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Ni brute ni soumis


Ni brute ni soumis

Lutter contre le tabassage des femmes par leurs maris (ou vice versa), c’est bien mais c’est classique. Le secrétariat d’Etat à la Solidarité a dans sa ligne de mire un ennemi autrement plus perfide : la violence invisible. Vous serez donc bientôt soumis à une rafale de spots télé dénonçant la violence psychologique dans le couple. Parce que, c’est bien connu, on commence par être désagréable, on finit par cogner. Contrairement à la précédente campagne, semée de plaies et bosses, voire de meurtres, il s’agit cette fois-ci de faire la guerre aux propos désobligeants voire injurieux qui sapent la confiance en soi et minent l’équilibre psychologique de celui, en l’occurrence de celle, qui en est victime. Dans l’exposé des motifs et des bons sentiments qui accompagne le clip, tourné par Jacques Audiard, on nous promet une description si exacte de cet enfer oppressant et invisible qu’elle crée un malaise insupportable pour le téléspectateur. Mais, assure le metteur en scène dans les colonnes du Parisien, « à la fin l’espoir est là, notre femme réagit ». Diable ! Elle sort un flingue ? Elle met un pain au goujat ? Non, au risque de gâcher le suspense, sachez que sa réaction consiste à appeler le 3619.

A priori, il est difficile d’être contre cette belle cause – personne ne soutient la violence conjugale ni même le harcèlement psychologique. Sauf que contrairement à la bonne vieille violence visible (gifles, uppercuts, etc..), l’ennemi est impalpable, invisible mais aussi silencieux. Nous sommes, je vous le rappelle, dans le domaine de la violence psychique. Prenons la scène du spot. L’homme ne dit rien mais, en pensée, il traite sa femme de « boudin », « traînée » et autres « conne » : la loi va-t-elle punir ces insultes – non prononcées – de prison ? Pourra-t-on se retrouver en garde à vue parce qu’on a pensé « quelle conne ! » ? Il y a le contexte, me direz-vous. Certes, mais un juge harassé ne pourra pas plus distinguer les pensées criminelles des autres qu’il ne saura faire le partage entre l’insulte (verbale) sans conséquence et celle qui mène au pire. Les mots et les gestes ne sont pas seuls à avoir des conséquences dramatiques : le silence, le mépris, la froideur sont des armes aussi redoutables sinon plus que l’antienne « tu ne sais pas t’occuper des enfants » (exemple tiré du même article).

Le message, c’est le casting : la femme est la victime et l’homme le bourreau. Or, si on peut admettre que la violence physique « visible » est un phénomène majoritairement masculin, on ne voit pas pourquoi le harcèlement psychologique le serait aussi. Dans mon propre milieu socio-familial, je connais autant de femmes que d’hommes qui pratiquent ce sport de démolition systématique de leurs conjoints. Lequel d’entre nous ne s’est jamais trouvé désarmé face à une harpie ? Peu importe : il s’agit de confondre Mal et Mâle. Ce qui revient, au nom de la défense de la femme, à ressusciter, en les inversant, les vieux stéréotypes dont le féminisme prétendait nous avoir délivrés.

Autant dire que cette campagne et la logique qui la guide desservent complètement la cause qu’elles prétendent défendre. Oui la pente est glissante et pas seulement des mots aux actes : de la dénonciation légitime de la violence, on est passé à celle de toute forme de pouvoir : comme on disait autrefois que tout est politique, on veut désormais nous faire avaler que tout est violence. Ne pas aimer une femme, occuper une position dominante, construire des tours, posséder une voiture et parfois le simple fait d’être un homme constituent autant de formes de violence. Et c’est là qu’on atteint l’absurde. Il y a quelques années, un mémoire de maîtrise soutenu à l’université de Jérusalem – et qui fut honoré d’une récompense – prétendait que si les soldats israéliens ne violaient jamais les Palestiniennes ni les Palestiniens c’est parce qu’ils étaient racistes ! Le non-viol, n’est-ce pas une terrible violence symbolique, ça ? Le piège se referme sur les moralisateurs : si tout est violence, rien ne l’est vraiment. Laissons les hommes, les femmes et les psychanalystes se débrouiller avec la « violence invisible » et occupons nous de celle qui fait des bleus – sans distinction de sexes. Je ne sais pas pourquoi, mais si j’étais une femme, je préfèrerais mille regards qui tuent à un direct du droit !

Juillet 2009 · N°13

Article extrait du Magazine Causeur



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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