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Les ultra-riches, la Sologne, la chasse


Les ultra-riches, la Sologne, la chasse
Image d'illustration © DURAND FLORENCE/SIPA

On accuse les ultra-riches d’avoir fait main basse sur la Sologne et d’y avoir perverti la chasse en la transformant en un simple loisir mondain. Solognot de naissance et de cœur, notre chroniqueur revendique le droit de dire que le vrai scandale n’est pas tant leur fortune que l’engrillagement des terres.


Dans sa livraison du 12 août, Le Canard enchaîné publiait un article titré « La Sologne, terrain de jeu des ultra riches ». Les auteurs faisaient évidemment référence à l’ouvrage du journaliste Jean-Baptiste Forray, Les Nouveaux Seigneurs, publié voilà quelques mois aux éditions Les Arènes. Un bandeau précisait le sujet : « Comment les ultra-riches ont colonisé la Sologne et dénaturé la chasse »

Il se trouve que je suis de ce pays-là, que j’y ai grandi, que j’y vis et mes pères avant moi. Je me sens donc – à tort ou à raison – une certaine légitimité à parler du sujet. 

Le biais que recèlent à la fois l’article et le bouquin – biais idéologique – est qu’on y démêle assez mal si le plus grand crime commis par cette trentaine de possédants est d’être riches ou de pervertir la chasse en une sorte de jeu de massacre. Pour ma part, je serais parfaitement en mesure de présenter aux auteurs de l’une et l’autre publication des gens fort nantis de chez nous qui, pour rien au monde, n’érigeraient la moindre clôture autour de leur domaine, considérant à juste titre que ce serait une monstrueuse hérésie. Ne serait-ce que par souci d’intégrité journalistique, ce fait me semble devoir être souligné. 

Cela dit, le problème – bien réel – est effectivement tout entier celui-ci, opportunément dénoncé par le livre et l’article : l’engrillagement de centaines et centaines d’hectares afin d’y emprisonner les animaux destinés à être canardés lors de journées de tirs de loisir entre soi que, par une perversion de langage assez scandaleuse, ces gens-là tiennent encore à appeler « chasse ». 

Néanmoins, en ce qui me concerne, je tiens absolument à reconnaître à cette trentaine de noms ciblés par ces écrits deux droits qui me paraissent imprescriptibles : le droit d’avoir des sous, même beaucoup. Et surtout le droit à la bêtise, ce droit d’ailleurs très équitablement réparti dans l’ensemble des populations humaines, toutes catégories sociales, toutes situations de fortune confondues. Réalité incontestable qui nous inciterait presque à considérer que, au moins sur ce point, la vie est plutôt bien faite. Passons.

À lire aussi : Sologne: la chasse aux «gros» est ouverte

La bêtise à laquelle je me réfère ici se niche dans le fait que, en dressant ces grillages pour y contenir ce que, là encore indûment, on persiste à qualifier de gibier, ce n’est justement plus du gibier que ces Tartarin auront à se mettre au bout du canon. La raison en est simple : une fois enfermé, le gibier cesse d’être du gibier. Il perd ipso facto sa qualité, son statut, sa nature même de gibier. Une qualité, un statut établis depuis les temps plus anciens, à travers les écrits bibliques de la Genèse, le droit naturel, et parfaitement codifiés par l’admirable droit romain. 

La nature intrinsèque du gibier, ce qui fait qu’il est ce qu’il est, réside tout entière dans sa caractéristique fondamentale de res nullius, une chose, un bien qui n’appartient à personne. Il va et vient à sa guise, se nourrit ici aujourd’hui, là demain, naît à tel endroit, crève à tel autre, se reproduit de même, n’a nul maître identifiable, etc. (Je ne résiste pas au plaisir de noter que, dans un article similaire, publié par Charlie Hebdo voilà quelques semaines, l’auteur s’égarait gaiement en créditant la Révolution de 1789 de l’invention de cette géniale qualification de res nullius. Là, encore, biais idéologique. Le bon vieux réflexe attrape-tout de la gauche pseudo-intello…).

Bref, continuer à vouloir considérer comme gibier un animal engrillagé est à peu près aussi stupide que de prétendre persister à créditer de sa qualité d’homme libre tel être humain réduit en esclavage. Cela est sans doute défendable chez les Shadoks et le Père Ubu, mais nulle part ailleurs.

Le grand crime des engrillageurs est donc bien celui-là, la sottise associée à l’ignorance crasse de la richesse, de la noblesse de ce statut ancestral, traditionnel, patrimonial de res nullius par lequel le droit romain reconnaissait et consacrait l’absolue et inaliénable liberté de ces animaux. Une liberté demeurée telle qu’en elle-même en deux ou trois mille ans d’histoire. Merveille des merveilles ! Sans pareille, probablement ! Liberté qu’épouse en quelque sorte celle de notre Raboliot (dans le roman de ce nom de Maurice Genevois), par exemple, dont on célèbre cette année le centenaire. Celui-là ne s’approprie pas la Sologne, ne l’engrillage pas. Tout simplement parce que, tout au contraire, il porte en lui la conviction profonde que le terroir ne lui appartient pas mais qu’il lui appartient. 

En vérité, ce n’est donc pas du gibier que tirent les engrillageurs. Ce n’est pas non plus de la chasse qu’ils pratiquent. Seulement et piteusement du tir sur cibles vivantes. Ce qui, à ma connaissance, est radicalement interdit en France. On attend donc que les politiques, la représentation nationale s’activent et fassent respecter, avec rigueur et fermeté, cette disposition légale. Affaire de courage, tout bonnement. Même si, en face, le gibier à plumes ultra-dorées auquel ils auront à s’affronter appartient à l’espèce sans aucun doute la mieux protégée de notre République.

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Ex-prof de philo, auteur, conférencier, chroniqueur. Dernière parution : « Je suis Solognot mais je me soigne » éditions Héliopoles, 2025

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