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Pendant ce temps, La Joconde

La Joconde victime de son succès


Pendant ce temps, La Joconde
La Joconde © Xavier Francolon/SIPA

Le projet de réforme du Musée du Louvre dévoilé au début de l’année par le chef de l’Etat, en l’absence de sa ministre de la Culture, vise en partie à monétiser encore plus le prestige du grand tableau de Léonard de Vinci, La Joconde. Pourtant, la culture est censée être une source d’expression spirituelle, ouverte à tout le monde. De Malraux à Macron, l’idée du musée a subi une dévalorisation tangible.


« Le musée est un des lieux qui donnent la plus haute idée de l’homme ». Il fut un temps où un ministre de la Culture de la Vème république s’exprimait dans des termes qui lui conféraient une légitimité naturelle pour la fonction qu’il occupait, qui traduisaient un regard personnel, une propre vision de la culture. Cette phrase appartient à André Malraux, le ministre légendaire du général de Gaulle, avec qui il a partagé l’amour infini pour la littérature, l’art et l’histoire de France. Plus encore, durant les années sombres pour l’Europe les deux hommes avaient eu le courage de résister à la doctrine politique dominante de l’Allemagne nazie, une résistance à la pensée « mainstream » qui prend à nos jours un sens bien particulier.

Le président de la République Emmanuel Macron lui aussi fait du musée une idée bien haute, tout d’abord pour sa propre personne, car c’est précisément le Louvre, le plus grand musée du monde, qu’il avait choisi pour célébrer sa victoire à l’élection présidentielle le 7 mai 2017.  Presque huit ans plus tard, le 28 janvier 2025, le chef de l’Etat français est revenu à l’endroit où tout a commencé pour lui, cette fois pour faire un discours à quelque mètres du plus célèbre tableau de l’établissement, La Joconde de Leonard da Vinci. La Joconde, nous a appris le président, va déménager dans un autre endroit du musée pour bénéficier des conditions « qu’elle mérite» et d’un billet supplémentaire pour venir l’admirer.

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L’actuelle ministre de la Culture, Rachida Dati, a été, étonnement, absente pour l’occasion, mais son nom a bien été mentionné dans le discours qu’Emmanuel Macron a adressé aux journalistes. Parmi les mesures annoncées par le président de la République concernant le plan du renouvellement du Louvre, baptisé « Nouvelle Renaissance » (sic) et estimé à 700-800 millions euros, le gouvernement souhaite établir une nouvelle grille tarifaire pour les visiteurs extra-européens et c’est bien la locatrice du ministère rue de Valois qui devrait s’y coller.

L’ex-garde de sceaux, connue pour son franc-parler et son caractère bien trempé, ne s’est pas exprimée publiquement sur l’initiative du chef de l’Etat et de la directrice du Louvre, Laurence des Cars, a qui l’on attribue l’idée originale des grands travaux. Mais la place laissée dans ce dossier à Rachida Dati, celle d’un expert-comptable prié de sortir un tableau Excel affichant un bon taux de profitabilité, en dit long sur l’évolution du rôle de ministre de la Culture dans notre pays et de la culture en générale.

La Renaissance a créé, la «Renaissance» déconstruit 

Si la « Nouvelle Renaissance » (chacun peut apprécier l’allusion au parti présidentiel) se présente comme un programme qui vise à moderniser le musée,  il n’échappe à personne que 80% des visiteurs viennent au Louvre pour croquer le mystère du sourire de Lisa Gherardini, la jeune femme du marchand florentin Francesco del Giocondo, qui avait servi à Leonard de model pour la Joconde. Avec un billet différent pour accéder à la salle personnalisée sous la cour Carrée, Mona Lisa va considérablement augmenter les gains du musée, car la majorité écrasante des amateurs d’art souhaiterait, sans doute, voir d’autres chefs d’œuvre de l’établissement. 

Mais comment une telle idée n’est pas venue à l’esprit de nos responsables politiques avant ? Et si on répliquait la même principe pour les autres pièces de la riche collection du plus grand musée du monde ? Les œuvres bien connues et appréciées de tous : la Vénus de Milo, la momie de Ramsès 2 ou encore La liberté guidant le peuple de Delacroix ? Les recettes du Louvre pourraient alors tripler voire quadrupler !

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Redonnons la parole à Malraux pour comprendre : « Le seul domaine où le divin soit visible est l’art, quelque nom qu’on lui donne ». Tout au long de l’histoire de l’humanité et notamment depuis vingt derniers siècles, l’art et la peinture tout d’abord ont été considérés comme un don de Dieu, une source de l’expression spirituelle, qui célèbre la richesse de l’âme humaine et qui cherche à nous remplir de la lumière  intérieure, si différente des  aspirations matérielles dont l’homme  est épris à un degré au combien important.  

Avec une tarification différée pour une seule œuvre d’art, la Joconde, afin de maximiser les profits du musée, ce qu’est une première mondiale dans le genre, notre époque fait encore sauter un verrou civilisationnel, opère une autre transgression des valeurs millénaires, dans la parfaite continuité des actes de vandalisme militant sur les objets d’art ou de la supposée mise en scène de La Cène du même Leonard da Vinci lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympique 2024 à Paris.

La Joconde va voir ce temps (aussi) passer

Acheté chez Leonard par François 1re il y a plus de 500 ans, La Joconde a fait son apparition au Louvre quelques années après la Révolution française et de façon définitive en 1802. La création du musée du Louvre lui-même a été la conséquence directe de la Révolution et avait pour objectif d’« instruire les citoyens comme des artistes, qui devaient pouvoir étudier librement les chefs-d’œuvre ». Loin d’être la peinture la plus connue à ses débuts, le portrait doit sa légende actuelle à son vol du musée par un peintre en bâtiment italien, Vincenzo Peruggia, en aout 1911. L’affaire a fasciné les Parisiens au point que les jours qu’ont suivi le cambriolage, des foules immenses se sont massées devant le carré vide sur le mur. Le tableau a été retrouvée deux ans plus tard en Italie, et depuis, n’a quitté la France que sous l’ère du ministre de la Culture André Malraux. Soucieux de promouvoir la grandeur de la culture française, l’homme politique l’a fait voyager à Washington et à New-York en 1963. Le tableau a été également exposé à Tokyo et à Moscou en 1974.

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La quête du profit, qui opère sa douce transformation de tous les domaines de notre existence, qui a déjà fait disparaitre plusieurs hôpitaux, a réduit les postes d’enseignants dans les écoles et a baissé de 30% le nombre d’agriculteurs en France depuis 10 ans s’étend maintenant aux musées, ces temples laïques qui « donnent la plus haute idée de l’homme ».  

Cherchons, encore une fois, la réponse à ce phonème parmi les maximes de Malraux :« Il y a des œuvres qui font passer le temps, et d’autres qui expliquent le temps.». Une fois installée dans son pavillon luxueux de 2000 m² La Joconde va continuer de suivre de son mystérieux regard les foules de visiteurs du monde entier, qui défileront devant elle, en espérant voir cette époque sous le signe de deshumanisation passer le plus vite possible.

Liste des références :

 https://www.youtube.com/L’hisoire de la Joconde ( tous les faits

Le musée est un des lieux qui donnent la plus haute idée de l’homme  

La Joconde dans une salle payante,  une première dans l’histoire   

Discours de Macron, Louvre 28.01.2025

https://80% viennent-pour–la-joconde

https://Laurence des Cars-un-billet-d-entrée-au-Louvre-sans-joconde

Création du musée du Louvre



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Travaille dans l’industrie des hautes technologies. Il est l'auteur du livre « L'Homo Globalis Numericus » paru aux Editions du Panthéon.

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