9 mois


9 mois

Matriochka

Pour un choc, ce fut un choc. Ces jours derniers, un reportage consacré à l’alcoolisme juvénile m’avait tenue éloignée quelques jours de chez moi, quand le planton ouvrit la cellule de dégrisement et m’invita à regagner tranquillement mes pénates. J’avais à peine franchi le seuil du domicile conjugal qu’un cri me saisit. C’était Willy, mon mari, qui poussait son cinquantième rugissement. Comme un goret que l’on conduit à l’abattoir et qui sent son destin se transformer en jambons, boudins et autres abattis, il criait : « Trudi, Trudi, Trudi ! »

Il me sauta à la gorge pour m’apprendre la nouvelle : « Elle a accouché sur Facebook ! » Je le regardai un moment, perplexe, silencieuse, aussi médusée qu’un radeau peint par Géricault. Il répéta, encore plus fort, détruisant ce qu’il me restait d’oreilles. Diable, je savais Willy ne pas être ce qui se fait de plus futé en matière de mari, mais de là à ce qu’il s’imagine que la cigogne n’apporte plus les bébés et qu’une simple connexion wifi remplace désormais la méthode éprouvée de nos pères, il y avait de la marge.

[access capability= »lire_inedits »]Je le fis asseoir, lui demandai de reprendre ses esprits et de m’expliquer la situation. Ce qu’il fit sans que l’emploi du rouleau à pâtisserie que je tenais en main ne fût nécessaire.

« Willy, qui a donc accouché sur Facebook ?
– La ministre française !
– Nadine Morano ? Roselyne Bachelot ? Fais gaffe : il y en a deux. Confonds pas !
– Non ! Nathalie Kosciusko-Morizet.
– Tu dérailles. Nathalie Koko-Zezet, connais pas. Et tu penses bien que si elle existait, moi qui me tape chaque jour la lecture matinale du Monde, du Figaro, de Libé et de L’Huma, je la connaitrais. Alors, cette Natacha Krasucki, elle est ministresse de quoi ?
– Économie numérique.
– À l’Économie numérique, ils ont Eric Besson.
– Non, me répondit Willy, lui c’est l’Immigration.
– Il a l’Immigration et l’Économie numérique, au cas où un Sénégalais se fasse installer une connexion haut-débit dans sa case et se télécharge illégalement en France. »

Willy est un con. C’est un fait. Depuis qu’il est en retraite, il passe le plus clair de son temps au fond du jardin : il vérifie la célérité des lombrics à bouffer épluchures, crottes de nez, parents indigents, enfants illégitimes et autres déchets organiques. Malheur au « Compost 2000 », vendu 165 euros au Téléachat et réglable en vingt-six mensualités de 87 euros – à ce prix-là, ça ne se refuse pas.

« Willy, tu n’entends pas ? Tes lombrics pleurent. À mon avis, ils sont en train de crever. » Je n’avais pas fini ma phrase que mon mari était déjà loin, à s’occuper de la santé de ses vers de terre. Je pus, quant à moi, me connecter tranquillement à Internet. C’est là qu’advint le drame : j’appris que Nathalie Kosciusko-Morizet, qui n’était donc pas la fille de Henri Krasucki, était ministresse et en pelote. Enfin, pas vraiment ministresse, mais secrétaire d’Etat : être secrétaire, ça reste plus féminin. Tu apportes chaque matin le café à ton ministre de tutelle, et tu sais pourquoi.

Donc, miss Économie numérique 2009 a le ventre rebondi et s’en vante sur Facebook : « Il m’a mis droit dans le mille. Je ne m’y attendais pas et voilà-t-il pas que je me retrouve aussi sylphide que Roselyne Bachelot. » Je dois à la vérité d’écrire qu’elle ne s’est pas exprimée ainsi. Elle n’est peut-être pas bonne en Ogino, mais elle est fortiche en com’. Elle a voulu, clavarde-t-elle, « couper court aux rumeurs ». Et on ne peut pas lui donner tort : à mesure qu’empirerait son état, la rumeur risquait d’enfler aussi sûrement que son ventre. Elle pressentait que la presse people (Voici, Gala, Libé) allait se pencher bientôt sur son cas et écrire les pires insanités : « Si son ventre grossit, c’est qu’elle boit trop de bière. Et si elle boit, c’est qu’elle est harcelée au travail par son chef de service. Sarkozy, démission ! »

Evidemment, cela ne serait venu à l’idée de personne qu’une femme de trente-six ans, intelligente et belle pour ne rien gâcher, soit à point pour connaître les charmes pas très discrets de la maternité. Les vingt années qui précèdent la ménopause sont celles qui, statistiquement, présentent le plus ce genre d’inconvénients. Cette idée assez primaire expliquerait d’ailleurs assez bien l’épidémie de bébés dont est affecté le gouvernement français : pour Rachida Dati et Nathalie Kosciusko-Morizet, tomber en cloque, c’est de leur âge.

Certes, les Français ne sont pas encore très habitués à ce qu’une ministre soit parturiente. Il y a vingt ans, cela aurait été inadmissible. Je ne vous raconte pas ce que l’on aurait entendu si Charles Pasqua ou Henri Emmanuelli s’étaient retrouvés en cloque. Il n’est pas sûr qu’on n’aurait pas exigé d’eux leur démission. Heureusement que Ségolène Royal, première en tout, a ouvert la voie – si je puis m’exprimer en des termes aussi gynécologiques. Ministre de l’Environnement en 1992, elle avait alors donné naissance au plus jeune bébé de France et accordait, depuis sa chambre, des interviews à n’en plus finir, tenant son chiard dans les bras et dissertant sur le respect nécessaire de la vie privée, devant ses trois autres enfants qui jouaient dans un coin.

Rien ne peut entraver l’évolution des mœurs. Dans quelques années, si chacun y met du sien, il sera obligatoire d’être enceinte pour obtenir un portefeuille  : chaque mercredi, à l’Elysée, le gouvernement se réunira autour d’une table et, dès que la présidente aura donné le départ, les ministres mimeront la respiration du petit chien, transformant pour une fois la salle du Conseil en salle de travail. Dieu que ça aura de la gueule.

En attendant, il suffit qu’une ministre annonce qu’elle s’est transformée en matriochka pour que l’ensemble de la presse française titre sur ce phénomène assez exceptionnel. Certes, il s’agit de la secrétaire d’Etat à l’Économie numérique et, pour les zozos, cette annonce sur Facebook est parfaitement raccord avec son job. En matière d’accouchement, Nathalie Kosciusko-Morizet y connaît un rayon – Roger Karoutchi lui a tout appris. Il a pris, ces dernières semaines, la loi Hadopi et a montré à sa collègue ce qu’étaient les douleurs de l’enfantement : « Elle n’a pas voulu passer par le siège. Faut ouvrir et l’avoir par le ventre. Bouge pas, je vais le faire. » De la césarienne au césarisme, il n’y a qu’un pas – encore que la péridurale ne soit même pas nécessaire pour le césarisme.

Mais là n’est pas la question. Si la grossesse de Nathalie Kosciusko-Morizet a fait tant de bruit, c’est que la secrétaire d’Etat a inventé le faire-part de gravidité. Une première.

Il n’y a pas si longtemps, on réservait faire-part et cancans à la naissance. On recevait par la Poste une jolie carte, nous informant que les Machin-Chose sont heureux de compter une demi-part supplémentaire dans leur foyer fiscal. On attendait que la jeune maman soit rentrée de la clinique. On allait la visiter à domicile, on faisait guili-guili au bébé après avoir enrichi sa layette d’un chiffon bleu ou rose, puis on ressortait pour retrouver le plus vite possible une connaissance commune et pérorer à bon compte : « Son gamin, je l’ai vu. Il ne ressemble pas beaucoup à son père. Enfin, ce que j’en dis… »

Ces temps bénis ne sont plus. Il y a Facebook. On y publiait ses états d’âme, on y publie désormais ses états de santé. Pour être totalement dans le coup, il faut rencontrer son mari sur Meetic, annoncer sa grossesse sur Facebook et poster les échographies sur Youtube. Quant au nouveau-né, il est le vrai laissé pour compte de l’ère numérique : plus de layette ni de joujoux, mais un pauvre mail en guise de cadeau.[/access]

Mai 2009 · N°11

Article extrait du Magazine Causeur



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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