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Françoise Sagan au cœur des années soixante

Les femmes dans la littérature (3/7)


Françoise Sagan au cœur des années soixante
Françoise Sagan photographiée en 1978 © RUDLING/SIPA

Françoise Sagan publie La Chamade en 1965 chez Julliard. Ce roman, sur lequel elle a beaucoup travaillé, narre l’histoire de Lucile, jeune femme oisive d’une trentaine d’années, qui vit avec Charles, homme d’affaires plus âgé qu’elle et très riche. Ils évoluent dans un petit milieu parisien parfaitement mondain, fait de dîners en ville, de sorties en tout genre, de vacances à Saint-Tropez. Lucile aime cette vie insouciante, qui correspond à son tempérament hédoniste. « Elle se sentait parfaitement irresponsable », écrit Sagan.

Anatomie d’une passion

Lors d’un dîner où elle se trouve avec Charles, Lucile rencontre Antoine, jeune homme très séduisant mais désargenté. Il est l’amant de Diane, mondaine sur le retour, pour qui Antoine fait presque figure de démon de midi. Lucile et Antoine, liés par leur jeunesse, tombent amoureux l’un de l’autre, au grand dam de leurs conjoints respectifs. Ils vont vivre cette relation d’abord en cachette, puis au grand jour. Sagan, dans ce roman, nous fait une extraordinaire description de la fascination charnelle qui entraîne Lucile et Antoine jusqu’au bout de la volupté. La romancière souligne à maintes reprises cette intensité érotique, certes en des termes tout à fait classiques, mais expressifs : « ils murmuraient en les redécouvrant, écrit Sagan de leur première étreinte, les mots crus, maladroits et puérils de l’amour physique et l’orgueil, la reconnaissance du plaisir donné, reçu, les rejetaient sans cesse l’un vers l’autre ».

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Sagan insiste sur la personnalité de Lucile, « épicurienne, insouciante et plutôt lâche ». Elle évoque même : « La paresse de Lucile, sa capacité énorme à ne rien faire… » Avant de rencontrer Charles, elle avait été embauchée dans un journal: « Elle n’y travaillait presque plus et, en fait, on ne savait absolument pas ce qu’elle faisait dans la journée. » Sagan, par petites touches, décrit admirablement cette apathie chez le personnage de Lucile, son désœuvrement. C’est probablement le thème central de son roman. Quand Antoine, lorsqu’ils vivront ensemble un bref laps de temps, lui trouve un emploi d’archiviste, Lucile se débrouille pour vendre à un joaillier un collier que lui avait offert Charles, et ne plus se rendre au bureau. En fait, Lucile est par excellence « une femme entretenue », ce que lui reproche d’ailleurs Antoine, qui a très bien saisi cet aspect de sa personnalité.

La douceur de vivre

Lucile est typique de son époque, les années 60, où la douceur de vivre prédominait, et où le travail n’était pas encore l’objet d’une compétition féroce. Dans La Chamade, Sagan défend très nettement le parti pris de Lucile. En ce sens, ce n’est certainement pas un roman féministe, au sens moderne du terme, même s’il montre la femme au centre des relations sociales, et profitant d’une certaine liberté, grâce au rôle que les hommes lui reconnaissent.

La question de la prostitution se pose, Sagan ne la dissimule pas, sans en faire un repoussoir. Lucile ne saurait sans doute être comparée à Danaé, emprisonnée dans sa tour d’airain, et accueillant Zeus sous la forme d’une pluie d’or. Elle demeure énigmatique, dans une sorte de marginalité que le roman met bien en relief, au détour de phrases nombreuses, telle celle-ci : « Elle n’était ni une courtisane, ni une intellectuelle, ni une mère de famille, elle n’était rien. »

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Un monde disparu

On sait comment l’histoire finit (le roman de Sagan a été adapté au cinéma par Alain Cavalier en 1968, avec Catherine Deneuve et Michel Piccoli). Lucile tombe enceinte d’Antoine. Désemparée, dépourvue d’argent, elle se tourne vers Charles, qui accepte de l’aider à se faire avorter. Et finalement, un peu plus tard, elle reviendra à lui complètement, résolument, et sa belle histoire d’amour avec Antoine ne sera plus qu’un beau souvenir.

« Elle se sentait snob, nous dit Françoise Sagan, d’un snobisme définitif et exaspéré. » Ainsi se clôt ce très joli portrait d’une femme dont, aujourd’hui, n’existe plus guère d’exemples sous nos latitudes. Le bon temps est passé, penseront les nostalgiques. La Chamade est une indiscutable réussite romanesque. Françoise Sagan, avec sa sensibilité féminine à l’écoute, a su y représenter un monde qui était sur le point de disparaître, et le faire revivre à notre adresse comme une bénédiction !  

Françoise Sagan, La Chamade. Éd. Julliard, 1965. Disponible en poche chez « Pocket ».

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Jacques-Emile Miriel, critique littéraire, a collaboré au Magazine littéraire et au Dictionnaire des Auteurs et des Oeuvres des éditions Robert Laffont dans la collection "Bouquins".

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