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Il était une fois le rôle social de l’officier

La fête nationale 2023 et le défilé militaire ont lieu quelques jours seulement après des émeutes urbaines d'une jeunesse non assimilée à la nation


Il était une fois le rôle social de l’officier
© Lewis Joly/JDD/SIPA

Après avoir montré, avec ses milliers d’émeutiers, la fange qu’elle avait à offrir au monde, le défilé militaire est la belle et attendue démonstration de ce que la France a de meilleur à donner.


Quel contraste ! Il y a peu, la France était en flammes et elle n’a pas fini d’en recenser les dégâts, puis voilà que, presque imperceptiblement au regard des civils, la fine fleur de l’armée française répète sans cesse le défilé qui aura lieu aux Champs-Élysées, ce vendredi. Des images de désordre, de poubelles flambantes, de racaille, de chaos s’opposent à des images de discipline, de hiérarchie, de médailles qui brillent, de bottes bien cirées, et tout cela à de si brefs intervalles. Voici deux énergies viriles séparées d’un gouffre, l’une déchaînée et qui se vautre, l’autre sublimée et qui s’élève.

J’ai fait un rêve…

En écoutant le son des marches parfaitement cadencées, on se plaît à rêver. Nous savons bien que le retour du service militaire obligatoire pour les hommes de vingt à vingt-trois ans est une utopie ; la géopolitique du monde ne le requiert plus, et nous n’en avons plus les ressources, entre autres. On se déchirerait d’ailleurs, aujourd’hui, à se demander pourquoi les femmes et les non genrés eux aussi n’y seraient pas assujettis. Malgré cette impossibilité d’être, comment ne pas dire en un soupir que c’était mieux avant ?

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À une autre époque, il pouvait arriver par un accident ou un drame de la vie (et non pas parce qu’il fut issu d’une éprouvette) qu’un jeune garçon fut orphelin de père. Arrivé à la garnison, il y trouvait un père spirituel, ou une figure paternelle à émuler, qui prendrait tous les soins de le guider, de l’instruire, de lui transmettre une culture non seulement militaire, mais aussi historique. Les enfants uniques y découvraient des frères pour la vie, les fils d’immigrés y rencontraient une plus large famille, les jeunes hommes pauvres remontaient le menton et les jeunes hommes riches apprenaient à servir. L’égalité républicaine qu’on réclame tant aujourd’hui à coups de subventions gaspillées s’y forgeait déjà dans l’uniforme, l’abnégation et un égal amour pour la patrie.

Ce projet de société, qui contribua à doter la France de la meilleure armée au monde, fut l’idée de Lyautey qui n’était que capitaine, en 1891, lorsqu’il adressa à la Revue des Deux Mondes son plaidoyer pour le Rôle social de l’officier. Soucieux d’être un agent social pour son propre escadron, il avait ordonné des cours pour illettrés et créé une bibliothèque, puis s’efforçait de connaître personnellement les soldats qui servaient sous ses ordres. L’officier français, désormais, exercerait un rôle en dehors de la sphère militaire : il deviendrait, en plus, une source d’éducation permettant de niveler les inégalités sociales et élever les défavorisés. Ce texte-là est certainement un exemple du génie français, annonçant bien avant l’heure le « soldat de l’humanité » qu’idolâtreront Clemenceau et l’Union sacrée des tranchées.

SNU : pas assez cher, mon fils !

Aujourd’hui, pour apprivoiser la jeunesse française, le président Macron propose un programme de « Service national universel ». Mais comment voulez-vous que les jeunes aient le temps de se révolter et de se plier, d’épuiser leurs frustrations et leurs reproches fantasmés, que s’opère la transformation de leurs valeurs, que soient soudés les liens fraternels avec ceux que tout oppose en « un seul séjour de deux semaines plus 84 heures de mission d’intérêt général » ? D’autant plus que le SNU n’est même pas obligatoire et que, selon le ministère de l’Éducation qui gère le programme, c’est un taux (étonnamment !) minable de 5,7% des jeunes volontaires qui sont issus des « quartiers prioritaires de la ville ». La cohésion tant recherchée devient éphémère, l’insertion sociale est réversible et la culture de l’engagement est nulle. Qu’on se le dise, il n’y a pas d’autre gouvernement que celui d’une start-up nation qui s’imaginerait pouvoir bâtir un « projet de société » en un délai si court.

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À défaut de pouvoir remonter le temps et revivre à l’ancienne l’intégration sociale et la réconciliation des classes – sans que les officiers français, non plus, puissent accomplir leur œuvre de salut social –, tournons notre regard vers l’Armée française. C’est elle qui résiste le mieux au progrès et à la vacuité de notre époque, elle qui peut encore inspirer, faute de pouvoir instruire. Elle avancera, à 88 ou 120 pas par minute en plein Paris, le 14 juillet. Et si l’on avait, pour tout opposer aux émeutiers, une ardeur parallèle pour les acclamer ? La France a montré avec ces agresseurs et ces vandales la fange qu’elle avait à offrir au monde ; il faudrait que les Français vantent avec autant de joie et de cran ce qu’elle a de meilleur à donner.



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Chercheuse québécoise en histoire et littérature militaires françaises, Mélanie Courtemanche-Dancause collabore au magazine "L’Incorrect".

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