Dès vendredi soir, à ma suggestion, Causeur a été parmi les premiers à évoquer l’affaire Vittorio de Filippis et j’en suis plutôt fier. Attaché à une certaine idée de l’Etat et peu enclin au tir à vue obsessionnel sur la police ou la justice, je me sens très mal à l’aise quand des fonctionnaires se comportent en racailles.
Or, c’est très exactement ce qui s’est passé vendredi dernier au commissariat du Raincy, puis au TGI. A en croire quelques commentaires qui ont suivi ce premier article, certains d’entre vous se sont étonnés de voir Causeur oublier sa défiance envers le Parti des Médias pour sombrer dans une sorte de confraternalisme béat. En substance, certains nous ont reproché d’avoir dénoncé le traitement abject réservé par une juge d’instruction à Vittorio de Filippis, parce que c’était bien fait pour ce sale journaliste, de Libé qui plus est.
On retrouve d’ailleurs exactement le même genre de commentaires sur la plupart des sites généralistes qui évoquent l’affaire et ou une palanquée d’internautes se félicitent qu’un gros poisson soit traité (ou plutôt maltraité) comme tout un chacun. À ceux-là, je le dis gentiment : vous avez tout faux, ce raisonnement est indigent et qui plus est inélégant. Je crois que je leur dirais beaucoup moins gentiment si ce genre de saloperie m’était arrivé à moi ou à un de mes proches.
Pour aggraver mon cas, je suis en accord total avec la façon dont le personnel de Libération pose le problème dans son appel à manifester vendredi prochain : « Les journalistes, disent-ils ne sont pas des citoyens au dessus des lois. Pas plus que les magistrats chargés de les faire respecter. Jusqu’à preuve du contraire, le délit de diffamation ne relève pas de la qualification de terrorisme. » Oui, moi aussi, je crois que si on laisse filer cette fois-là, ce genre de gâterie nous pendra tous au nez.
Car Muriel Josié, la juge s’instruction qui a de toute évidence demandé aux policiers de réserver un traitement « soigné » à Vittorio de Filippis, ne s’en est pas prise à un magnat de la presse. On n’imagine pas un seul instant Patrick de Carolis arrêté et menotté devant ses gosses à l’aube. Ou Arnaud Lagardère soumis à deux reprises à une inspection rectale. On n’imagine même pas le martyr de service Denis Robert placé en garde à vue, pour une banalissime affaire de non-réponse à une convocation. On n’a de toute évidence pas tenté d’humilier cet homme-là parce qu’il avait été, pendant quelque mois PDG du journal (au moment de l’éviction de July), mais parce qu’il n’est plus aujourd’hui que journaliste au service éco de Libération. (En revanche, le plaignant à l’origine de cette affaire n’est pas exactement un justiciable lambda : Xavier Niel est le fondateur de Free, une des principales entreprises françaises de télécoms. Et donc aussi un des plus gros annonceurs du pays. Peut-être en reparlerons-nous…)
Dans cette affaire, Vittorio de Filippis, c’est moi, c’est nous, c’est vous. Vittorio de Filippis, c’est Joseph K, à qui une émule du juge Burgaud a voulu montrer qui était le plus fort, et où était le droit. Moi, qui suis d’ordinaire peu porté sur les happenings corporatifs, c’est pour cela que j’irai manifester vendredi à 13 heures devant le Palais de justice. C’est pour cela que je n’irai pas y réclamer, comme le feront sans doute certains, la démission de la Garde des Sceaux, parce que ça, je m’en contrefous. On n’aurait bien tort de se focaliser sur la pauvre Rachida Dati, qui a certes perdu une 129e occasion de se taire en apportant son soutien à une magistrate dont beaucoup de ses collègues pensent qu’elle maîtrise mal ses nerfs, mais ce n’est plus le problème. On ferait mieux de s’attaquer enfin au fond, à ce qu’on n’a pas su ou pas voulu faire sérieusement après le Tchernobyl d’Outreau: s’en prendre au pouvoir de nuisance hallucinant des juges d’instruction. Ce n’est pas seulement Muriel Josié qu’il faut sanctionner, c’est sa fonction même qu’il faut éliminer.
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