Un barrage contre l’Antarctique


Un barrage contre l’Antarctique

Régionales FN Présidentielle 2017

Il fallait vraiment appartenir à un des derniers peuples fourrageurs de la terre (sur une île isolée, au cœur d’une forêt primaire ou d’une étendue glacée, j’ai vérifié) pour être étonné par les résultats du premier tour des élections régionales. Et sans verser dans le sophisme moqueur pour les Diafoirus qui pansent et soignent le corps malade de la France lepenisée, j’ai dû en conclure en écoutant et lisant les réactions au soir du premier tour que la France était soit une île isolée, soit une forêt primaire, soit une étendue glacée. Ce qui la rattache mécaniquement à l’Antarctique, qui est une grosse île isolée sur laquelle une forêt primaire est prise sous deux kilomètres de glaces. Et après tout, pourquoi pas ? Si on déménageait la France en Antarctique, nous serions tous des immigrés et des colons, ça règlerait au moins le problème sémantique entre toutes ces France qui se regardent en chien de faïence et s’accusent mutuellement d’immigrationisme et de néo-colonialisme.

Mais la France n’ayant pas les moyens géologiques de se décrocher de l’Eurasie et de filer plein sud en enjambant le gulfstream pour aller « faire Antarctique » entre immigrés-colons réconciliés, nous nous retrouvons avec les mêmes problèmes qu’avant les élections. Une France totalement à cran mais encore polie, au bord de l’explosion mais dans la retenue pour l’instant, réagissant avec les éléments de dignité qu’on lui laisse : le vote ou l’absence de vote. Et on doit malheureusement entériner un fait : le vote révolutionnaire, en forme de doigt levé convaincu et réfléchi, majoritaire chez les ouvriers, les jeunes et les employés, c’est le vote Front national. Enraciné, profond, durable. Un vote d’adhésion. Un vote de classe. Du 13 novembre au 6 décembre, en quelque sorte, nous avons pris conscience que nous étions pris en otage entre l’Etat islamique et la clique frontiste.

Le soufflet passé, on est entré dans la semaine de « barrage » où chacun y est allé de sa truelle pour édifier en état d’urgence ce fameux rempart de plus en plus friable à chaque élection qui passe, évitant la vague de boue qui aurait fait mauvais genre. Hollande, très chiraquien, a imposé à ses troupes un sabordage là où la vague semblait trop forte. Sur la côte d’Opale et la côte d’Azur, les Le Pen ont buté sur un banc de sable. Débarquement manqué, pour cette fois. Un drôle de personnage a pointé sa trombine dans l’histoire de France, Jean-Pierre Masseret, qui a refusé l’ordre présidentiel de se démettre sans pour autant soumettre l’Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne au Front national. La gauche en fera ce qu’elle veut, mais c’est une leçon. Sarkozy a fait le mal élevé, comme d’habitude, mettant un trait d’égalité entre le Front national et le Parti socialiste, tout à la poursuite de sa stratégie buissonnière.

N’aurait été la froide et ridicule décision de la gauche en Ile-de-France de tenter de réduire son adversaire à une candidature de ghetto ethnique – « Valérie Pécresse, c’est Versailles, Neuilly et la race blanche » – la société des partis républicains s’en serait tirée cabossée mais sans tâche. Peut-être même la gauche serait-elle passée dans la région capitale. Je n’ai pas de statistique assez fiable sous la main pour savoir à quel point cette sortie sans gêne a tué le match, mais mon petit baromètre personnel m’en donne une idée. Une petite foule d’amis de gauche m’a bombardé de SMS m’expliquant, dans un langage aussi fleuri que désabusé, que cette fulgurance les invitait à rester sous la couette dimanche. C’est encore trop impensé, mais l’abstention militante, ça existe. Quand on ne se sent plus représenté, ou mal, on a le droit de se dire que ces urnes-là sont aussi propices à l’espoir que celles du crématorium, et de glisser son bulletin sous la couette. Cette frange d’abstentionnistes de gauche a, sûrement, avec d’autres facteurs, contribué à ce que l’Ile-de-France soit présidée par une Elle de France.

Avouons-le, en dehors de Sarkozy parti voir un match du PSG (il ne déçoit jamais), chacune des interventions le soir du second tour était empreinte d’humilité, le ton était presque à l’excuse : « Désolé, on a merdé. Merci pour cette confiance renouvelée. Promis, cette fois on va tenter de ne pas vous décevoir. » Jusqu’à Christian Estrosi, touché par la grâce, qui a lâché dans Paris Match une sorte de phrase-de-sa-vie, un truc entre la révélation d’un saint et le souffle apaisé d’un bouddhiste arrivé au Nirvana : « Plus on va à droite, plus le FN monte. »

La République-Encore-Sauvée par ce rétablissement de justesse à l’atterrissage, un peu rude mais opéré avec professionnalisme, devrait se réjouir d’avoir des serviteurs aussi avisés. Outre des détails un peu gênants comme le nombre de conseillers régionaux frontistes dépassant celui des socialistes, le nombre d’électeurs frontistes qui n’a jamais été aussi élevé, le gros des apparences est suffisamment maintenu pour faire illusion.

Sans vouloir ternir le sursaut républicain généralisé, l’annonce d’un énième pacte trucmuche rempli de mesures techniques qui seront a priori aussi impeccables que leur portée sera limitée, au moins d’ici à 2017, ne fera pas l’affaire. Le Président de la République sait que pour changer de politique, il faut au minimum changer de Premier ministre. Comme il ne l’a pas fait, on sait à quoi s’en tenir. « Il faut que tout change pour que rien ne bouge », disait le Prince de Salina dans Le Guépard. Tout a changé, donc, on nous l’a promis dimanche soir. La pauvre ministre de l’Emploi continuera, à chaque conférence de presse mensuelle sur les chiffres du chômage, à prendre un air grave et contrit pour tenter de ne pas nourrir notre scepticisme affligé. La forme que prendra la fin de ce quinquennat risque d’être tristissime. La droite va nous offrir un bel opéra bouffe, bien solennel, pour sélectionner celui qui aura la mission d’arriver en second derrière Marine Le Pen. Car on en est là, l’ambition de nos grands partis démocratiques n’est plus que d’arriver second au premier tour à la Présidentielle, reprenez un verre, derrière l’extrême droite, videz la bouteille. François Hollande va continuer à travailler son césarisme d’opportunité (ce qu’il fait admirablement bien, du reste), sauvant la planète et luttant contre la barbarie. La petite musique du gouvernement d’union nationale, rassemblant les meilleurs talents de chaque camp, qui bruisse depuis lundi matin, va prendre de l’ampleur, préparant les esprits en cas de chambre à majorité introuvable sortie des urnes en juin 2017 (le tripartisme s’enracinant, la très plastique Ve République, qui a déjà digéré trois cohabitations, peut voir un ou une présidente sans majorité nommer un chef de gouvernement issu d’un parti adverse au sien pour aller à la recherche d’une coalition dans une sorte de retour contraint à la IVe République).

Bref, comme disait Chirac, « en politique comme en amour, la réussite, c’est la fuite » ! Le problème, c’est qu’en 2017, entre la fonte de l’Antarctique et la montée perpétuelle du Front national et du djihadisme, c’est le barrage qui risque d’avoir des fuites, et la réussite est loin d’être garantie pour ceux qui ont sauvé les meubles le 13 décembre.

*Photo : SIPA.00733553_000012.



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