David Bowlez est mort


David Bowlez est mort
Si c’est pas malheureux ! Le 14 janvier, nos amis de la Philharmonie (de Paris) auraient pu se doucher à la Veuve Clicquot. Un an, un million de pèlerins, succès inespéré. Mais voilà. Un seul être vous manque : le père putatif de la Philharmonie, celui qui l’a voulue (Michel Schneider, autrefois Monsieur musique au ministère de la Culture, l’avait baptisé « statue du quémandeur »), celui qui, malade, finit par l’avoir sans jamais la voir, Pierre Boulez.

En voilà un cadeau d’anniversaire. Mardi 5, une semaine avant la bamboula, Pierre-le-grand passe l’arme à gauche. Arme qu’il eut pointue, croyez m’en. Quiconque entendait autrement que lui ou disait autrement que lui se faisait traiter de sourd, de sentimental, de primaire timoré, de paresseux, d’attardé (sans imagination, j’emprunte mon glossaire à un seul article de Boulez, qui date de 1952, toute une époque). Il y avait lui et « les médiocres ». [access capability= »lire_inedits »] Entre les médiocres et lui, il y avait aussi une légion de sbires à sa botte, au gouvernement, au conservatoire, à la radio, à la Cité de la musique, partout en fait. Tu la ramènes ? Vlan ! la porte. C’est ce qui est arrivé à Michel Schneider, exfiltré du ministère pour désobéissance au barde suprême. Malraux ? « Entre les vapeurs du haschisch ou du champagne, il ne prenait aucune décision. » Berlioz ? Un « amateur ». Les musiciens d’aujourd’hui qui ne s’intéressent pas aux techniques atonales ? « Des gagne-petit ». Les baroqueux ? Des nostalgiques qui « se réfugient au grenier avec la robe de grand-mère ». Les opéras ? On peut les « brûler ». Plein les classeurs de ces petits assassinats dont quelqu’un fera un de ces jours l’anthologie en douze volumes.

À part ça un type charmant. Très à l’écoute. À l’écoute des partitions, qu’il connaissait jusqu’au dernier quart de soupir, y compris les siennes qu’il révisait, révisait, révisait, en quête de l’inaccessible perfection. À l’écoute des autres, des musiciens en particulier, qui l’ont toujours respecté. Que dis-je, respecté ! Aimé d’un amour réciproque. Compositeur et chef d’orchestre en lutte perpétuelle, on n’a jamais trop su si Pierre Boulez aimait la musique, mais il aimait les musiciens, ça oui, plus que l’argent (pas du tout son truc), plus que la gloire.

La pop, la musique populaire en général, le faisait rigoler. Dominante-tonique et dzim boum à deux temps comme au régiment, c’était quoi l’intérêt ? Il disait : aujourd’hui les gens écoutent Johnny, mais ce n’est pas de l’art, c’est du commerce, de la distraction à deux balles, dans quarante ans ils auront oublié Johnny tandis que nous les Créateurs avec un C gros comme la lune nous franchirons en plein soleil les modes et les siècles.

Quarante ans passent et qu’est-ce qu’on voit ? Juste le contraire. L’art d’élite, auquel Boulez a donné sa vie, n’intéresse même plus l’élite. Tandis que la pop est la musique pour tous, la Musique avec un M grand comme le Monde.

Cinq jours après Notre Pierre qui es aux cieux, un autre géant tombe, Mon Élégance David Jones, dit Aladdin Sane, dit Ziggy Stardust, dit Thin White Duke, dit David Bowie, le tout-à-l’image que méprisait Boulez. Et qui fait pleurer la terre ? qui incarne le bel aujourd’hui ? Oh le joli paradoxe de la table rase qui se la jouait « nécessité historique », débarrassée par le réel ! C’est l’avant-garde triomphante qui est devenue vintage. Pour le monde comme il va, les musiques actuelles s’accrochent au bon vieux majeur-mineur et au rythme binaire. Dzim boum. Sic transit en attendant la suite.

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Février 2016 #32

Article extrait du Magazine Causeur



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