune avec Martine entre Jacques Delors et Alain Minc sur fond de bannière bleue étoilée et d’Hymne à la joie ? Thierry Mandon, un des lieutenants de l’Arabo-morvandiau a assez bien moqué cette grosse ficelle sur le plateau de LCP : « Je suis content de voir que Fabius s’est converti à la démondialisation. Depuis le JT de 20 heures… » .

Bien sûr, dans le camp d’en face, ça a dragué sec aussi. Mais au moins les Hollande boys n’ont-ils pas trop cherché à me vendre de pianos (sauf Jack Lang, hein, mais c’est un peu le Baylet du PS, hein). Pas de conversion aussi soudaine que suspecte à la démondialisation, mais une prise en compte somme toute assez crédible, du volet VIème République du projet Montebourg, soit le minimum syndical. Les idées de François Hollande ne sont pas mes idées, et ses rêves encore moins, mais sa sobriété me sied. A contrario, le dolorisme indigné de sa challengeuse me replonge en plein cauchemar ségoléniste, et j’ai déjà donné.

Accessoirement, et c’est mon petit doigt qui me le dit, et pas mes amis les sondeurs, Hollande me paraît plus à même de tenir le choc face à un Nicolas Sarkozy, qui, va mettre toute sa force, sa ruse et son intelligence dans le combat de sa vie. En cas de confrontation avec Martine Aubry, là encore ce sera Ségo bis. Perso, ce n’est pas cette dimension de vote utile qui me parle le plus, mais je ne suis probablement pas un échantillon représentatif du vote Montebourg…

N’étant pas dans le secret des dieux, j’ignore tout de la consigne que donnera, ou ne donnera pas, ce soir Arnaud Montebourg. De toute façon, dans ce type de scrutin plus que dans tout autre, nul n’est propriétaire de ses voix. Comme tous les supporters d’Arnaud Montebourg, j’écouterai avec attention les indications qu’il donnera pour le second tour. En l’état actuel des choses, je ne sais pas encore si j’irai voter dimanche prochain, mais je sais déjà pour quelle candidate je ne voterai pas.

Aubry : carrément « care » !

11

Les plus subtils observateurs de la faune politique sauvage française auront pu remarquer que depuis des mois – bien avant que commence l’âpre mêlée des primaires socialistes en vue de l’élection présidentielle de 2012 − Martine Aubry, candidate à la magistrature suprême, évoque à longueur de prises de parole la nébuleuse notion anglo-saxonne de care (mot polysémique agaçant renvoyant au soin, à la sollicitude, au dévouement, etc.) Elle y tient tellement qu’elle a fait imprimer des milliers de T-shirts pour ses militants, sur lesquels on peut lire son slogan « Yes we care ! », mollement calqué sur le « Yes we can ! » victorieux de Barak Obama. Mais, qu’est-ce que le care (à prononcer un peu comme le nom de la capitale égyptienne) ? À quelle effrayante société maternante rêve − pour tous les Français − la mairesse de Lille ?[access capability= »lire_inedits »]

Notons, en liminaire, que l’effort déployé par Martine Aubry pour donner à son programme une véritable assise intellectuelle et morale est louable. Ses concurrents et concurrentes socialistes n’ont pas tous engagé ce type de réflexion, à l’instar par exemple de Ségolène Royal qui n’a réussi − au bout d’un travail que l’on présuppose intense − qu’à emprunter au chevrotant Stéphane Hessel son ébouriffante antienne de l’indignation. Le care va plus loin que ce gadget sémantique électoral, et vient de plus loin aussi. Dans les années 1980, outre-Atlantique, des intellectuelles féministes telles que Carol Gilligan ou Joan Tronto ont développé − dans des champs divers allant de l’éthique à la politique − cet impératif altruiste du soin aux autres qui devrait prévaloir sur l’égoïsme prétendument généralisé de nos sociétés contemporaines matérialistes et post-industrielles. Moi non plus. Tronto définit en ces termes le care qui « constitue une activité caractéristique de l’espèce humaine qui inclut tout ce que nous faisons en vue de maintenir, de continuer, ou de réparer notre monde de telle sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible ». Nous serions bien médisants de penser que l’Amérique récupère toujours le pire de la pensée française, et que les intellectuels français héritent habituellement de la plus irritante pensée américaine qui soit. Le care ne propose pas qu’une optimiste vision altruiste de la société (qui le rattache pourtant à une tradition catholique de gauche prévisible comme un pater noster), mais suit une approche éthique plus rugueuse partant du constat que les valeurs de care qu’il faut encourager (soin, attention à autrui, etc.) sont non seulement particulièrement familières aux femmes (étant très présentes dans les domaines de la santé, de l’éducation, et des services aux personnes, etc.), mais seraient même intrinsèquement féminines… Le salut moral − puis politique − de notre temps passerait donc par la douceur compatissante propre aux représentantes délicates du sexe faible. Ce fameux sexe numéro deux.

C’est vers le mois d’avril 2010 que Martine Aubry a défendu pour la première fois la société du care, à travers une allocution publique et une interview à Mediapart. Elle déclarait crânement : « N’oublions jamais qu’aucune allocation ne remplace les chaînes de soins, les solidarités familiales et amicales, l’attention au voisinage. » La cheftaine socialiste a alors commencé à adhérer avec un enthousiasme sans plus de vergogne à cette vision morale intégrale selon laquelle la dépendance serait le propre de l’humain, et la solidarité entre interdépendants un impératif moral. Un an plus tard, Martine-à-la-campagne-électorale déclarait à nos confrères du Monde : « Le care, c’est l’attention aux autres, le contraire d’une société dure et indifférente. La façon dont on vit ensemble, le lien social sont des questions majeures. La collectivité doit s’occuper de chacun. Mais chacun, dans chaque rue, dans chaque quartier, doit s’impliquer contre la solitude, le vieillissement, la perte d’autonomie. C’est ce que j’ai appelé à Lille la « ville de la solidarité », et cela marche. Le care, ce n’est pas l’assistance. Cela donne de nouvelles responsabilités à l’État, qui doit personnaliser ses réponses. » Et ta sœur ? La société du care propose ainsi une forme d’atténuation des frontières entre le domaine public et le domaine privé : au-delà de l’action sociale découlant de manière verticale, des autorités vers les populations, la société du care encourage et organise une angoissante solidarité horizontale entre les individus. L’intrusif care aubryste vise finalement à accompagner chacun d’entre nous dans la vie privée d’autrui, en vue d’un hypothétique bien collectif… Mais quel est le pas entre l’accompagnement acceptable et l’angoissant réordonnancement globalisé ?

La fille légitime de Jacques Delors et de Pierre Mauroy (pardon pour l’image), déclarait récemment à Rue89 qu’elle retenait… « d’abord du socialisme de l’ère Jospin la morale en politique ». Et pourquoi pas l’« ordre juste » ? Ce care ultra-moralisant ne serait donc qu’une rare et intrigante forme de jospinite aiguë ? Les séquelles prévisibles du passage de Martine Aubry au gouvernement − dans les années de jadis − sous les sarcasmes de Philippe Muray ? Le fait est que l’apparition de ce tropisme altruiste dans le « logiciel socialiste » ne date pas d’hier ; la nouveauté tient davantage à l’actuelle et ridicule tentative maternante et à sa soudaine publicité…

Nous obligera-t-on − demain − à céder aux facilités doucereuses de la solidarité-facilité ? Quel avenir pour les esprits un peu anars qui ne voudront pas s’ouvrir aux autres, comme des huîtres, et n’attendront rien (non plus) de personne ? Les contraindra-t-on, un jour, à avoir de l’affection pour autrui ?
Emphatique empathie…

Mes aïeux, libérez-nous du care ![/access]

Pour acheter ce numéro cliquez ici
Pour s’abonner à Causeur cliquez ici

Et Montebourg siphonna la gauche du PS

63
Photo : Des Idées et des Rêves

Je n’ai pas voté aux primaires. Faut-il en conclure que je n’adhère pas aux « valeurs de la gauche et de la République » ? En tout cas, j’ai raté le rendez-vous du Parti Socialiste avec la démocratie d’opinion.
Pourtant, si la gauche m’exaspère, la droite, elle, au mieux, me navre. Au moins côté sinistre, les plus audacieux affichent de sympathiques velléités néogaullistes, qui ne brillent pas par leur capacité à dépasser l’économie de marché mais ont le mérite de rompre avec l’orthodoxie libérale.
Du coup, je ne suis pas plus mal placé qu’un autre pour tenter d’analyser le principal événement de la soirée d’hier, la percée d’Arnaud Montebourg. Aux étourdis, je rappelle d’ailleurs les résultats : sur plus de deux millions de votants – lesquels ne suffisent pas cependant à garantir le résultat de la vraie élection si l’on se souvient que quatre millions de participants aux primaires de la gauche italienne n’empêchèrent pas, il y a quelques années, Walter Veltroni de finir terrassé par Berlusconi – 39% ont glissé un bulletin Hollande dans l’urne, 31% Aubry, 17% Montebourg et…. seulement 7% Royal[1. Je mets de côté les résultats piteux de Valls et Baylet, respectivement « socialiste » et « radical », qui pourraient concourir à la primaire du Modem, si le parti centriste respectait un semblant de démocratie interne.].

Sans faire preuve de cruauté inutile, l’échec cuisant de Madame « 17 millions de voix au second tour de la présidentielle » illustre l’éclatement de la bulle médiatique ouverte en 2006. Ah ces salauds de sondeurs qui vous apostasient après vous avoir baptisée ! La popularité et les effets de manche ne marchent qu’un temps, au bout d’un moment, le réel reprend ses droits. La recette est imparable : invoquez Delors et Chevènement dans une même phrase, jouez jusqu’à l’excès le numéro de la femme bafouée sûre de sa victoire, gargarisez-vous de votre défaite passée, mélangez le tout et vous obtiendrez… un bide retentissant.

Et Montebourg à 17%. Qui l’eût cru ? Certainement pas moi, lorsqu’au début de l’été, l’un des proches collaborateurs du député de Saône-et-Loire me confiait viser un score « entre 15% et 20% », porté par la conjoncture internationale. Eh oui, le démantèlement de Dexia, les plans d’aide à la Grèce qui n’en finissent pas, et l’abaissement occasionnel des notes souveraines espagnole ou italienne ont certainement joué en faveur du candidat de la démondialisation. Fût-elle incantatoire, la combativité de Montebourg a sans doute payé : lorsque tout s’effondre, le système financier, l’euro, et le libre-échange chéri, autant se tourner vers les Cassandre qui vous avaient annoncé la chienlit et vous proposent de remettre de l’ordre dans ce fourbi. Damer le pion aux banquiers, créer une agence de notation Potemkine[2. Pas besoin d’être Georges Kaplan pour comprendre que les agences de notation ne sont que des instruments d’ajustement aux mains des marchés et qu’il ne suffit pas de casser le thermomètre (ou d’en fabriquer un pipé) pour dompter la fièvre financière]- pardon nationale- relocaliser une économie à dominante coopérative, en voilà des thématiques alternatives qui séduisent le chaland en quête de nouveauté !

Avec tout cet attirail dans son fourreau, Arnaud Montebourg a probablement phagocyté la gauche de la gauche et, au-delà, une bonne partie du Non au Traité constitutionnel européen, orphelin depuis un certain 29 mai 2005. Le ralliement – pas toujours enthousiaste – à Martine Aubry des emmanuellistes, hamonistes, proches de Quilès et Lienemann et de toute l’aile gauche n’a pas empêché Montebourg de remonter ses concurrents durant la dernière ligne droite. Le caractère ouvert de la primaire n’a pas reproduit les subtils équilibres au sein d’un parti aussi sclérosé que le PCUS brejnevien. Au contraire, l’absence, dans son entourage, de figures de poids a potentiellement renforcé l’image d’outsider de Montebourg, trop heureux de ruer dans les brancards devant le premier potentat marseillais venu. Il se pourrait même que les affaires Guérini, Takieddine, Bourgi et Djouhri aient favorisé l’émergence du Torquemada de Macon, que sa croisade contre la corruption et les paradis fiscaux a longtemps enfermé dans le costume de grand inquisiteur. Ajoutez à cela les performances remarquées- quitte à sombrer dans les outrances anti-sociaux-dems du candidat protectionniste lors des trois débats télévisés, où il s’illustra par la hauteur de son verbe et l’originalité de ses propositions, et vous comprendrez une partie de son exploit du jour.

De facto, Montebourg devient le nouveau leader de l’aile gauche, Benoît Hamon n’ayant plus assez d’yeux pour pleurer à force de s’être enferré dans l’emploi inconfortable de porte-parole aubryste du PS. Fils adultérin du couple improbable Eva Joly-Bernard Cassen, « Monsieur démondialisation » devra désormais faire fructifier son capital électoral.

À entendre ses soutiens, il s’agit en effet d’inscrire ce succès dans la durée, par-delà les (légitimes) ambitions personnelles de leur leader. Oubliées les alliances broussailleuses avec Moscovici, les combinazione avec Royal puis Aubry ? N’allez pas trop vite en besogne, les amis. On me murmure qu’une alliance avec François Hollande se fait jour. Vous vous souvenez ? Le candidat encore honni hier matin, social-démocrate « mou », figure du « système » qui voudrait que tout change pour que rien ne change. Pour un peu, moyennant quelques concessions de fond et, cela va sans dire, une flopée de retours d’ascenseur, Guy Mollet se transformerait en Mitterrand 2.0 (le quasi-socialiste d’Epinay, pas celui des Croix-de-Feu ou de la « parenthèse » libérale 1983-1995).

Bon, arrêtons là nos spéculations. Quand bien même Montebourg se vendrait à Hollande (ou d’ailleurs à Aubry, même topo chez ces deux jospiniens bon teint), rien de nouveau sous le soleil. Quoiqu’en disent les grands mythes de la gauche, l’histoire politique est celle d’un éternel cocufiage, les héros d’hier mutant régulièrement en traîtres d’aujourd’hui, et réciproquement.
Montebourg est sorti vainqueur du match des « petits candidats ». Pour créer un courant à la gauche du PS ? Monnayer quelques postes bien placés dans le gouvernement du (très hypothétique) président Hollande ? Jouer le tout pour le tout en pariant sur la défaite de la gauche histoire de s’ériger en homme providentiel au milieu des ruines socialistes dès mai 2012 ?

Et si ces hypothèses ne s’excluaient pas ? Après tout, comme disait le presque regretté Michel Poniatowski, à droite, à gauche, et sur les côtés, l’avenir n’est écrit nulle part

Le Syrte a assez duré

3

Comme Alain Minc, je suis content de vivre dans un pays riche. Comme lui, j’exècre l’économie planifiée, et, comme lui, je préfère de beaucoup me trouver dans le camp des vainqueurs. Il est exact que, sur le plan économique, l’Union Européenne nous cause un certain souci. Mais sur le plan diplomatique, les nouvelles sont très bonnes. Un dictateur est en fuite. La ville de Syrte devrait tomber d’un instant à l’autre. Le dernier fanatique sera tué, et tout sera fini.

Quel temps perdu, quand même. Comment peut-on vouloir s’opposer à une guerre humanitaire ? Et soutenue par l’OTAN, en plus ?

Je trouve que nos ennemis sont devenus incompréhensibles depuis quelques temps. Les combattants kadhafistes ont un intérêt pécuniaire dans l’affaire, ce n’est pas possible autrement. Sont-ils fanatisés par leur instinct tribal? Je n’en sais rien.

De toute façon, cette histoire commence à bien faire.

Il faudrait que quelqu’un leur dise que cette résistance acharnée ne sert à rien. Il faudrait que quelqu’un leur dise que le courage est une vertu réservée au vainqueur. Il faudrait que quelqu’un leur dise que, s’ils se font massacrer, personne n’en saura rien.

Un petit coin de paradis

Price: 6,00 €

46 used & new available from 1,24 €

Primaires : a failli voter !

270

Samedi soir, j’étais résolu à descendre à la sous-préfecture la plus proche de mon domicile, localité assignée par le comité d’organisation des « primaires citoyennes de la gauche » aux électeurs de mon village désireux d’y participer.
Cette tentation était d’autant plus grande que se déroulait dans cette même ville le comice agricole, un événement décennal haut en couleur. On peut y admirer les plus beaux spécimens de l’élevage local, veaux, vaches, cochons et couvées, et déguster un choix de spécialités solides et liquides du meilleur aloi. La dimension politique du comice agricole fait hélas partie de ce passé qui, hélas, ne reviendra plus, tout comme les discours amphigouriques des notables dont l’élite intellectuelle parisienne ne manquait pas de se moquer[1. Je viens de lire Michéa…].

La nuit, dit-on, porte conseil. Certes, mais avant que ce conseil éclairé s’impose à vous, vous vous payez une sacrée insomnie dont les traces seront sensibles pendant une bonne journée, sinon plus.
La question qui éloignait de moi le marchand de sable était aussi simple qu’insoluble : à quel titre irais-je m’immiscer dans ce scrutin destiné à permettre aux électeurs de la gauche de choisir leur champion(ne) pour la présidentielle de mai prochain ?
Ayant déserté ce camp, qui fut longtemps le mien, lors de l’élection de 2007, et n’étant pas du tout certain de revenir au bercail en 2012, je devrais être totalement indifférent à cette primaire.

Et pourtant, je me sentais fortement tenté de mettre mon grain de sel dans ce nouveau plat de la vie politique, car l’hypothèse d’une victoire de la gauche en mai et juin est loin d’être absurde. Non que j’attende une quelconque prébende du parti des vainqueurs : à mon âge, cela serait aussi ridicule que présomptueux.

Mais l’électeur de droite que je suis devenu a bien, lui aussi, le droit de choisir contre qui il va voter, et cela d’autant plus que ce dernier a de bonnes chances de l’emporter. Dans cette configuration, le choix du candidat à la primaire s’impose : il s’agit de celui ou celle qui vous donnera le plus envie de vous mobiliser pour lui barrer le chemin de l’Elysée. Mais la simple idée de glisser dans une enveloppe et dans l’urne un bulletin portant le nom de Ségolène Royal ajoutait l’horreur du cauchemar aux affres de l’insomnie.

Mais dans la perspective d’une probable victoire de la gauche, un raisonnement inverse me poussait à favoriser le candidat le moins éloigné de mes convictions, autrement dit le plus à droite des postulants. Celui qui ne nous bassine pas avec le care, le dolorisme universel et nous garantit un quota suffisant d’énergie à bon marché grâce au nucléaire : Manuel Valls. Mais comme il n’a aucune chance de passer le premier tour, l’incitation à l’effort de se lever, se laver, descendre dans la vallée par un temps maussade invitant au farniente et à la sieste est de faible intensité.
Pendant que toutes ces pensées se bousculaient dans ma tête, mon épouse, électrice de gauche sans états d’âme depuis un nombre de décennies qu’il serait discourtois de préciser, dormait comme un ange. Le lendemain matin, elle se leva sans bruit pour aller voter, me laissant récupérer de ma calamiteuse nuit.

J’espère très fort qu’il n’y aura pas de second tour.