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La fin du déni

Analyse et perspectives après le discours des Mureaux


La fin du déni
Le président Emmanuel Macron aux Mureaux le 2 octobre 2020 © Ludovic Marin/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22499019_000005

Le discours des Mureaux est venu mettre un terme à des décennies de mansuétude face aux visées de l’islamisme au pays des Lumières et de la laïcité. Mais nous jugerons sur pièces la politique d’Emmanuel Macron contre ce péril terrible, quand la loi nous sera soumise. L’analyse de Céline Pina.


La prise de parole du président de la République, à l’occasion de son déplacement aux Mureaux, était d’autant plus attendue que le contexte en France se durcit énormément : le procès Charlie est en train de démontrer qu’en cinq ans l’influence de l’idéologie islamiste a progressé et que son emprise sur les musulmans et notamment sur la jeunesse ne cesse d’augmenter[tooltips content= »Selon la dernière enquête IFOP, 74% des jeunes musulmans font passer l’islam avant la loi »](1)[/tooltips], la republication des caricatures a montré à quel point le niveau de menace dans le pays restait élevé et à quel point la liberté d’expression suscite encore et toujours de virulentes attaques. Dans ce cadre, les Français ont souvent eu l’impression que nombre de leurs représentants se distinguaient par leur lâcheté et leur déni. Là où les citoyens voyaient leurs vies, idéaux, principes et mœurs devenir les cibles de la propagande de l’islam politique, l’Etat trop souvent détournait les yeux ou préférait traiter de racistes et de suppôts d’extrême-droite les lanceurs d’alerte.

Toutes les religions ne posent pas problème

A ce titre, ce discours aura déjà au moins accompli une rupture symbolique : la réalité de ce qui se passe dans les quartiers a été dite, la volonté de l’islam politique de déstabiliser le pays a été reconnue, les ennemis ont été nommés, le danger séparatiste clairement décrit. Expliquer clairement que ce ne sont pas toutes les religions qui posent problème mais une seule était nécessaire. Cela a été fait. Autre point intéressant, le fait de s’appuyer sur le réel, de donner des exemples concrets et des réponses qui le sont tout autant : l’obligation de la scolarisation à trois ans, la fin de l’enseignement à la maison. Les faiblesses et clientélisme de certains élus ont été franchement abordés. Le meilleur contrôle des actes administratifs et la mise sous tutelle par le préfet des maires qui ne respectent pas la République est un très bon point. Il fallait le dire et l’oser. En illustrant son discours d’exemples précis, le président montre la volonté de l’Etat de reprendre en main le contrôle des services publics concédés. L’imposition de la neutralité aux employés est une vraie réponse aux dérives constatées au sein de la RATP, des bagagistes de Roissy…

Avec ce discours nous sommes au milieu du gué. Il offre une promesse de réveil mais derrière la fermeté républicaine affichée, le loup islamiste peut trouver une bergerie en mode portes ouvertes et des sources de financement non négligeables

Il fallait aussi du courage pour parler de l’entrisme au sein du monde associatif et de ses effets en termes de propagande. Le fait d’envisager le renforcement des contrôles et de donner plus de moyens pour dissoudre certaines associations quand elles contreviennent à nos lois et principes, est essentiel. Tout comme le contrôle des financements. Sur ces questions, il va falloir passer des mots aux actes et donner très vite des gages. La publicité des sanctions fait partie de la reconquête. Car l’islamisme ne pose pas seulement la question du séparatisme mais aussi celle de l’entrisme.

Qu’après une telle prise de position en termes d’ordre public, le président ait consacré un passage au réengagement de la République témoigne d’un souci d’équilibre lié à une majorité hétéroclite dont il faut nourrir à la fois l’aile droite et l’aile gauche, il est cependant dommage que le président ne parle souvent de république que pour la mettre en accusation et évoquer ses abandons, plutôt qu’en rappelant que la République n’est pas un guichet mais avant tout un projet commun et des idéaux partagés. Le réengagement de la république c’est avant tout le réveil citoyen. Quand le président dit que les islamistes ont construit leur projet sur nos reculs, il reprend assez bêtement une antienne de la gauche que le réel dément. La solidarité sociale est très forte chez nous. Ce qui recule ce n’est pas le soutien apporté au quotidien, c’est la croyance dans le fait que l’avenir sera meilleur que le présent. Et cela hélas concerne tout le monde. Mais c’est surtout oublier qu’en France, l’effort politique des islamistes porte moins sur le secours social, que sur la culture du ressentiment et du rejet, l’exaltation du clan et la haine des principes et idéaux qui nous constituent en tant que peuple. Leur discours installe les gens dans une infantilisation et une attitude passive où tout est attendu des pouvoirs publics comme un dû et où nul n’a conscience du capital social investi sur chaque habitant via la prise en charge de ses loyers, les aides pour payer chauffage, gaz, électricité, la CMU et la CMU C, les vacances payées par la CAF… Ces quartiers sont certes ghettoïsés mais ne sont pas abandonnés. Notre pays investit du capital social afin de compenser l’absence de capital privé des habitants des quartiers en difficulté et les outils permettant de s’emparer de leur destin existent (médiathèques, écoles, MJC , Maisons de quartier…), il est dommage que nous ne sachions pas le rappeler en expliquant que c’est là la traduction concrète du fait que nous formons une société politique d’égaux et de solidaires et que nous croyons en chacun de nos enfants. Il n’en reste pas moins que le président ayant déjà bousculé quelques vaches sacrées, n’avait peut-être pas envie de voir charger tout le troupeau, ce qui peut se comprendre.

La laïcité trop rapidement évoquée

Finalement, alors que ce discours paraissait clair, carré, pensé et réfléchi, ce sont les questions qui ont suivi qui ont montré que derrière les paroles fortes, le positionnement restait peut-être encore léger. Quatre marqueurs sont des révélateurs très forts de la difficulté du président à s’emparer vraiment de ces questions : l’évacuation de la laïcité en une phrase lapidaire et assez discutable (« la laïcité c’est la liberté »), l’absence de mention de la violence spécifique que subissent les juifs du fait de la réactivation de la haine religieuse par les islamistes, la question du voile et la volonté de construire un islam de France alors que les frères musulmans attendent ce moment comme une épiphanie.

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L’évacuation de la laïcité du discours présidentiel n’est pas un scoop. Emmanuel Macron n’est pas à l’aise avec cette idée. On a l’impression qu’il ne la comprend pas. Pourtant là est bien le nœud du problème. Il y a un refus viscéral pour les islamistes d’admettre que l’homme puisse former une société politique en se liant en faisant usage de sa raison et en se donnant des lois. Politiquement, la laïcité n’a rien à voir avec la neutralité. C’est la primauté de la raison humaine sur la soumission divine. Cela entraîne de fait une neutralité juridique vis-à-vis des religions qui sont reléguées à un rôle subalterne et sont égales entre elles aux yeux de l’Etat. Ceci dit, tant que le président maintiendra à la tête de l’Observatoire de la laïcité le duo Bianco/Cadène, on peut craindre que dans la réalité de l’action gouvernementale, la laïcité reste la parente pauvre de l’action publique.

L’emprise du voile, le départ des juifs

Le fait de ne pas évoquer la situation des juifs, premières victimes du séparatisme est étonnant. Pourtant eux peuvent témoigner du fait que lorsqu’on appartient vraiment à une minorité, tous vos droits peuvent être bafoués sans que nuls ne réagissent. Pourtant le phénomène d’alya interne dans certaines villes de banlieue (Français de confession juive chassés de chez eux du fait de la violence exercée par des personnes de confession musulmane) ou le fait que sur certains territoires, les enfants portant un nom juif ne peuvent être accueillis dans l’école de la République parle aussi de la violence séparatiste.

L’autre marqueur très fort pour les islamistes que le président feint d’ignorer est le voile.

Il y a là une lutte d’influence menée pour le contrôle de la communauté musulmane par l’islam politique, la multiplication des voiles est une façon d’affirmer son emprise et sa force sur un quartier. Or les musulmans ne peuvent rester passifs dans ce combat car l’islam politique tente de les instrumentaliser en s’appuyant notamment sur l’existence d’un conflit de loyauté réelle entre l’islam et la République qui est porté au paroxysme par le fait que, là où l’islam est la religion dominante, sans que les islamistes soient au pouvoir, les femmes par exemple ont moins de droits que les hommes. L’inégalité femmes/hommes est inscrite dans le droit des pays arabes. Sur ce point il y a une clarification à faire, l’adhésion à notre contrat social passe par l’acceptation du fait que la base de notre société politique est le concept d’égalité entre les citoyens. Il faut être clair sur ce qui est aussi attendu des Français de confession musulmane, à la fois cible de conquête des islamistes mais aussi victimes de leurs agissements. Pour trier le bon grain de l’ivraie, encore faut-il des marqueurs clairs. Le chantage exercé par les islamistes sur une population souvent fragile, ghettoïsée et sous influence se combattra aussi en proposant des choix simples et clairs sur ce qu’est d’être un citoyen français ou de servir une cause qui s’attaque aux racines de notre pacte politique.

L’acceptation de l’égalité femmes/hommes sur notre sol n’est pas négociable. Or en la matière le voile est un révélateur.

Inquiétudes

Dernier point mais pas le moindre, ce discours apparemment lucide pourrait ainsi très bien accoucher à terme d’une structuration de l’islam de France entre les mains des frères musulmans, avec l’aide de l’AMIF, association qui compte en son sein des proches de la nébuleuse islamiste. Ils sont en effet les seuls à disposer d’un vaste réseau de mosquées, d’organismes de formation et d’éducation et ont des interlocuteurs au sein de l’Etat. Vouloir combattre l’islamisme en donnant du pouvoir à une de ses sectes les plus puissantes car elle est infiltrée, a des alliés au sein des cercles de pouvoir et des associations amies, semble déconcertant. C’est quand même ce qui parait se dessiner. Pourtant, en la matière il faut vraiment vouloir s’aveugler pour ne pas se rendre compte de l’ambiguïté d’un Mohamed Bajrafil, comme du manque de discernement d’un Hakim El Karaoui dans le choix de son entourage, tant la volonté de contrôler le marché juteux du hallal et du pèlerinage a l’air de faire oublier toute retenue. Il faut être réaliste, aujourd’hui la formation des imams est tenue par la mouvance des frères musulmans, comme d’ailleurs les écoles sous contrat type lycée Averroes. Il ne faut pas ouvrir la porte à la création d’un islam de France aujourd’hui, seuls les islamistes ont les moyens de s’en emparer. C’est par ce biais que la loi contre le séparatisme peut faire la fortune des islamistes.

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Avec ce discours nous sommes au milieu du gué. Il offre une promesse de réveil mais derrière la fermeté républicaine affichée, le loup islamiste peut trouver une bergerie en mode portes ouvertes et des sources de financement non négligeables. Il est très surprenant par exemple de voir un Etat dire vouloir lutter contre le séparatisme, tout en promouvant le hallal comme moyen de financement de la religion. C’est oublier que, justement, le but des islamistes est de construire une société hallal, distincte de celle des kouffars, autrement dit de nous. Bref si ce discours semble nourri en partie d’une vraie prise de conscience politique de ce que nous sommes en tant que civilisation et de ce que nous n’accepterons pas en tant que peuple, sa traduction concrète risque de nous fragiliser encore un peu plus. Mais nous ne sommes qu’au début du processus, il faut écrire la loi, procéder à des auditions, rencontrer les grands acteurs sur ce dossier.

Nous jugerons sur pièces quand la loi nous sera soumise, d’ici là certaines choses peuvent encore évoluer. Il faut le souhaiter à la France.



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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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