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Classique: de Naples à Buenos Aires

Disques: "Serenata a Napoli" de Pene Pati, et "Volver' de Vittorio Forte


Classique: de Naples à Buenos Aires
Le ténor Pene Pati © Bernard Couv / Warner Classics

Le ténor Pene Pati fait revivre le chant napolitain, et Vittorio Forte, au piano, le répertoire romantique sud-américain. Deux merveilleux CD qui ont enchanté notre chroniqueur Julien San Frax.


Double retour aux sources. D’abord Pene Pati, qui dans le CD Serenata a Napoli exhume plus d’une vingtaine de purs joyaux de la canzone napolitaine. Le ténor samoan est accompagné de la formation Il Pomo d’Oro, dirigée par le guitariste transalpin Antonelli Paliotti. Guitare, mandoline, viole, violoncelle et même castagnettes, une immersion dans ce répertoire populaire dont l’âge d’or remonte aux années 1880, alors véhiculé par le festival de la Piedigrotta qui, pour citer le beau texte de présentation de Paliotti inséré dans le coffret « perd progressivement, et de façon irréversible, son caractère mystico-religieux, et magique pour se transformer en manifestation de masse… »

Musique populaire ? Sur ce registre, la discographie anthologique réalisée entre 1959 et 1963 par Roberto Murolo (1912-2003) sous le titre Napoletana reste à jamais irremplaçable. Il n’en reste pas moins légitime de visiter à nouveaux frais ce corpus de chansons qui « vous prennent aux tripes », comme on dit, à plus forte raison dans une orchestration inédite qui a soin de raccorder cette tradition aux éléments constitutifs de la musique dite « savante », qu’elle n’a jamais cesser de nourrir, de Puccini à Ravel. Antonello Paliotti souligne au demeurant que « les références à la tradition orale s’avèrent plus marquées dans les morceaux instrumentaux, avec leur architecture biscornue, leurs rythmes frénétiques, leurs mélodies âpres et dissonantes typiques de la culture populaire, en particulier napolitaine ». Alors, bien sûr, sur les paroles du poète Giovanni Capuro, O sole mio, scie absolue du répertoire napolitain, ne saurait se voir distrait d’un tel album. Mais la sélection célèbre également quelques puissants jalons de cette veine si féconde : rengaines, sérénades impérissables, présentées d’ailleurs avec une savoureuse érudition par l’historien du chant Enzo Carro dans le livret d’accompagnement.

Reste, surtout, la voix unique de Pene Pati, dont on se souvient qu’il campait fabuleusement Germont dans La Traviata l’an passé à l’Opéra-Bastille…  Cette actuelle échappée vers la musique populaire donnera lieu, le 11 mai prochain, à un récital au Théâtre des Champs-Elysées, qui reprend le programme du disque. En attendant, l’agenda de Pati n’est pas précisément vide ! Evidemment, l’événement majeur sera, en janvier 2026, sa prestation dans une nouvelle production du sublime opéra de Massenet, Werther, à l’Opéra-Comique, dans le rôle-titre aux côtés de Marianne Crebassa (Charlotte), sous la direction de Raphaël Pichon, dans une mise en scène signée Ted Huffman. On retrouvera encore dès février Pene Pati à la Philharmonie de Paris dans le Requiem de Berlioz et, ce même mois, au Capitole de Toulouse, dans Lucia di Lammermoor. Sans compter des récitals à Strasbourg, à Bordeaux, et d’autres invitations lyriques à l’étranger… L’étape napolitaine de Pati est épatante quoiqu’il en soit.


Autre remarquable retour aux sources sous les auspices de Vittorio Forte, pianiste franco-italien natif de Calabre, formé à Lausanne puis à l’International Piano Academy de Côme, aujourd’hui âgé de 48 ans, désormais établi à Montpellier où il anime une série de master-classes tout en assurant la programmation d’une saison baptisée Piano intime.

Enregistré en décembre 2024 sur un piano Fazioli, instrument à la signature sonore d’une netteté cristalline, combinant transparence et puissance de projection éclatante, Volver énonce – comme l’indique son titre  – un retour vers un répertoire qui passe souvent pour anecdotique, mais reste, à l’oreille, une pure délectation. Musique de salon ? Ce corpus latino-américain qui enjambe XIXème et XXè siècle, prolongement direct du romantisme européen où il prend sa source, revêt souvent les couleurs de l’élégie: empruntes d’une nostalgie, d’une mélancolie ardente, ces partitions, pour certaines d’une grande virtuosité, n’ont pas de spécificité, ou disons d’identité marquée, il faut bien le reconnaître, par rapport à la tradition classique occidentale. De fait, tous les compositeurs dont il est question dans cet album ont fait leurs classes à Paris, à Berlin ou ailleurs en Europe. Autant dire que leur langage, j’allais dire leur folklore, est le fruit d’un apprentissage académique qui ne nous dépayse guère, bien au contraire: et c’est bien là le charme de ces pièces si dansantes, raffinées, élégantes dont Volver est l’hommage.

Ce précieux album réunit, à côté des plus grands noms, quelques compositeurs méconnus : l’Argentin Astor Piazzolla (1921-1992), qui écrit cet Adios nonino à la mort de son père ; le Brésilien Heitor Villa-Lobos (1887-1959), présent ici avec Impressoes seresteiras et Valsa da dor, deux morceaux très différents, aussi superbes l’un que l’autre ;  son compatriote Alberto Nepomuceno (1864-1920), également violoniste, le père du nationalisme brésilien et actif abolitionniste de l’esclavage, qui fut lié d’amitié à Grieg, et dont les Quatro peças lyricas op. 13 sont une merveille, surtout la dernière, au tempo accéléré, brillantissime ; Carlos Gardel, dont les transcriptions, exécutées par Forte lui-même, fournissent le titre et la conclusion de l’album ; le Cubain Ernesto Lecuona (1895-1948), avec La conga de media noche et La comparsa, la seconde bien connue (occasion de regretter, au passage, que sa capiteuse Noche azul n’aie pas été choisie plutôt) ; le Mexicain Manuel Ponce (1882-1948) dont la Rapsodia mexicana n°1, à la fois brillante et mélancolique, est un des sommets de cette sélection. Volver surprise du chef, exhume à côté de ces compositeurs stars d’autres figures plus méconnues, tel le Chilien Alfonso Leng (1884-1974), qui fut également dentiste. Datées 1914, ses cinq Doloras tellement « chopiniennes » sont un pur régal. Quant au malheureux Antonio Luis Calvo (1882-1945), compositeur chilien de bonne heure frappé par la lèpre, il passa sa vie au sanatorium Agua de Dios : Lejano Azul et Malvaloca, aux accents hispanisants, rappellent irrésistiblement Albéniz. La palme revient, selon le goût de votre serviteur, à l’Argentin Carlos Guastavino (1912-2000), dont la luxuriance et la délicatesse rappellent d’assez près Granados (jusqu’à paraître même, dans Las ninas, la première des deux pièces jouées ici, pasticher les Goyescas)…

Les plus fervents mélomanes auront déjà noté sur leurs tablettes que le 17 novembre, l’on pourra entendre « en live », comme on dit, le programme qu’immortalise Volver, récital de Vittorio Forte au Lavoir moderne, à Paris. Le pianiste donnera encore un récital le 7 décembre prochain, au Théâtre de Passy.


Serenata a Napoli. Pene Pati, ténor. Orchestre Il pomo d’oro. 1 CD Warner Classics
Volver. Vittorio Forte, piano.1 CD Mirare




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