Fargue, éclaireur du vieux Paris


Fargue, éclaireur du vieux Paris

leon fargue paris

« Penser n’est rien, c’est se souvenir qui importe » résume la démarche du Piéton de Paris. Les éditions Seghers font reparaître en ce début d’année « Lanterne magique », un recueil de chroniques littéraires du Paris occupé (1942-1943), publié à l’origine en 1944 par Robert Laffont à Marseille. Son auteur, Léon-Paul Fargue (1876-1947) tient une place à part dans l’histoire de la littérature française celle d’un enlumineur du quotidien. Cet irrégulier clairvoyant ne marine jamais dans le ressentiment. Philosophe des arrière-cours, il ne ressemble pas à ses contemporains d’avant-guerre dont la prose trafiquée empeste souvent la comédie. Sa poésie du macadam touche par une sincérité éclatante. Son écriture chargée de mille pépites brille dans une ville vert-de-gris. Fargue, inlassable arpenteur du vieux Paris, échotier d’un monde disparu, peintre de l’éphémère, instille une mélancolie jouissive, se prosterne devant les plaisirs les plus simples et rend à la poésie, son souffle vital.

Les textes réunis dans cet ouvrage n’évoquent pas directement les affres de l’Occupation. Fargue préfère l’allégorie à la sombre réalité. Ses billets d’humeur ont le parfum tenace des vraies émotions. Indélébiles. Ils sont une déclaration de guerre aux falsificateurs qui pullulent dans les Arts. On le lit à la tombée de la nuit, avec le sentiment d’avoir trouvé un ami. Kléber Haedens évoquait « un style Fargue, un langage de Fargue, un Paris composé par Fargue et passé par le filtre du cœur ». Il y a dans les réflexions de ce vieil homme, des envolées lyriques que l’Education Nationale devrait faire siennes. Je doute qu’on fasse lire Fargue aux écoliers de France. Cette belle langue venue du fond des âges au service d’un humanisme étincelant, loin de la moraline à plein tube cathodique, ne serait pas du luxe de nos jours. Voici ce qu’il écrivait sur la place de l’artisan dans la société (son père était verrier) : «  Son travail est celui de la modestie dans la grandeur. Il est un des tuteurs du redressement de la vie française » ; sur les enchantements de la langue après avoir vu une pièce de théâtre au Français : « Je me sentais profondément Français, Parisien, cocardier presque. […] J’entendais avec ravissement ma meilleure langue natale. Je buvais à longs traits l’élixir du génie de mon pays rieur et grave » ; sur les tribuns : « Le bavard ne parle pas, il fait du bruit » ou encore cette ode aux instruments de musique : « Ce que j’admire et que j’aime le mieux, c’est la pièce de bois finement sculptée et modelée, la plaque en forme de violon dont le luthier, dans le plein de son travail, se protégeait la poitrine et se réconfortait le cœur. Cela s’appelait une conscience ! Tout un programme. Mieux : un état de l’âme… ». Cette Lanterne magique met également en lumière des artistes oubliés, les personnalités qui ont illuminé ce siècle naissant : la grande Réjane, Marcel Prévost, Ernest Rouart ou Henri de Régnier.

Avoir eu vingt ans en 1900 et fouler l’Exposition Universelle à Paris, reine du monde, bouleversa le regard et la sensibilité des jeunes hommes de cette époque-là. Dans ce recueil, Fargue ne cache pas non plus son admiration, doux euphémisme, sa reconnaissance éternelle pour Victor Hugo, « l’honneur de la profession ». « Il fixait à la fois la chose, l’heure, la couleur, le climat, la température, le souvenir et l’odeur. Tel est le secret de ce Pactole » écrit-il dans une longue tirade pleine d’émerveillement devant ce génie des lettres. Pour toutes ces raisons, cette cascade de mots qu’on boit au goulot, ces références au monde d’avant, cette poésie de l’instant, la prose de Fargue est immortelle.

Lanterne magique – Chroniques littéraires de Paris occupé de Léon-Paul Fargue – Editions Seghers

Lanterne magique: Chroniques littéraires de Paris occupé

Price: 32,15 €

10 used & new available from 9,20 €



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Non-public chéri
Article suivant Mes haïkus visuels : Ivan Rioufol, Karl Kraus, Woody Allen, etc.
Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération