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Akhannouch, bouc émissaire idéal

L’héritier et la tempête


Akhannouch, bouc émissaire idéal
M. Aziz Akhannouch, Premier ministre du Royaume du Maroc, en visite à Paris le 22 février dernier © Gabrielle CEZARD/SIPA

Le Premier ministre marocain Aziz Akhannouch concentre les critiques du mouvement GenZ 212. Le roi parlera en fin de semaine.


Il y a une grande similitude entre Emmanuel Macron et Aziz Akhannouch. Les deux représentent une parenthèse politique qui est en train de se refermer dans leurs pays respectifs. Le Mozart de la Finance a échoué à sauver la France. Le Mozart des Affaires, milliardaire multicartes, a échoué à alléger le malaise économique au Maroc. Les deux sont détestés par une partie significative de l’opinion publique, très active sur les réseaux sociaux.  Les épouses des deux sont vilipendées à des degrés divers. Si Brigitte intrigue les Français, Selwa Akhannouch attire la haine des envieux et des ratés parce qu’elle est riche et ne le cache pas. Elle investit activement dans les shopping centers de luxe, le genre de secteur qui « ne passe pas » dans un pays du tiers-monde, surtout quand les gens ont du mal à boucler leurs fins de mois.

Cela dit, le Maroc n’est pas la France. Et les similitudes s’arrêtent ici probablement.

Un héritier

Akhannouch est un berbère de la région d’Agadir. C’est un héritier, mais pas seulement, car il a beaucoup travaillé pour devenir une des premières fortunes du pays, estimée à plus de 1.6 milliard d’USD selon Forbes. Il est actif dans l’agriculture, la distribution d’hydrocarbures, l’immobilier, l’environnement etc. Il est formé au Canada et pas en France, la pépinière traditionnelle des élites marocaines.

Il n’est pas vraiment à l’aise en public et à l’oral. Il a du mal avec l’Arabe classique, la langue magique qui séduit l’inconscient collectif marocain. Quiconque la maîtrise a un avantage certain en politique, même chez les Berbères. Akhannouch se rattrape par sa puissance de frappe : l’argent et l’organisation. Son parti de centre-droit, le Rassemblent National des Indépendants (RNI), ne manque de rien. Il dispose d’une stratégie digitale très pointue et d’une formation interne très active. Il est surtout très bien vu du Makhzen, ce qui au Maroc est un talisman qui désarme les préventions de l’administration et du peuple.  Le RNI est arrivé au pouvoir en 2021 après avoir gagné les élections sur la promesse de l’efficacité et du progrès. Il s’est présenté comme l’antithèse des islamistes en place depuis 2011 et qui ont été globalement des amateurs en matière de gestion et de croissance. Sous leur coupe, le pays aurait pu stagner, sans l’intervention décisive du Makhzen, qui via différents canaux d’investissement et d’intervention dans l’économie, a pu faire avancer le pays.

Immense colère

Au bout de quatre ans, le RNI est sur les rotules. La croissance économique n’est pas au rendez-vous, le niveau de vie est en baisse continue. Et contrairement aux islamistes (qui ont quand même quelques qualités), le RNI s’est empêtré dans des scandales de corruption et des conflits d’intérêts extrêmement indécents. Face à la hausse des prix de la viande, le gouvernement a mis des fortunes sur la table pour inciter les entrepreneurs à importer du fourrage, des moutons vivants à abattre ou bien de la viande bovine (brésilienne notamment). Les Marocains n’ont pas vu la couleur de ses subventions sur les étals du boucher. Et cerise sur le gâteau, en pleine crise hydrique (le climat s’assèche à vitesse grand V au Maroc depuis sept ans), Akhannouch a remporté l’appel d’offres de la construction d’une méga-station de dessalement de l’eau à Casablanca. Et le plus naturellement du monde, il s’en justifie en invoquant le fait que sa société et ses associés ont présenté le meilleur prix… dans un appel d’offres écrit et jugé par l’administration qu’il dirige lui-même. Peu importe sa sincérité, le conflit d’intérêt est tellement gigantesque qu’il ne souffre aucune excuse.

Quand tout va bien, les gens regardent ailleurs. Mais, aujourd’hui, les Marocains ont du mal à boucler les fins de mois. Les pauvres se nourrissent moins bien et les classes moyennes commencent à retirer leurs enfants des écoles privées parce qu’elles ne peuvent plus payer les mensualités. D’où l’immense colère qui s’abat depuis une semaine sur Akhannouch et son gouvernement.

Colère justifiée, mais aussi colère malsaine, car elle est animée par un brin de jalousie. Personne n’aime les riches, surtout quand ils leur ressemblent, car ils leur démontrent que le succès est possible.

Non, il ne faut pas blâmer les foules mais le système qui a confié les affaires du pays à un parti comme le RNI et à un milliardaire. Le RNI est un parti de notables, sans idéologie. Son credo se limite grosso modo à « enrichissez-vous ». Pourquoi pas ? Cette vision peut avoir sa place à la tête du Ministère des Finances ou de l’Industrie, mais pas à la tête d’une équipe qui est censée guider un peuple qui souffre. 

Puisque l’on parle de conflits d’intérêts, votre serviteur en a un, lui aussi. Mon père était sympathisant du RNI et admirateur de son fondateur, Ahmed Osman. Il s’agissait du parti idéal pour quelqu’un comme mon père, un entrepreneur, un notable, un monarchiste, un progressiste qui veut bien du progrès technique mais pas de la révolution sociale. Mais, le Marocain n’est pas comme ça, il a d’autres besoins.

Il est trop tôt pour savoir ce qu’il adviendra de Monsieur Akhannouch. La classe politique est en train de se retourner contre lui, progressivement. Elle espère peut-être que son départ suffira à apaiser l’opinion publique. Possible. Cela dit, il n’y a personne à mettre à la place. Les islamistes sont démonétisés, la gauche est atteinte du même syndrome que le RNI depuis qu’elle n’a plus d’idéologie.

Avant de mourir, mon père disait souvent : « il y a gens bien payés pour régler ce genre de problème, qu’ils se démerdent, sers-moi plutôt un verre de rouge et donne un bout de pain et du beurre ! »

Je lui désobéirai encore une fois pour dire une dernière chose.

Que Monsieur Akhannouch serve de bouc émissaire n’est pas un drame.  C’est le jeu. Mais, la solution à l’équation marocaine est beaucoup plus complexe que cela.

Akhannouch a eu le mérite de démontrer aux Marocains et au monde que le Maroc est un vivier de forces vives prêtes à éclore. Au lieu de les vilipender, il convient de les encourager à sortir de leur réserve, à condition qu’ils fassent des affaires et seulement des affaires. La politique et les idées ont besoin d’autres profils, dont l’âme vibre non pas pour l’argent mais pour la gloire. Le Maroc a vivement besoin de gens du calibre d’un Mehdi Ben Barka en politique et d’un Mehdi El Mendjra dans le champ des idées. Ces deux élites du passé avaient besoin de liberté. Les candidats à milliardaire n’ont besoin que de la liberté économique. Et les candidats au magistère politique ou moral ont besoin de la liberté de conscience et d’expression. Deux versants de la Liberté que les mentalités arabes et nord-africaines regardent avec suspicion.  Mais, comme dirait mon père : « baraka min el hadra ou koumu tkhadmu » (assez de palabre et au boulot !).

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Ecrivain et diplômé en sciences politiques, il vient de publier "De la diversité au séparatisme", un ebook consacré à la société française et disponible sur son site web: www.drissghali.com/ebook. Ses titres précédents sont: "Mon père, le Maroc et moi" et "David Galula et la théorie de la contre-insurrection".

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