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Fanny et César


Fanny et César
Nicolas Bedos et Fanny Ardant, le 29 février 2020 © Laurent Vu/SIPA Numéro de reportage: 00947511_000021

Une Cérémonie des « César » sauvée par Fanny Ardant


Ce n’est pas si courant d’assister, en direct, à un naufrage. Il y a même un certain plaisir à voir de si « belles personnes » sombrer, puis patauger, dans ce cloaque de l’agit-prop sociétale. Il n’existe donc plus de cours de comédie et d’art dramatique en France ? Nous manquons décidément de tout, d’infirmières, de codeurs et maintenant d’acteurs crédibles. Les remettants d’un soir ont oublié les bases. Faudra-t-il exiger bientôt d’eux un CAP ou une AOP pour garantir un service minimum ? L’essence même de ce métier, c’est-à-dire la transformation d’une idée ou d’un sentiment par une incarnation, leur est complètement étrangère. Vendredi soir, ils étaient présents physiquement sur le plateau et visuellement absents. Quant à l’empreinte nostalgique, le secret de tous les grands acteurs, celle qui fait prolonger le film en nous, je crois qu’ils ignorent complètement ce concept. Leur égo brouillon phagocyte leur pensée.

Je ne reconnais plus mon pays qui avait la passion des acteurs

Dans son salon, le téléspectateur hésitait à continuer ce calvaire sur Canal + alors qu’en deuxième partie de soirée, au même moment, Arte diffusait un documentaire sur Debbie Harry. Une seule œillade de l’Atomic Blondie et notre cœur battait la chamade, nous étions déjà très loin de ces luttes interprofessionnelles, en Floride ou à New-York, avec, en bouche, ce cocktail poivré des Seventies. Mélancolique et métaphorique, la chanteuse américaine effacerait de sa voix sensuelle et punk toutes ces approximations, tous ces babillements d’enfants gâtés. 

Guerre picrocholine

Chers amis acteurs, il faut absolument élever votre niveau de jeu si vous voulez retenir notre attention. Devant son poste, le cinéphile moyen attendait de l’aisance et du punch, de la flamboyance et de l’étrange, du sauvage et du désarmant, il a cherché en vain cette lueur d’esprit dans vos regards ou dans vos paroles. Rien ne fut en place, tout se disloquait, se liquéfiait. Aucune maîtrise du texte, aucune fantaisie dans votre manière de pousser les mots, ignorant jusqu’à la géographie de la scène, méconnaissant les subtilités de l’espace, hoquetant, avec toujours comme seule défense, l’attaque sous la ceinture, vous étiez si transparents et prévisibles. Nous ne sommes plus dans la cour de récré ou à une fête scolaire de fin d’année. Le téléspectateur veut sortir de sa gangue, seuls les acteurs nous offraient jadis cette mue par contumace. Ils étaient nos fragiles intercesseurs vers un ailleurs. Ils avaient le pouvoir de nous extraire, durant deux heures, de nos habitudes et de notre médiocrité. Ils nous fascinaient. Vendredi soir, j’ai pensé à nos maîtres, j’imaginais la tête de nos légendes face à cette guerre picrocholine. Je me souviens encore du visage perdu de Romy, du sourire de faïence de Marie Dubois, de la moustache gourmande de Rochefort, François de Roubaix n’était déjà plus parmi nous en 1976 et Diana Ross chantait « Do You Know ». Je ne reconnais plus mon pays qui avait la passion des acteurs. Ils étaient notre porte-étendard. Ils incarnaient notre vieille éloquence et notre tradition d’irrévérence, ils étaient du côté de Villon et de Proust, de Truffaut et de Verneuil, de Clouzot et de Renoir, de Broca et de Mocky. Qu’aurait dit Philippe Noiret de cette mascarade ? Son phrasé babylonien s’accommodait mal de tous ces déballages indélicats.

Abstenez-vous !

Tous ceux qui ont crié avec les loups, joué les donneurs de leçons et les guides moraux ont sérieusement oblitéré leur avenir. Car, la caméra voit tout et ne ment pas sur leur niveau réel. Cette cérémonie fut une sorte de « Grand Oral », un examen raté où les recalés furent légion. Certaines carrières ne résisteront pas à cette longue soirée onaniste où l’entre-soi agace plus qu’il n’amuse. L’abstention était pourtant la solution la plus sage quand on manque à ce point de talent et de charisme. Il était encore temps d’annuler sa présence en milieu d’après-midi. Même si l’envie d’être vu est trop forte, savoir se retirer au bon moment est une marque de respect pour le public. Cette famille désunie et sentencieuse avait omis que ce spectacle tragi-comique était retransmis. 

Dans ce paysage dévasté, on a aimé la clarté classieuse de Benjamin Lavernhe ou la justesse de ton chez Anaïs Demoustier. Et puis, la divine arriva et surclassa toute cette assemblée. Fanny Ardant, en quelques mots, nous remit les idées en place. Elle parla sans acrimonie, ni fariboles. Elle était là, tout simplement là, et nous nous tûmes. Personne ne moufeta. Pas de rire moqueur ou de moue disgracieuse à l’écran. Elle imposait, une fois de plus, son magistère émotionnel et féerique. Oui, Fanny fut notre reine du vendredi. Et le cinéma respira enfin.

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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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