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Mon ami japonais Kobayashi Hideo se confie…

Le billet du vaurien


Mon ami japonais Kobayashi Hideo se confie…
Image d'illustration Unsplash

Le billet du vaurien


Nous étions d’accord au moins sur un point : l’homme est un miracle sans intérêt. La mort est la seule chose plus grande que les mots qui la nomment. Si j’avais dû définir en deux mots mon ami Kobayashi, j’aurais dit qu’il était un pèlerin du néant. Il admirait le poète Jacques Rigaut qui répétait volontiers que le suicide est une vocation. Il avait d’ailleurs annoncé son suicide pour ses quarante ans et il avait tenu parole. Moi aussi j’avais annoncé mon suicide pour mes quarante ans et je suis encore là avec toi chez Yushi entrain de siroter un flacon de saké. 

Sénèque et saké

Il éclata de rire. « Tu sais, me confia-t-il, moi aussi j’ai longtemps rôdé autour du suicide. J’ai tenté de me suicider deux fois : la première fois par ennui et la seconde à cause d’une femme. Je n’ai jamais raconté cette histoire à qui que ce soit. Il n’y a rien de plus stupide que le récit d’un suicide manqué. C’est aussi bête que de raconter ses rêves. D’ailleurs de quoi pourrions-nous encore rêver ? Les filles nous filent entre les doigts : nous ne représentons plus un capital suffisant et l’ennui nous guette. »

« Il fut un temps, marmonnai-je, où je croyais encore en la politique. Cela n’a pas duré longtemps : pourquoi libérer les hommes, puisqu’ils naissent libres, en ayant chacun à

chaque instant la liberté de mourir. Je lisais beaucoup Sénèque à cette époque. »

« Et moi, très jeune, ajouta Kobayashi, la vie m’est apparue comme une odeur de cuisine nauséabonde qui s’échappe par un soupirail. On n’a pas besoin d’en avoir mangé pour savoir qu’elle est à faire vomir. »

Et pourtant nous sommes encore là-devant nos flacons de saké, totalement désabusés, comme des chiens attachés à leur laisse, attendant que leur maître leur jette un os. Faute de mieux, nous le rongerons. Le plaisir que nous prenions à gambader a disparu depuis longtemps. Le Maître nous prendra contre lui sur le divan et allumera la télévision. Des hommes courent derrière un ballon. Le Maître les regarde avec une certaine condescendance. Il est un Dieu à ce moment sous les cris des supporteurs. Et nous qui sommes-nous, nous qui n’avons jamais rien été ?




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