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M. Chatel, arrêtez le massacre !

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Entre les murs

François Hollande va « arriver » pour s’occuper des riches, qu’il n’aime pas. Nul besoin de l’attendre au Ministère de l’éducation nationale où la gauche la plus caricaturale est déjà bien installée, comme en témoignent les programmes d’histoire du collège et la directive récente sur l’enseignement des sciences de la vie et de la terre (SVT) en première. Bizarre. On croyait que Nicolas Sarkozy avait été élu pour que l’on enseigne à nouveau les bases de l’histoire de France, pour en finir avec la repentance, et, en matière de mœurs, avec le politiquement correct. Or les programmes d’histoire et la directive sur les SVT, concoctés par une Inspection générale et des directions où officient les mêmes personnages depuis trente ans, droite et gauche confondues, imposent une vision archéo-gauchiste, passablement ridicule, qui fait à juste titre tiquer nombre d’électeurs de droite, voire même les quelques enseignants républicains encore attachés à leur métier et à leurs disciplines, qui ne sont pas les moins indignés, comme le montre le site « L’école déboussolée ».

L’histoire d’abord. Les programmes d’histoire datent de 2008 mais vont s’appliquer en quatrième à la rentrée prochaine. Ils sont présentés dans le sabir inimitable de pédagos à la Meirieu, décervelés par des années d’IUFM : « démarches », « capacités », « objectifs », « repères ». Un bref extrait de l’arrêté ministériel pour en apprécier le style :
« à côté de la rubrique définissant les connaissances, la rubrique démarches précise des entrées dans le thème ou des études de cas qui permettent d’éviter l’exhaustivité en se fixant sur des objets précis, afin de faire acquérir aux élèves les connaissances et les capacités qui constituent les objectifs à atteindre. Une rubrique spécifique précise ces capacités. La connaissance et l’utilisation de repères y tiennent une place importante : il ne s’agit pas seulement de connaître des repères mais de leur donner un sens et de savoir les inscrire dans un contexte essentiel à leur compréhension. C’est ainsi que l’on en fera le support d’un véritable apprentissage et non un simple exercice de restitution. Par ailleurs les capacités «raconter » et « décrire » sont de nature à valoriser la qualité de l’expression écrite et orale des élèves.[1. Il faut dire que le Directeur général de l’enseignement scolaire qui a signé cette circulaire, Jean-Louis Nembrini, avait déjà commis en 2006 le très pataphysique et européen « socle commun de connaissances », également jargonnant : « Penser le socle en termes de compétences. Pour le Haut Conseil, il faut mettre l’accent sur la capacité des élèves à mobiliser leurs acquis dans des tâches et des situations complexes, à l’Ecole et dans la vie : le socle doit donc être pensé en termes de compétences. La notion de compétences figure déjà dans nos instructions officielles, en particulier pour l’enseignement des langues vivantes étrangères et le Brevet informatique et internet. Cette approche, qui se généralise parmi les pays développés, a été adoptée dans le projet de « cadre de référence européen » des huit « compétences-clés pour l’éducation et l’apprentissage tout au long de la vie », qui doit être prochainement soumis au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne »] ».

La maîtrise de ce charabia constitue désormais l’essentiel des « capacités » exigées des nouveaux enseignants.

Ce que l’on comprend très bien en revanche à la lecture de ces programmes est qu’il n’y aura plus de chronologie, mais des thèmes au choix à étudier, dans le plus grand désordre. Quasiment plus de Moyen-âge, plus de Clovis, plus de Saint Louis. Plus de Louis XIV, mais un thème très général sur « l’absolutisme ». Louis XV a totalement disparu. Plus de possibilité d’étudier l’affreux Napoléon bien sûr ; mais pas même l’Empire qui devient facultatif et ne peut être traité qu’autour des notions de « guerre » ou de « religions ». Et le Code Napoléon ? Plus d’étude chronologique et approfondie de l’histoire de la Révolution française, comme cela est très clairement précisé, sous le titre « démarches » : « On renonce à un récit continu des événements de la Révolution et de l’Empire ; l’étude se concentre sur un petit nombre d’événements et de grandes figures à l’aide d’images au choix pour mettre en mettre en évidence les ruptures avec l’ordre ancien ». Mais en revanche un « thème » entier et obligatoire portera sur les traites négrières, chapitre dont on peut imaginer avec quelle subtilité il sera traité, quand on sait comment a été accueilli par nos pédagogues le grand livre de l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau sur le sujet.

En revanche nos élèves de collège seront des grands spécialistes de sujets plutôt pointus, qui n’étaient pour l’instant guère étudiés qu’à l’Université, et encore. Il sera obligatoire d’étudier, sur dix pour cent du temps, en sixième « la Chine des Hans à son apogée », c’est-à-dire sous le règne de l’empereur Wu (140-87 avant J.-C.), ou « l’Inde classique aux IVe et Ve siècles », et, en classe de cinquième « Une civilisation de l’Afrique subsaharienne » parmi les suivantes : « l’empire du Ghana (VIIIe – XIIe siècle), l’empire du Mali (XIIIe- XIVe siècle), l’empire Songhaï (XIIe-XVIe siècle) » et surtout le « Monomotapa (XVe-XVIe siècle) », cher à Voltaire. Vite, rouvrir le Malet-Isaac ou acheter des livres comme celui de Dimitri Casali, qui va faire fortune à la rentrée en proposant un Altermanuel d’histoire de France.

Pour ce qui est des SVT et de la question du « genre », on peut apprécier la modernisation de l’Education nationale : les vieux gagas pédagos ont obtenu le renfort des partisans branchés du gender, sans doute à l’initiative de Richard Descoings, qui a fait de Sciences Po la base avancée des études sur le genre en France. Judith Butler et Luc Chatel même combat. Le thème 3A « Féminin, masculin » de la directive sur les sciences de la vie et de la terre l’explicite clairement sous le titre « Devenir femme ou homme » : « on saisira l’occasion d’affirmer que si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée ». L’identité sexuelle serait entièrement construite et le sexe biologique serait une pure contingence sans aucune conséquence sur le devenir « genré » de l’individu. D’où quelques perles dans les manuels scolaires chargés d’expliciter ces thèses : une jolie illustration est celle du manuel Hatier où l’on voit un adolescent perplexe devant des portes de toilettes homme ou femme. Il faudrait au reste ajouter qu’une telle séparation entre toilettes homme et femme est en elle-même discriminante[2. Autre détail, en général peu noté, dans cette directive, qui marque bien la convergence des constructivistes sociaux du gender et des psychologues comportementalistes qui gravitent dans les sphères ministérielles actuelles, une très jolie définition du plaisir, qu’il conviendra d’enseigner en première S : « Le plaisir repose notamment sur des phénomènes biologiques, en particulier l’activation dans le cerveau des « systèmes de récompense » ( ?)].

Malheureux professeurs de sciences de la vie et de la terre à qui est échu d’enseigner cette théorie qui n’a rien de scientifique, sauf à établir, comme les théoriciens du gender, que la biologie est toute entière « socialement construite ». Il aurait mieux valu sans doute, à tout prendre, repasser le/la bébé/e aux professeurs de philosophie, qui en ont vu d’autres. La protestation des enseignants est tout aussi véhémente que celle des catholiques, comme en témoigne le blog « L’école déboussolée », qui fait référence à la belle « Lettre aux instituteurs » de Jules Ferry, et dont la pétition a déjà recueilli 38.000 signatures.

Pour faire passer cette indigeste potion Luc Chatel n’a rien trouvé de mieux à la rentrée que de proposer de « faire revenir la morale » à l’école, et pour cela initier des « débats philosophiques » sur « le vrai et le faux ». On craint le pire.

Sauve qui peut (les mots)

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Certains jours, je me dis qu’il y a des mots sans défense qu’il faudrait protéger quand on les liquide en douce, et d’autres dont il faudrait laver l’honneur quand on en ternit le sens. Qui, « on » ? Les journalistes, bien sûr. De la radio, de la tévé, ceux qui griffonnent dans les gazettes.

Tous ces gens tellement chatouilleux sur leur déontologie parlent et écrivent sans le souci de la précision élémentaire. Ecoutez-les, lisez-les. Des professionnels du vague, de l’approximation, du cliché, du raccourci. Rien de plus logique : quand on fait métier d’informer le peuple, on s’exprime comme le peuple. Non pas le peuple dont une certaine littérature, de Céline à Alphonse Boudard en passant par Jean Meckert, a fait un sujet poétique ou romanesque. Mais le peuple réel, c’est-à-dire ces foules de types et de bonnes femmes qui s’engouent pour les messes planétaires du football, la Fête de la musique, la réussite ou la déchéance des traders, la grossesse d’une starlette, le spectacle de milliers de cadavres gisant au sol après un raz-de-marée, l’éruption d’un volcan, une guerre néocoloniale, que sais-je encore − bref, ce peuple qui se goinfre des « infos » ou de l’« actu » en continu jusqu’à atteindre l’obésité mentale et dont le langage se réduit à un lexique de sportif professionnel ou de commercial.[access capability= »lire_inedits »]

Public ou populaire ?

Reste à savoir si nous savons encore faire la distinction entre les termes « populaire » et « public ». « Public » est un mot en sursis. C’était jadis un adjectif utilisé pour qualifier la volonté politique d’administrer, au sein d’une nation, l’instruction, la santé, les transports, le courrier, le crédit et l’énergie. Les services publics n’étaient pas et ne sont pas des services populaires. Ils évoquent une forme de souveraineté confiée aux citoyens les plus éclairés d’un Etat − lesquels ne se soucient pas de plaire au peuple mais prioritairement, et quitte a être impopulaires, d’œuvrer pour l’intérêt général. A l’inverse, quand les démagogues s’attaquent aux pouvoirs ou aux services publics, ils le font au nom d’aspirations populaires.

Que demande le peuple ? La baisse des impôts. La chasse aux Roms. La réduction du nombre de fonctionnaires. Un jour, qui sait, le rétablissement de la peine de mort pour les pédophiles et les tueurs de policiers. Et qu’on ne vienne pas nous objecter que les populistes seraient les faux amis du peuple − victime quant à lui, selon ses vrais amis, de je ne sais quel « mensonge social ». La vérité est que le peuple fait ami-ami avec n’importe quel parti qu’il laisse parler en son nom pour peu qu’il trouve à traduire son mécontentement du moment – mécontentement faisant toujours suite à un enthousiasme imbécile. Quant au « mensonge social », Georges Darien, l’aristocrate de l’anarchie, dans Le Voleur, en avait dit l’essentiel : « Ses soi-disant victimes savent très bien à quoi s’en tenir et ne l’acceptent comme vérité que par couardise ou intérêt. »

Et puis, quoi ! Le mot « populaire » est laid. Le prononce-t-on en ma présence que se lève en moi l’idée peu ragoûtante d’un vil potage.

Où sont les philosophes ?

« Philosophe » : voilà un autre mot sali par la novlangue des medias. Il n’y eut jamais qu’un seul philosophe, qui n’était ni professeur, ni chercheur, ni auteur de livres : Socrate. Or, qu’est-ce qu’un philosophe pour le peuple ? Un intellectuel qui occupe deux emplois à mi-temps, l’un consacré à enseigner et à publier, l’autre étant réservé au journal et aux débats télévisés afin d’alerter l’opinion sur une cause morale à défendre, un engagement politique à suivre ou la meilleure manière de vivre une vie d’homme, intérieure et citoyenne. Un communicant en idéologie pour une classe moyenne pauvrement lettrée. Qu’on lise Platon et Xénophon relatant le procès de Socrate – condamné à mort, je le rappelle, non par un régime tyrannique, mais par une démocratie.

Imagine-t-on cet homme s’adresser au peuple sinon pour le bafouer ? D’aucuns, parmi ceux qui lisent ces lignes, se rappellent peut-être la séquence de ce film, Palombella Rossa, où l’on voit Nanni Moretti, hors de lui, gifler une petite journaliste inculte qui lui pose des questions farcies de mots passe-partout et de poncifs branchés : « Mais d’où sortez-vous ces expressions ? Mais comment parlez-vous ? Comment parlez-vous ? Les mots sont importants ! Les mots sont importants ! », lui rappelle-t-il en hurlant sa douleur.

Ah ! Claquer le beignet à un Fogiel, à un Ruquier, à une Ariane Massenet ! Quel amoureux de la langue réagirait autrement ? A moins que le découragement l’accable et qu’il se résigne à l’idée que Dieu n’a donné le Verbe aux humains que pour les jeter dans le malentendu et la confusion, et que les professionnels du verbiage ayant pris le pouvoir, Sa volonté est faite.[/access]

Toujours moins !

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image : Brintam (Flickr)

On va dans le mur. De l’extrême droite à l’extrême gauche, des bastions de l’orthodoxie au camp de l’« autre politique », des libéraux purs et durs aux étatistes forcenés, voilà au moins un point sur lequel tout le monde s’accorde. Sauf que personne ne sait vraiment à quoi ressemblera ce mur, et encore moins ce qu’on trouvera derrière. Vous, je ne sais pas, mais moi, quand on m’explique, même avec le talent et la lucidité de Jean-Luc Gréau, que « l’euro va éclater » ou qu’un « grand krach des marchés du crédit et des actions est redevenu possible », je comprends bien que ça ne va pas être marrant, mais mon imagination s’arrête là. Supposons, par exemple, que ces vilaines agences de notation profitent de notre sommeil et du décalage horaire pour priver la France de son « triple A » − pas celui des andouillettes qui, d’ailleurs, est quintuple, mais cette fichue note qui fait que plus on est pauvre, plus l’addition de la dette est salée −, nous réveillerons-nous dans un monde différent ?

Bien qu’on nous promette une crise encore plus violente que celle de 1929, je suppose que nous n’allons pas pousser des brouettes emplies de marks, ni même d’euros, et que nous ne serons pas sauvés par un « New Deal » planétaire ni même européen. À moins que ne se déroulent dans les coulisses des tractations dont nous ignorons tout, cette fois-ci, « l’Allemagne ne paiera pas » – sur ce point, le savoureux opéra-bouffe de Luc Rosenzweig en dit autant − et bien plus drôlement − que toutes les savantes analyses diplomatiques. Alors quoi ? Chômage ? Précarité ? Fins de mois difficiles ? Sans doute et même sans aucun doute mais là, nous sommes en terrain connu. Bien sûr, les apôtres de la mondialisation heureuse rappellent que, simultanément, des millions de Chinois, Brésiliens, Indiens et autres habitants de ces nouvelles Terres promises sont sortis de la misère au cours des deux dernières décennies, et que beaucoup trouveraient enviable la situation d’un pauvre français. Tout cela est sans doute vrai, au moins à moitié. Il leur reste à trouver des arguments pour convaincre les bons peuples que les pères doivent accepter que leurs fils mènent une existence plus difficile que la leur. Bien sûr, contrairement à ce que suggère notre titre, personne, même notre méchant Président, même les méchants banquiers, même les adeptes de la décroissance − dont Jacques de Guillebon pense qu’elle est la seule alternative à la décadence −, n’a fait de l’appauvrissement son cheval de bataille. Du reste, à en croire François Miclo – et pour ma part, je le crois – Guizot n’a jamais prononcé le fameux « Enrichissez-vous ! » devenu, dans nos imaginaires, le mot d’ordre de la droite orléaniste. En attendant, que nos gouvernants se proclament de droite ou de gauche n’y change pas grand-chose : on dirait bien que nous devons nous résigner à travailler plus et à gagner moins. En clair, à nous appauvrir.

Conformément à la sagesse talmudique, nous avons donc plus de questions que de réponses. Reste qu’on n’a pas besoin d’être diplômé en économie ou en finance pour comprendre que la crise est politique avant d’être économique et financière. Tous les citoyens de tous les pays européens le sentent : les dirigeants que nous élisons ont perdu la main. Jean-Pierre Chevènement, que nous sommes heureux d’accueillir dans ces colonnes, rappelle justement qu’ils se sont volontairement dessaisis de tous les outils qui leur permettaient d’agir sur le réel. J’ajouterai que nous sommes tous responsables : bien sûr, nous avons grogné contre Maastricht et refusé la Constitution européenne. Mais tant que le néo-libéralisme était synonyme d’écrans plats à bas prix et que la Bourse ressemblait une loterie gagnante pour tout le monde, bref que tout le monde espérait en croquer, on ne faisait pas tant de chichis sur les méfaits de « l’argent-roi » : rappelez-vous les années 1980, quand les traders étaient nos héros et les ouvriers de la sidérurgie licenciés des has-been. Où étaient les indignés d’aujourd’hui : à la FNAC ?

Quoi qu’il en soit, les commandes ne répondent plus. Ils se démènent, renflouant les banques un jour, luttant contre le feu en Grèce le lendemain, suggérant de rançonner les buveurs de Coca-Cola le surlendemain. Tout ça pour « rassurer les marchés », s’énervent Marc Cohen et Frédéric-Louis Fauchet. D’accord, ce n’est pas une ambition très exaltante. D’accord, il faut « changer le système », comme le répète Martine Aubry, sans nous expliquer toutefois comment elle compte le faire : à l’exception d’Arnaud Montebourg, les socialistes ne semblent pas plus décidés que les sarkozystes à rompre avec le dogme libre-échangiste. N’en déplaise à Georges Kaplan, qui brandit la vieille antienne « le protectionnisme, c’est la guerre », la concurrence déloyale et faussée que nous avons acceptée pour loi d’airain a certainement enrichi les classes possédantes du monde entier et laminé les classes populaires avant de s’attaquer aux classes moyennes. D’où le nouveau mantra, psalmodié, lui aussi, de la droite à la gauche : il faut, paraît-il, « faire payer les riches », ce qui, selon Jérôme Leroy, aura au moins l’avantage de leur rendre le sommeil. Admettons que ce serait moral. Personne, en tout cas, ne s’offusque que l’on stigmatise ainsi des personnes en raison de leur statut social. Si c’était la solution, on peut imaginer que même Nicolas Sarkozy – qui souhaite sans doute être réélu – s’y résoudrait. Et peut-être même Berlusconi qui, comme le relate Alberto Toscano, s’est empressé de faire disparaître de son plan d’économies les mesures touchant les couches les plus favorisées. Va donc, pour « faire payer les riches » puisqu’il paraît que nous souffrirons moins si nous savons qu’eux aussi souffrent un peu. Mais sachons que ça ne résoudra pas grand-chose : c’est que ces « salauds de riches » ne sont pas assez nombreux.

En attendant que le PS vienne sauver la France, je veux bien qu’on dise « Fuck les marchés ! », mais à condition qu’on me dise aussi, très concrètement, ce qu’on fera le lendemain quand lesdits marchés spéculeront contre la dette française. De même, on peut toujours, comme le camarade Philippe Cohen dans Marianne, ironiser sur « Sarkozy, le teckel de Merkel », mais à condition de savoir ce qu’on fera quand la crise éclatera. (On aimerait cependant que le Président se rappelle que l’Allemagne ne peut, pas plus que la France – et peut-être encore moins qu’elle – jouer les cavaliers seuls.)

Il ne s’agit pas, bien sûr, de se résigner à l’impuissance – ce qui reviendrait à renoncer à la démocratie. On ne voit pas pourquoi il serait impossible de règlementer les activités bancaires, d’interdire certaines opérations financières, de rééquilibrer le rapport de forces entre actionnaires et salariés ou de lutter contre le dumping social ou fiscal. Affaire de volonté, comme le dit Jean-Pierre Chevènement ? Certes, mais aussi affaire d’intérêts nationaux, de mentalités collectives, de démographie, d’anthropologie. « Ce que des hommes ont fait, les hommes peuvent le défaire », aime à répéter Henri Guaino. Surtout quand ces hommes sont les gouvernants des principales puissances mondiales. Le problème, c’est qu’après avoir fait tout ce qu’ils ont fait − le marché, l’Europe, la mondialisation financière −, ils ont jeté les clefs.
Eh bien, qu’ils les retrouvent ! Qu’on ne nous dise pas que les États ne peuvent rien faire contre le « pouvoir de la finance » parce que, si les États disparaissent, la « finance » n’exercera plus son pouvoir que sur un champ de ruines. Alors, on se prend à rêver d’un G 20 du volontarisme, à l’issue duquel nos gouvernants prendraient collectivement les mesures qui s’imposent et réaffirmeraient leur autorité : si nous avons choisi de périr ensemble, il est probable que nous ne sauverons qu’ensemble. J’accepterais alors qu’on me chante l’air de « l’union, c’est la force ». Sauf que cela n’arrivera pas. Nous risquons plutôt de découvrir que, non seulement il n’y a plus de pilote dans l’avion, mais qu’il n’y a plus d’avion. Attachez vos ceintures !

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Causeur Magazine 39 : faites des dettes, abonnez-vous !

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Après un été pourri sous la grisaille, Causeur dissèque les prévisions de rentrée anxiogènes qui vont avec. Comme dit la patronne dans son introduction, « on va dans le mur » et comme l’ajoute l’ami Basile, vous êtes cordialement priés de venir avec nous ! La destination, comment dire, ne fait pas vraiment rêver, mais vous serez en excellente et joyeuse compagnie, et c’est tant mieux, puisqu’on vous dit que vous n’avez pas le choix !

Ainsi vous trouverez dans ce numéro une interview de Jean-Luc Gréau qui va vous convaincre de courir illico à la banque clôturer votre PEA pour acheter des lingots et les enterrer sous deux mètres d’humus au fond du jardin. Mais ça tombe plutôt bien car l’une de vos bonnes résolutions de rentrée, c’était de bouger un peu plus, non ?
Après ces exercices revigorants, vous serez prêts à affronter Jean-Pierre Chevènement qui, plus optimiste que Jean-Luc Gréau, nous promet seulement du sang et des larmes !

Du sang, et du vrai, on en retrouvera encore dans le reportage de Paulina Dalmayer, où nos vrais combattants racontent leur vraie guerre en Afghanistan. Ce Causeur Magazine 39 vous parlera aussi de la Birmanie, du Sinaï, et d’une contrée encore plus mystérieuse et dangereuse : Saint-Germain-des-Prés et ses 654 romans de la rentrée.

Tout cela et encore plus (par exemple l’entretien réjouissant entre Basile de Koch et Michel Onfray) sera à vous, rien qu’à vous, si vous vous abonnez ou vous réabonnez (on clique ici), ou tout simplement si vous achetez ce numéro (ici). Allez, la fin du monde est proche dépensez sans compter !

Libye : Drôle de guerre civile

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Checkpoint à 60 km de Bani Walid (photo : Paulina Delmayer)

E. revient dans notre sous-bois avec deux plateaux de couscous, deux bananes, deux bouteilles d’eau fraîche et deux petites barquettes de jus de raisin. Cela fait plus de six heures que nous campons dans notre sous-bois à une soixantaine de kilomètres de Bani Walid, un des derniers villages où la résistance kadhafiste tient encore tête aux rebelles. « Les mouches à merde se sont barrées alors il y a de quoi manger », lance E. Je suis une mouche à merde, moi aussi. Et depuis qu’il a échangé son flingue contre un appareil-photo, E. aussi. Si nous sommes là, dans notre sous-bois à une soixantaine de kilomètres de Bani Walid, c’est précisément dans le but de décrire et de photographier la guerre. Une guerre juste contre un tyran détestable. Seulement, voilà, il se passe rien sur le front. Nous nous attendions au moins à entendre des déflagrations et apercevoir de la fumée à l’horizon, sinon à pouvoir arracher quelque témoignage aux blessés qui auraient dû arriver en nombre pour être secourus par les gars du Croissant rouge qui campent aussi ici, dans leur sous-bois de l’autre côté de la route. Mais il se passe rien. Nous n’entendons rien d’autre qu’une berceuse murmurée par le vent dans les cimes des arbres. De temps en temps les combattants qui ne combattent pas se mettent à crier « Allah Akbar » ou à tirer en l’air, voire à faire les deux, afin de maintenir les journalistes à distance raisonnable du théâtre des opérations. Personne ne sait, le commandant du check-point compris, quand il commencera à se passer quelque chose.

Nous ne connaissons pas la provenance du couscous et c’est sans doute mieux ainsi. J’offre ma portion à E. en échange de quoi j’obtiens une banane supplémentaire. « Depuis Beyrouth, je n’aime pas les journalistes. Un des nôtres était en faction dans le mirador quand une roquette lui a transpercé le cou. Dès le lendemain matin, les images du poteau d’où pendaient des morceaux de chair faisaient le tour du monde », me confie-t-il pour justifier une antipathie vieille de trente ans.

Nous ne sommes plus qu’une petite trentaine de mouches à merde restées sur place, en espérant qu’il se passera quelque chose avant demain matin. Trois voitures civiles parviennent à passer le check-point ce qui met la consœur de Reuters en colère : « Comment se fait-il que vous laissiez passer des villageois tandis que nous poireautons ici comme des débiles depuis plusieurs heures ? ». Le chef du check-point peine à lui donner une réponse satisfaisante. Apparemment, la décision de laisser passer ou non une voiture émane d’un autre check-point, plus proche du front sur lequel il ne se passe rien, mais qui serait gardé par un commandant plus important. Une journaliste travaillant pour une chaîne de télé américaine se mêle de la conversation. « Vous vivez dans un pays libre, pas vrai ? Alors, vous êtes libre de prendre la décision de laisser passer des journalistes en n’engageant que votre propre responsabilité ! ».

« Comment se fait-il que vous laissiez passer des villageois tandis que nous poireautons ici comme des débiles depuis plusieurs heures ? » (photo : Paulina Delmayer)

Mario de TéléSUR, une chaîne espagnole dont je n’ai jamais entendu parler mais qui, à en juger par son équipement – mini-parabole, téléphones satellites, gilets pare-balles et j’en passe – dispose de grands moyens, commence à organiser une rébellion contre la rébellion, en invitant nos chauffeurs à positionner les voitures en file indienne devant le check-point. « Quand même, si on démarre tous ensemble, ils ne vont pas nous tirer dessus, non ? », s’agite-t-il au milieu du troupeau des preneurs de son. Se heurtant les uns les autres avec leurs perches, ces derniers ne peuvent toutefois pas se résoudre à appuyer l’initiative de Mario. Il faut croire que la décision de déplacer les véhicules de leurs équipes ne leurs appartient aucunement. Qui sait, peut-être n’appartient-elle même pas aux envoyés spéciaux, les stars incontestables de notre essaim, dont le montant exorbitant de l’assurance-vie serait inversement proportionnel à leur autonomie décisionnelle. Au final, personne ne bouge. Et il se passe rien sur le front. Une fille blonde et mince, portant une caméra à l’épaule, revient vers le commandant du check-point, mais elle s’y prend mal : « Vous savez aussi bien que moi qu’une équipe d’Al Jazeera est déjà sur place ainsi que celle de CNN. Alors pourquoi nous, les Français, ne pouvons-nous pas avancer ? Nous vous avons aidés, alors aidez-nous ! ». Les Britanniques ricanent dans leur coin tandis qu’un Japonais demande qu’on lui explique ce qui se passe. « Rien, rien… il se passe rien », résume E.

Deux événements majeurs se produisent pourtant, simultanément et de façon totalement imprévisible. Une camionnette frigorifique venue du nord, de la direction de Tarhuna, fonce vers notre check-point tandis que depuis le sud, de la direction de Bani Walid, un pick-up blanc aux vitres teintées avance lentement, un grand drapeau libyen peint sur le capot. Les deux véhicules s’arrêtent à peu près au même moment ce qui nous force, nous les mouches à merde, à choisir celui des deux vers lequel se précipiter. E. opte pour la camionnette, tandis que je m’approche du pick-up blanc. Nous nous retrouvons une dizaine de minutes plus tard, E. avec une nouvelle provision de vivres et de l’eau fraîche, moi avec une information provenant d’une source fiable et se résumant au constat que rien ne se passera sur le front dans les heures à venir. Le Docteur Kanshel, conseiller des rebelles, et par ailleurs originaire de Bani Walid, fait une déclaration officielle à ce sujet : « Les négociations avec les forces de Kadhafi se poursuivent. La situation est difficile mais nous faisons tout pour épargner les vies humaines. Je ne peux rien vous dire de plus précis pour le moment. » Les Américains et les Britanniques font leur live, pour pouvoir plier bagages et décamper au plus vite vers Tripoli. Nous ne sommes plus qu’une dizaine à attendre.

La nuit tombe sur notre sous-bois. E. part pour récupérer de vieux cartons, histoire de dormir sur un semblant de matelas. Nos voisins les plus proches, les rebelles des villages alentour, font un feu, préparent leur couchage, graissent leurs armes. « Hello, welcome ! Tea ? You want some tea ? » J’accepte volontiers. E. revient et une discussion s’engage entre hommes sur la façon de tenir son arme, nettoyer le canon, fabriquer un écouvillon et aussi, bien évidemment, sur le football. La veille la Libye a battu le Mozambique 1 – 0. « Tu veux du thé toi aussi ? ». E. prend un verre. « Alors, il est bon notre thé ? ». E. confirme, « Oui, il est fort, j’aime le thé fort. ». Les hommes sourient. « T’es un vrai Libyen, toi. Les Libyens aiment le thé fort. ». Nos voisins sont informaticiens, profs d’école, commerçants. Certains d’entre eux ont suivi la rébellion depuis ses débuts. Maintenant ils attendent. « Les gars de Kadhafi ne nous font pas confiance. Ils pensent qu’on va les tuer au lieu de les juger. C’est vrai que certains ont plusieurs morts sur la conscience et ne méritent pas de vivre. Mais ils sont malgré tout libyens comme nous. Et puis, il faut éviter que la Libye devienne l’Irak. C’est l’objectif de Kadhafi. Ce n’est pas le nôtre. » Nous partageons une pastèque et discutons de l’avenir. Parce que, pour l’instant, il ne se passe toujours rien sur le front.

Le prix du soda

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C’est en 1977 que Murray Edelman publie Political language, words that suceed and policies that fail où il se propose de comprendre comment les pauvres se font avoir par les experts en économie. Le titre est un peu pompeux, mais on ne peut pas dire que le sujet soit inintéressant.

Voici les trois étapes à suivre pour mystifier le petit peuple :

1) Pour commencer, chaque crise doit être présentée comme quelque chose de fracassant. La comparer avec le krach de 29 est une bonne chose. Mettre la science économique (surtout la plus absconse) au service d’un constat simplissime (c’est ça, ou le retour de la guerre en Europe) est un excellent procédé auprès des gens impressionnables. D’une façon générale, tout ce qui peut préparer les plus faibles à payer plus d’impôts par la dramatisation de l’enjeu vaut de l’or (page 45).

2) Frapper les plus faibles, c’est bien. Faire en sorte que ces mesures aient l’air incroyablement courageuses, c’est mieux. Il est très important que les fautifs passent pour des hommes d’Etat, et, qui plus est, pour des hommes d’Etat courageux (page 46).

3) En économie, tout est affaire de vocabulaire. La situation alarmante du riche qui ne peut plus s’enrichir est une crise. La situation alarmante du chômeur qui ne trouve pas de travail, en revanche, est un problème de société. Si la première appelle des mesures urgentes (hausse de la TVA immédiate), la seconde est un sujet à l’étude (page 47)

Merci pour toutes ces précisions, Jacob Murray Edelman. Sache que le prix du soda que je lève en ton honneur va doubler d’ici peu.

Political Language: Words That Succeed and Policies That Fail

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La nuit la plus courte

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photo : scotthuckphoto (Flicker)

A mon réveil, je songeais a cette recommandation de Jacques Chardonne a son cadet et ami d’alors, Roger Nimier : « Écrire peu. Dormir beaucoup », recommandation que j’ai suivie à la lettre. Cette dernière nuit, pourtant, a été brève. Pendant que je dinais dans un restaurant chinois avec un ami − nous parlions de l’importance des perversions dans le développement intellectuel −, je sentais mon portable vibrer dans ma poche. Je savais qui m’envoyait des SMS et je pressentais que la nuit, en dépit de la canicule, serait brève. Je savais aussi que j’hésiterais à rejoindre dans son studio cette femme dont l’image me poursuivait depuis des années. Je savais, bien sûr, qu’au dernier instant elle me téléphonerait pour me dire qu’il était tard, qu’elle était déjà assoupie, qu’il valait mieux remettre à demain… Plus elle me dissuaderait, plus ma résolution serait inébranlable.

Tout se passa comme prévu[access capability= »lire_inedits »] : elle m’accueillit dévêtue, m’enleva aussitôt ma chemise, se serra contre moi. Les années avaient passé, mais elle demeurait à mes yeux, ce sweet yellow bird, cette adolescente délurée qui entrait et sortait de ma vie avec une désinvolture et une grâce qui m’amenaient parfois à penser qu’elle aurait pu être, qu’elle était sans doute la ≪ femme de ma vie ≫, expression stupide qui signifiait que, quoi qu’il arrive, je n’aurais jamais cessé de la désirer.

L’amour, une duperie réciproque

Plus rien n’importait maintenant que la douceur complice de nos étreintes, la chaleur étouffante s’accordait à la transpiration de nos corps. Nous nous buvions littéralement l’un l’autre. Lorsqu’elle s’endormit − et je ne connais pas de spectacle plus émouvant que celui d’une femme qui, après s’être abandonnée a son amant, glisse dans le sommeil –, je me rhabillai et regagnai mon antre de la rue Oudinot.

Rien ne s’était passe que je n’attendisse, mais j’éprouvais un tel bonheur a avoir une fois encore, et peut-être pour la dernière fois, perçu à travers les vibrations de La nuit la plus courte son corps l’offrande de son âme, que j’en oubliai ma fatigue. Quoi qu’il arrive, elle avait été, elle était, elle serait à moi. Nous n’avions pas pris la moindre précaution… elle par amour, moi parce que j’étais persuade que je ne ferais pas de vieux os. Nous étions le 28 juin. Le 22 septembre, j’atteindrai mes 70 ans. Je ne jugeais pas très fortiche de dépasser cette échéance.

Pénétrer, même à pas de loup, dans cette contrée qu’on appelle la vieillesse et où il n’y a plus rien a attendre, sinon quelques humiliations inédites et le bon vouloir de l’ange de la mort, me tentait modérément. « Dormir beaucoup. Écrire peu. » Le lecteur me pardonnera d’avoir fait exactement le contraire. Mais il fallait bien commencer ce journal d’un nihiliste heureux par le récit de cette nuit invraisemblable et pourtant véridique. Invraisemblable, car rien n’est plus contraire à mon caractère qu’un amour aussi violent après un quart de siècle. Et véridique, car mon parti-pris quand j’écris est de rendre compte avec le plus de précision possible ce que j’ai réellement vécu. A quoi bon d’ailleurs écrire, si c’est pour travestir ses sentiments et tromper son monde ? Ce que j’ai vécu cette nuit du 28 juin est peut-être insignifiant, mais le coucher sur le papier prolonge mon plaisir, même si par ailleurs j’ai la certitude que l’amour est une duperie réciproque. La volupté, elle, en revanche, ne trompe jamais.[/access]

Israël – Turquie, ça rame à nouveau

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Il y a seize mois, avec l’affaire de la flottille, la Turquie effectuait un retour spectaculaire sur la scène moyen-orientale, Ankara se transformant du jour au lendemain en héros de la cause palestinienne. La vague d’indignation qui suivit la mort de neuf citoyens turcs dans l’arraisonnement du Mavi Marmara, le bateau amiral de la flottille, permit au premier ministre Erdogan de battre des records de popularité dans le monde arabo-musulman.

À Gaza, on prénommait des nouveau nés Erdogan pendant qu’à Tripoli, un certain Mouammar Kadhafi lui discernait le « prix des droits de l’homme » (sic). Grâce au succès de la provocation préparée par l’ONG turque IHH, Ankara accentuait son rapprochement avec l’Iran et la Syrie et reconquérait ainsi le terrain précipitamment abandonné par Istanbul il y a un siècle.

Douze mois plus tard, le magnifique édifice géostratégique turc se fissure. A Tripoli, Erdogan devra batailler pour se refaire une virginité auprès des nouveaux maîtres de la Libye tandis qu’en Syrie, le pouvoir vacillant de l’ancien allié Assad est devenu une menace pour la stabilité de la région. Dans ce pays en voie de libanisation, le gouvernement turc redoute l’éventualité d’une guerre civile qui mettrait le feu à ses frontières. Un malheur n’arrivant jamais seul, la crise syrienne met également à l’épreuve les relations entre Ankara et Téhéran, soutien indéfectible d’Assad.

Alors que la guérilla kurde reprend, cette série de revers diplomatiques pousse l’islamo-nationaliste Erdogan à envenimer ses relations avec Israël. Mais après l’échec du cru 2011 de la flottille, le plat semble réchauffé et la ficelle un peu grosse.

Cette fois, Ankara a saisi le prétexte du rapport d’une commission d’enquête de l’ONU pour relancer l’affaire de la flottille. Lesdits enquêteurs ont d’ailleurs été conjointement choisis par la Turquie et Israël, qui n’étaient pas très chauds pour constituer une commission d’investigation. En Turquie comme dans l’Etat hébreu, on sait en effet qu’une enquête ne sert à rien puisqu’Israël est automatiquement coupable aux yeux des opinions publiques arabes. La Turquie ayant déjà gagné la bataille de la communication, elle n’avait aucune raison de prendre des risques inutiles. A Tel Aviv, où on n’attend pas grand-chose de l’ONU, le gouvernement israélien souhaitait tout simplement tourner la page d‘une histoire où il n’a que des coups à prendre.

C’est finalement sous la pression de leurs alliés communs que cette instance dirigée par l’ex-premier ministre néo-zélandais Jeffrey Palmer a été lancée par la Turquie et Israël. A la surprise générale, la commission Palmer a produit un travail honnête. Depuis quelques mois, on sait que le rapport confirme la légalité et la légitimité du blocus maritime israélien sur Gaza – et approuve donc l’arraisonnement de ceux qui tentent de le forcer. Ainsi, le rapport Palmer qualifie le blocus de « mesure de sécurité légitime pour empêcher des armes d’entrer à Gaza par la mer et « sa mise en œuvre (…) conforme au droit international» alors qu’il épingle les organisateurs turcs de la flottille pour avoir « agi imprudemment » . La commission dit même se poser de graves questions « à propos de l’attitude, de l’identité véritable et des objectifs » de l’IHH. Quant au gouvernement turc, ses efforts pour désamorcer la provocation de l’IHH ont été jugés insuffisants. Preuve de cette absence de volonté, l’été dernier, lorsqu’Ankara voulut marquer une inflexion passagère de sa politique étrangère, il fit déjouer l’embarcation d’une nouvelle flottille.

Certes, ce même rapport critique sévèrement l’usage excessif de la force déployé par les commandos de Tsahal. Tout en admettant que les militaires israéliens se heurtaient à une «  résistance organisée et violente de la part d’un groupe de passagers », leur réaction a été jugée  » excessive et déraisonnable ».

Globalement, le rapport Palmer constitue un gros revers pour une diplomatie turque. Récemment convertie à la cause palestinienne, elle apporte comme un dot un document soutenant la position israélienne sur la légalité du blocus de Gaza, mauvais calcul dénoncé par le chef de l’opposition turque. Israël se montrait, bien évidement, prêt à accepter les recommandations de la commission Palmer : exprimer des regrets puis indemniser les victimes de l’assaut ainsi que leurs familles. Mais pour la Turquie, embarrassée par son opinion publique et les positions anti-israéliennes d’Erdogan, il n’était pas question d’en rester là. Malgré son engagement officiel à respecter le rapport et ses conclusions, Ankara exigeait obstinément des excuses israéliennes ainsi que l’arrêt du blocus – maritime et terrestre – sur Gaza.

Autrement dit, les Turcs ont fait une proposition qu’Israël ne pouvait que refuser. En dépit de la faiblesse de ses arguments, la Turquie n’a pas diminué ses exigences. Après des mois de reports, le rapport Palmer a enfin été officiellement remis au secrétaire général de l’ONU, ce qui a réouvert les hostilités publiques entre Israël et la Turquie. Ankara a donc rejeté le rapport d’enquête et gelé ses accords militaires bilatéraux avec Israël. En plus, non content d’annoncer une visite d’Erdogan à Gaza, le gouvernement turc menace d’envoyer sa marine « assurer la libre navigation du bassin oriental de la méditerranée ».

En Israël, deux écoles s’affrontent. Certains estiment que les relations stratégiques avec la Turquie doivent l’emporter sur la fierté israélienne. Au nom du pragmatisme, ils recommandent d’accepter les conditions d’Ankara. D’autres leur objectent qu’il ne s’agit pas d’une simple question de fierté nationale mais que la politique israélienne vis-à-vis de Gaza est en jeu. Ils disposent d’un argument solide : Ankara étant fermement déterminé à s’éloigner d’Israël dans le nouveau contexte régional, l’Etat hébreu n’aurait aucun intérêt à battre sa coulpe. Selon eux, le retour à la normale promis par les Turcs n’est qu’un mirage. En fait d’excuses, Ankara attendrait le premier prétexte venu pour « punir » Israël, qui perdrait alors le gain symbolique du précieux rapport Palmer. Notons qu’en cas de compromis israélo-turc, l’ONU s’est engagée à enterrer ce rapport en en faisant un « non paper ». Que la seconde analyse l’emporte en Israël n’étonnera donc personne.

La Turquie sera donc applaudie pour sa fermeté face au « petit Etat de merde » mais dans certains endroits l’ovation risque de manquer un peu d’enthousiasme. En Syrie par exemple, on pourrait se demander pourquoi tandis que l’ambassade turque à Tel Aviv, à moitié vide, sera dirigée par un deuxième secrétaire, son excellence l’ambassadeur Ömer Önhon, continuera à représenter son pays auprès de Bachar el-Assad.

Et mourir de jouer…

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C’est à ce genre de choses qu’on mesure à quel point notre époque devient d’une étonnante stupidité et surtout, montre beaucoup moins d’élégance et de grandeur dans des débordements qui ont toujours existé. A part Paul Morand, dans Hécate et ses chiens, peu d’écrivains se sont intéressés à ces femmes attirées par les adolescents.

Le phénomène existe pourtant et l’on se souvient de l’affaire Gabrielle Russier, cette professeur de philo qui se suicida après le scandale provoqué par ses amours avec l’un de ses élèves. Cela donna à André Cayatte l’occasion de faire un solide film à thèse qualité France comme il en avait l’habitude, à Charles Aznavour de chanter l’inoubliable « Mourir d’aimer » et au président Pompidou de citer, de manière improvisée, Paul Eluard pendant une conférence de presse.

Un fait divers semblable vient de se produire quarante ans plus tard entre une femme de trente trois ans et un ado de 15 ans. Ils n’ont pas éprouvé une attirance irrésistible l’un pour l’autre en discutant du Banquet de Platon mais en jouant en ligne à Call of duty, la star des jeux de guerre en vidéo et en chattant sur MSN. Les parents du mineur ont porté plainte. On attend donc le film de Luc Besson, la chanson de Justin Bieber et une citation présidentielle de Luc Ferry sur l’amour. Le pire, sans doute, dans cette histoire, c’est que les deux tourtereaux ne se sont jamais rencontrés dans la vie réelle et que tout s’est limité à quelques photos dénudées. O tempora, o mores !

Mauvais Pastiche à Marseille

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la boutique du campus UMP 2011 (image : UMP Photos)

À écouter les radios et les télés depuis deux jours, on a l’impression que la guerre civile est déclarée à l’UMP et que le « campus » du parti majoritaire, jamboree pour jeunes militants à T-shirts ridicules qui s’est tenu à Marseille ce week-end, s’est mué en bataille de la Marne. Et que Fillon a été plus applaudi que Copé, et que Raffarin a fait du boudin pour une histoire de TVA (finalement mort-née) sur le Futuroscope. Et que Devedjian a dit dans la presse qu’il avait des doutes sur le pré-programme présidentiel, sans oublier Rachida Dati qui ne lâche rien sur la Mairie de Paris, bref, l’enfer en plus chaud.

Un beau bordel à neuf mois de la présidentielle, soulignent donc en chœur les commentateurs avisés. Comme si face au PS qui se serait déchiré à la Rochelle, « en dépit d’une photo de famille avec tous les candidats à la primaire » (dans le texte), il fallait absolument proclamer que la droite est en lambeaux pour les mêmes raisons. Voici donc venu le temps du parallélisme des formes politiques, un peu comme si l’équité prônée par le CSA avait dégénéré en traitement identique pour les deux camps.

Pourtant il y avait mieux à faire à Marseille que ce mauvais pastiche de la Rochelle, car la droite majoritaire est bel et bien balkanisée. Mais pas pour les raisons énoncées dans les médias. Malgré les petites grognasseries qui ne manqueront pas d’apparaître dans les semaines à venir, elle devrait s’aligner comme un seul homme derrière Nicolas Sarkozy, qui même aux tréfonds de la popularité, reste la meilleure chance de victoire à la présidentielle donc l’assurance – ou en tout cas l’espoir raisonnable – pour un paquet d’élus, fussent-ils chafouins, de retrouver un siège de député en juin prochain.

Jean-Pierre, François, Jean-François, Rachida et les autres : combien de divisions ?

Mais passons les divisions en revue. Raffarin, vexé, joue les rebelles car le Président aurait eu des mots durs à son endroit et qu’en plus on voulait taxer son parcs d’attraction. Il aurait même menacé de ne plus aller au petit déjeuner rituel de la majorité – quelle terrible menace ! Avant de revenir sur sa décision et, à Marseille, d’animer comme si de rien sa table ronde sur la crise financière. La belle affaire ! Alors certes, Raffarin, a été Premier ministre de la France (si, si). Il doit peser un peu au Sénat (oui, oui) et dans la Vienne. Mais quelle est la force de frappe réelle de Raffarin? Qui connaît Monsieur Raffarin, à part ses électeurs et poitevins et quelques amis députés des Républicains sociaux (ou un truc approchant) ? Pouvoir de nuisance ? Quasi nul. Pouvoir d’occupation médiatique? Assez grand. Au moins toute la journée du samedi.

Venons-en au cas Patrick Devedjian. Lequel ne cache pas qu’il est en fort mauvais termes avec le chef de l’Etat, surtout depuis que celui-ci s’est mis en tête de faire régner son fils sur les Hauts de Seine. Il critique le non-projet de l’UMP ? C’est un non-événement, il a dit bien pire depuis trois ans, y compris lorsqu’il était ministre de la Relance. Pouvoir de nuisance ? Sans doute non nul, mais autolimité car Devedjian n’a aucune envie de prendre la tête d’une croisade anti-sarkozyste. Pouvoir d’occupation médiatique ? Limité aussi, encore que les journalistes n’hésitent jamais à l’appeler. Quand il décroche, on est sur d’avoir son lot de vacheries, agrémenté de quelques analyses pertinentes.

Copé qui fait la tête à Fillon, c’est plus sérieux. Ils ne s’aiment guère. Un peu comme s’ils se voyaient rivaux pour 2017. Et il est indubitable que les militants ont plus applaudi le Premier ministre que le Secrétaire général de l’UMP. Pas vraiment un scoop, ni même une surprise. Arrogant comme pas deux, Copé ne se laisse pas tellement aimer : même quand il fait des blagues, on a l’impression qu’il vous gifle. Et bien qu’il fasse des efforts, on sent qu’il trouve tout le monde moins intelligent que lui. Pas étonnant qu’à l’applaudimètre, ça rende moins. Je me demande même si le but actuel de Copé est d’être populaire. Il va attendre de lancer sa candidature pour la présidentielle de 2017 pour essayer ça. Pouvoir de nuisance ? Pas nul, après tout, si Copé traîne les pieds ou fait du zèle, la campagne peut mal se passer. Mais a-t-il vraiment envie qu’on dise qu’il est coresponsable de la défaite ? Pouvoir d’occupation médiatique ? Immense, ça fait des jolies images, les sourires crispés.

Enfin, Rachida Dati trépignerait très fort pour être la candidate de l’UMP aux législatives dans le VIIème et aux municipales dans tout Paris. Il parait qu’elle embarrasse l’Elysée. Il semble plutôt qu’elle énerve à en croire les échos dans lesquels ses bons amis laissent entendre anonymement qu’il faut « qu’elle se méfie, à demander tout, tout le temps ». Bien. La presse l’oppose aussi souvent à Fillon qui aurait des vues sur les mêmes territoires, une fois Matignon derrière lui. Ne sont-ce pas pour l’instant purs fantasmes journalistico-militants ? En vérité, personne n’en sait rien. Ce qu’on sait c’est que Dati en veut, et que oui, elle peut être terriblement casse-pieds. Pouvoir de nuisance: je dirai nul, elle a encore moins d’amis et mille fois moins de féaux que Copé. Pouvoir d’occupation médiatique: immense, Dati est super à la télé et sur papier glacé.

Les querelles sont bruyantes à gauche, silencieuses à droite

Alors, combien de divisions ? Rien d’irréparable si on s’en tient aux faits. Mais – et c’est peut-être rassurant – de véritables fractures idéologiques, comme au PS et, tiens tiens, sur les mêmes sujets. Par exemple sur certaines options stratégiques qui arrivent dans deux jours à l’Assemblée, pour combler le déficit de la France et sauver le graal du Triple A. Mais même les députés qui préféreraient autre chose que des ravaudages de dernière minute n’auront pas le courage de gueuler longtemps et s’en tiendront, pour l’essentiel, à quelques petites phrases balancées dans les couloirs.

Bien sûr, Borloo et ses amis monteront au créneau. Et on va criera à la division de la droite, turlututu chapeau pointu. Là encore, relativisons, les centristes vont faire monter les enchères et tenter de se différencier, logique. La vérité, c’est que, hors de l’écime d’un week-end, la division est silencieuse à droite, alors qu’elle est bruyante à gauche. Question de rapport à l’autorité sans doute.

L’année passée, on nous a fait le coup du choc des titans, Bertrand/Copé, qui se passaient dans la douleur les commandes du parti majoritaire. Personne n’ignore qu’ils se sont toujours détestés, mais ça a amusé la galerie pendant trois jours, comme le probable remplacement de Fillon par MAM ou Borloo (encore que dans ce dernier cas, l’insoutenable suspense a traîné, souvenez-vous, c’était il y a un an). Pendant ce temps, on a raté les débuts de l’OPA idéologique de la Droite populaire sur le groupe majoritaire à l’Assemblée, et bien d’autres choses si ça se trouve. Là, je ne sais pas ce qu’on rate, mais on ne devrait pas tarder à le voir apparaître façon Lettre volée lors du débat budgétaire. Peu importe, puisqu’on vous dit que Rachida est à cran et Devedjian pas content.

M. Chatel, arrêtez le massacre !

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Entre les murs

François Hollande va « arriver » pour s’occuper des riches, qu’il n’aime pas. Nul besoin de l’attendre au Ministère de l’éducation nationale où la gauche la plus caricaturale est déjà bien installée, comme en témoignent les programmes d’histoire du collège et la directive récente sur l’enseignement des sciences de la vie et de la terre (SVT) en première. Bizarre. On croyait que Nicolas Sarkozy avait été élu pour que l’on enseigne à nouveau les bases de l’histoire de France, pour en finir avec la repentance, et, en matière de mœurs, avec le politiquement correct. Or les programmes d’histoire et la directive sur les SVT, concoctés par une Inspection générale et des directions où officient les mêmes personnages depuis trente ans, droite et gauche confondues, imposent une vision archéo-gauchiste, passablement ridicule, qui fait à juste titre tiquer nombre d’électeurs de droite, voire même les quelques enseignants républicains encore attachés à leur métier et à leurs disciplines, qui ne sont pas les moins indignés, comme le montre le site « L’école déboussolée ».

L’histoire d’abord. Les programmes d’histoire datent de 2008 mais vont s’appliquer en quatrième à la rentrée prochaine. Ils sont présentés dans le sabir inimitable de pédagos à la Meirieu, décervelés par des années d’IUFM : « démarches », « capacités », « objectifs », « repères ». Un bref extrait de l’arrêté ministériel pour en apprécier le style :
« à côté de la rubrique définissant les connaissances, la rubrique démarches précise des entrées dans le thème ou des études de cas qui permettent d’éviter l’exhaustivité en se fixant sur des objets précis, afin de faire acquérir aux élèves les connaissances et les capacités qui constituent les objectifs à atteindre. Une rubrique spécifique précise ces capacités. La connaissance et l’utilisation de repères y tiennent une place importante : il ne s’agit pas seulement de connaître des repères mais de leur donner un sens et de savoir les inscrire dans un contexte essentiel à leur compréhension. C’est ainsi que l’on en fera le support d’un véritable apprentissage et non un simple exercice de restitution. Par ailleurs les capacités «raconter » et « décrire » sont de nature à valoriser la qualité de l’expression écrite et orale des élèves.[1. Il faut dire que le Directeur général de l’enseignement scolaire qui a signé cette circulaire, Jean-Louis Nembrini, avait déjà commis en 2006 le très pataphysique et européen « socle commun de connaissances », également jargonnant : « Penser le socle en termes de compétences. Pour le Haut Conseil, il faut mettre l’accent sur la capacité des élèves à mobiliser leurs acquis dans des tâches et des situations complexes, à l’Ecole et dans la vie : le socle doit donc être pensé en termes de compétences. La notion de compétences figure déjà dans nos instructions officielles, en particulier pour l’enseignement des langues vivantes étrangères et le Brevet informatique et internet. Cette approche, qui se généralise parmi les pays développés, a été adoptée dans le projet de « cadre de référence européen » des huit « compétences-clés pour l’éducation et l’apprentissage tout au long de la vie », qui doit être prochainement soumis au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne »] ».

La maîtrise de ce charabia constitue désormais l’essentiel des « capacités » exigées des nouveaux enseignants.

Ce que l’on comprend très bien en revanche à la lecture de ces programmes est qu’il n’y aura plus de chronologie, mais des thèmes au choix à étudier, dans le plus grand désordre. Quasiment plus de Moyen-âge, plus de Clovis, plus de Saint Louis. Plus de Louis XIV, mais un thème très général sur « l’absolutisme ». Louis XV a totalement disparu. Plus de possibilité d’étudier l’affreux Napoléon bien sûr ; mais pas même l’Empire qui devient facultatif et ne peut être traité qu’autour des notions de « guerre » ou de « religions ». Et le Code Napoléon ? Plus d’étude chronologique et approfondie de l’histoire de la Révolution française, comme cela est très clairement précisé, sous le titre « démarches » : « On renonce à un récit continu des événements de la Révolution et de l’Empire ; l’étude se concentre sur un petit nombre d’événements et de grandes figures à l’aide d’images au choix pour mettre en mettre en évidence les ruptures avec l’ordre ancien ». Mais en revanche un « thème » entier et obligatoire portera sur les traites négrières, chapitre dont on peut imaginer avec quelle subtilité il sera traité, quand on sait comment a été accueilli par nos pédagogues le grand livre de l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau sur le sujet.

En revanche nos élèves de collège seront des grands spécialistes de sujets plutôt pointus, qui n’étaient pour l’instant guère étudiés qu’à l’Université, et encore. Il sera obligatoire d’étudier, sur dix pour cent du temps, en sixième « la Chine des Hans à son apogée », c’est-à-dire sous le règne de l’empereur Wu (140-87 avant J.-C.), ou « l’Inde classique aux IVe et Ve siècles », et, en classe de cinquième « Une civilisation de l’Afrique subsaharienne » parmi les suivantes : « l’empire du Ghana (VIIIe – XIIe siècle), l’empire du Mali (XIIIe- XIVe siècle), l’empire Songhaï (XIIe-XVIe siècle) » et surtout le « Monomotapa (XVe-XVIe siècle) », cher à Voltaire. Vite, rouvrir le Malet-Isaac ou acheter des livres comme celui de Dimitri Casali, qui va faire fortune à la rentrée en proposant un Altermanuel d’histoire de France.

Pour ce qui est des SVT et de la question du « genre », on peut apprécier la modernisation de l’Education nationale : les vieux gagas pédagos ont obtenu le renfort des partisans branchés du gender, sans doute à l’initiative de Richard Descoings, qui a fait de Sciences Po la base avancée des études sur le genre en France. Judith Butler et Luc Chatel même combat. Le thème 3A « Féminin, masculin » de la directive sur les sciences de la vie et de la terre l’explicite clairement sous le titre « Devenir femme ou homme » : « on saisira l’occasion d’affirmer que si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée ». L’identité sexuelle serait entièrement construite et le sexe biologique serait une pure contingence sans aucune conséquence sur le devenir « genré » de l’individu. D’où quelques perles dans les manuels scolaires chargés d’expliciter ces thèses : une jolie illustration est celle du manuel Hatier où l’on voit un adolescent perplexe devant des portes de toilettes homme ou femme. Il faudrait au reste ajouter qu’une telle séparation entre toilettes homme et femme est en elle-même discriminante[2. Autre détail, en général peu noté, dans cette directive, qui marque bien la convergence des constructivistes sociaux du gender et des psychologues comportementalistes qui gravitent dans les sphères ministérielles actuelles, une très jolie définition du plaisir, qu’il conviendra d’enseigner en première S : « Le plaisir repose notamment sur des phénomènes biologiques, en particulier l’activation dans le cerveau des « systèmes de récompense » ( ?)].

Malheureux professeurs de sciences de la vie et de la terre à qui est échu d’enseigner cette théorie qui n’a rien de scientifique, sauf à établir, comme les théoriciens du gender, que la biologie est toute entière « socialement construite ». Il aurait mieux valu sans doute, à tout prendre, repasser le/la bébé/e aux professeurs de philosophie, qui en ont vu d’autres. La protestation des enseignants est tout aussi véhémente que celle des catholiques, comme en témoigne le blog « L’école déboussolée », qui fait référence à la belle « Lettre aux instituteurs » de Jules Ferry, et dont la pétition a déjà recueilli 38.000 signatures.

Pour faire passer cette indigeste potion Luc Chatel n’a rien trouvé de mieux à la rentrée que de proposer de « faire revenir la morale » à l’école, et pour cela initier des « débats philosophiques » sur « le vrai et le faux ». On craint le pire.

Sauve qui peut (les mots)

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Certains jours, je me dis qu’il y a des mots sans défense qu’il faudrait protéger quand on les liquide en douce, et d’autres dont il faudrait laver l’honneur quand on en ternit le sens. Qui, « on » ? Les journalistes, bien sûr. De la radio, de la tévé, ceux qui griffonnent dans les gazettes.

Tous ces gens tellement chatouilleux sur leur déontologie parlent et écrivent sans le souci de la précision élémentaire. Ecoutez-les, lisez-les. Des professionnels du vague, de l’approximation, du cliché, du raccourci. Rien de plus logique : quand on fait métier d’informer le peuple, on s’exprime comme le peuple. Non pas le peuple dont une certaine littérature, de Céline à Alphonse Boudard en passant par Jean Meckert, a fait un sujet poétique ou romanesque. Mais le peuple réel, c’est-à-dire ces foules de types et de bonnes femmes qui s’engouent pour les messes planétaires du football, la Fête de la musique, la réussite ou la déchéance des traders, la grossesse d’une starlette, le spectacle de milliers de cadavres gisant au sol après un raz-de-marée, l’éruption d’un volcan, une guerre néocoloniale, que sais-je encore − bref, ce peuple qui se goinfre des « infos » ou de l’« actu » en continu jusqu’à atteindre l’obésité mentale et dont le langage se réduit à un lexique de sportif professionnel ou de commercial.[access capability= »lire_inedits »]

Public ou populaire ?

Reste à savoir si nous savons encore faire la distinction entre les termes « populaire » et « public ». « Public » est un mot en sursis. C’était jadis un adjectif utilisé pour qualifier la volonté politique d’administrer, au sein d’une nation, l’instruction, la santé, les transports, le courrier, le crédit et l’énergie. Les services publics n’étaient pas et ne sont pas des services populaires. Ils évoquent une forme de souveraineté confiée aux citoyens les plus éclairés d’un Etat − lesquels ne se soucient pas de plaire au peuple mais prioritairement, et quitte a être impopulaires, d’œuvrer pour l’intérêt général. A l’inverse, quand les démagogues s’attaquent aux pouvoirs ou aux services publics, ils le font au nom d’aspirations populaires.

Que demande le peuple ? La baisse des impôts. La chasse aux Roms. La réduction du nombre de fonctionnaires. Un jour, qui sait, le rétablissement de la peine de mort pour les pédophiles et les tueurs de policiers. Et qu’on ne vienne pas nous objecter que les populistes seraient les faux amis du peuple − victime quant à lui, selon ses vrais amis, de je ne sais quel « mensonge social ». La vérité est que le peuple fait ami-ami avec n’importe quel parti qu’il laisse parler en son nom pour peu qu’il trouve à traduire son mécontentement du moment – mécontentement faisant toujours suite à un enthousiasme imbécile. Quant au « mensonge social », Georges Darien, l’aristocrate de l’anarchie, dans Le Voleur, en avait dit l’essentiel : « Ses soi-disant victimes savent très bien à quoi s’en tenir et ne l’acceptent comme vérité que par couardise ou intérêt. »

Et puis, quoi ! Le mot « populaire » est laid. Le prononce-t-on en ma présence que se lève en moi l’idée peu ragoûtante d’un vil potage.

Où sont les philosophes ?

« Philosophe » : voilà un autre mot sali par la novlangue des medias. Il n’y eut jamais qu’un seul philosophe, qui n’était ni professeur, ni chercheur, ni auteur de livres : Socrate. Or, qu’est-ce qu’un philosophe pour le peuple ? Un intellectuel qui occupe deux emplois à mi-temps, l’un consacré à enseigner et à publier, l’autre étant réservé au journal et aux débats télévisés afin d’alerter l’opinion sur une cause morale à défendre, un engagement politique à suivre ou la meilleure manière de vivre une vie d’homme, intérieure et citoyenne. Un communicant en idéologie pour une classe moyenne pauvrement lettrée. Qu’on lise Platon et Xénophon relatant le procès de Socrate – condamné à mort, je le rappelle, non par un régime tyrannique, mais par une démocratie.

Imagine-t-on cet homme s’adresser au peuple sinon pour le bafouer ? D’aucuns, parmi ceux qui lisent ces lignes, se rappellent peut-être la séquence de ce film, Palombella Rossa, où l’on voit Nanni Moretti, hors de lui, gifler une petite journaliste inculte qui lui pose des questions farcies de mots passe-partout et de poncifs branchés : « Mais d’où sortez-vous ces expressions ? Mais comment parlez-vous ? Comment parlez-vous ? Les mots sont importants ! Les mots sont importants ! », lui rappelle-t-il en hurlant sa douleur.

Ah ! Claquer le beignet à un Fogiel, à un Ruquier, à une Ariane Massenet ! Quel amoureux de la langue réagirait autrement ? A moins que le découragement l’accable et qu’il se résigne à l’idée que Dieu n’a donné le Verbe aux humains que pour les jeter dans le malentendu et la confusion, et que les professionnels du verbiage ayant pris le pouvoir, Sa volonté est faite.[/access]

Toujours moins !

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image : Brintam (Flickr)

On va dans le mur. De l’extrême droite à l’extrême gauche, des bastions de l’orthodoxie au camp de l’« autre politique », des libéraux purs et durs aux étatistes forcenés, voilà au moins un point sur lequel tout le monde s’accorde. Sauf que personne ne sait vraiment à quoi ressemblera ce mur, et encore moins ce qu’on trouvera derrière. Vous, je ne sais pas, mais moi, quand on m’explique, même avec le talent et la lucidité de Jean-Luc Gréau, que « l’euro va éclater » ou qu’un « grand krach des marchés du crédit et des actions est redevenu possible », je comprends bien que ça ne va pas être marrant, mais mon imagination s’arrête là. Supposons, par exemple, que ces vilaines agences de notation profitent de notre sommeil et du décalage horaire pour priver la France de son « triple A » − pas celui des andouillettes qui, d’ailleurs, est quintuple, mais cette fichue note qui fait que plus on est pauvre, plus l’addition de la dette est salée −, nous réveillerons-nous dans un monde différent ?

Bien qu’on nous promette une crise encore plus violente que celle de 1929, je suppose que nous n’allons pas pousser des brouettes emplies de marks, ni même d’euros, et que nous ne serons pas sauvés par un « New Deal » planétaire ni même européen. À moins que ne se déroulent dans les coulisses des tractations dont nous ignorons tout, cette fois-ci, « l’Allemagne ne paiera pas » – sur ce point, le savoureux opéra-bouffe de Luc Rosenzweig en dit autant − et bien plus drôlement − que toutes les savantes analyses diplomatiques. Alors quoi ? Chômage ? Précarité ? Fins de mois difficiles ? Sans doute et même sans aucun doute mais là, nous sommes en terrain connu. Bien sûr, les apôtres de la mondialisation heureuse rappellent que, simultanément, des millions de Chinois, Brésiliens, Indiens et autres habitants de ces nouvelles Terres promises sont sortis de la misère au cours des deux dernières décennies, et que beaucoup trouveraient enviable la situation d’un pauvre français. Tout cela est sans doute vrai, au moins à moitié. Il leur reste à trouver des arguments pour convaincre les bons peuples que les pères doivent accepter que leurs fils mènent une existence plus difficile que la leur. Bien sûr, contrairement à ce que suggère notre titre, personne, même notre méchant Président, même les méchants banquiers, même les adeptes de la décroissance − dont Jacques de Guillebon pense qu’elle est la seule alternative à la décadence −, n’a fait de l’appauvrissement son cheval de bataille. Du reste, à en croire François Miclo – et pour ma part, je le crois – Guizot n’a jamais prononcé le fameux « Enrichissez-vous ! » devenu, dans nos imaginaires, le mot d’ordre de la droite orléaniste. En attendant, que nos gouvernants se proclament de droite ou de gauche n’y change pas grand-chose : on dirait bien que nous devons nous résigner à travailler plus et à gagner moins. En clair, à nous appauvrir.

Conformément à la sagesse talmudique, nous avons donc plus de questions que de réponses. Reste qu’on n’a pas besoin d’être diplômé en économie ou en finance pour comprendre que la crise est politique avant d’être économique et financière. Tous les citoyens de tous les pays européens le sentent : les dirigeants que nous élisons ont perdu la main. Jean-Pierre Chevènement, que nous sommes heureux d’accueillir dans ces colonnes, rappelle justement qu’ils se sont volontairement dessaisis de tous les outils qui leur permettaient d’agir sur le réel. J’ajouterai que nous sommes tous responsables : bien sûr, nous avons grogné contre Maastricht et refusé la Constitution européenne. Mais tant que le néo-libéralisme était synonyme d’écrans plats à bas prix et que la Bourse ressemblait une loterie gagnante pour tout le monde, bref que tout le monde espérait en croquer, on ne faisait pas tant de chichis sur les méfaits de « l’argent-roi » : rappelez-vous les années 1980, quand les traders étaient nos héros et les ouvriers de la sidérurgie licenciés des has-been. Où étaient les indignés d’aujourd’hui : à la FNAC ?

Quoi qu’il en soit, les commandes ne répondent plus. Ils se démènent, renflouant les banques un jour, luttant contre le feu en Grèce le lendemain, suggérant de rançonner les buveurs de Coca-Cola le surlendemain. Tout ça pour « rassurer les marchés », s’énervent Marc Cohen et Frédéric-Louis Fauchet. D’accord, ce n’est pas une ambition très exaltante. D’accord, il faut « changer le système », comme le répète Martine Aubry, sans nous expliquer toutefois comment elle compte le faire : à l’exception d’Arnaud Montebourg, les socialistes ne semblent pas plus décidés que les sarkozystes à rompre avec le dogme libre-échangiste. N’en déplaise à Georges Kaplan, qui brandit la vieille antienne « le protectionnisme, c’est la guerre », la concurrence déloyale et faussée que nous avons acceptée pour loi d’airain a certainement enrichi les classes possédantes du monde entier et laminé les classes populaires avant de s’attaquer aux classes moyennes. D’où le nouveau mantra, psalmodié, lui aussi, de la droite à la gauche : il faut, paraît-il, « faire payer les riches », ce qui, selon Jérôme Leroy, aura au moins l’avantage de leur rendre le sommeil. Admettons que ce serait moral. Personne, en tout cas, ne s’offusque que l’on stigmatise ainsi des personnes en raison de leur statut social. Si c’était la solution, on peut imaginer que même Nicolas Sarkozy – qui souhaite sans doute être réélu – s’y résoudrait. Et peut-être même Berlusconi qui, comme le relate Alberto Toscano, s’est empressé de faire disparaître de son plan d’économies les mesures touchant les couches les plus favorisées. Va donc, pour « faire payer les riches » puisqu’il paraît que nous souffrirons moins si nous savons qu’eux aussi souffrent un peu. Mais sachons que ça ne résoudra pas grand-chose : c’est que ces « salauds de riches » ne sont pas assez nombreux.

En attendant que le PS vienne sauver la France, je veux bien qu’on dise « Fuck les marchés ! », mais à condition qu’on me dise aussi, très concrètement, ce qu’on fera le lendemain quand lesdits marchés spéculeront contre la dette française. De même, on peut toujours, comme le camarade Philippe Cohen dans Marianne, ironiser sur « Sarkozy, le teckel de Merkel », mais à condition de savoir ce qu’on fera quand la crise éclatera. (On aimerait cependant que le Président se rappelle que l’Allemagne ne peut, pas plus que la France – et peut-être encore moins qu’elle – jouer les cavaliers seuls.)

Il ne s’agit pas, bien sûr, de se résigner à l’impuissance – ce qui reviendrait à renoncer à la démocratie. On ne voit pas pourquoi il serait impossible de règlementer les activités bancaires, d’interdire certaines opérations financières, de rééquilibrer le rapport de forces entre actionnaires et salariés ou de lutter contre le dumping social ou fiscal. Affaire de volonté, comme le dit Jean-Pierre Chevènement ? Certes, mais aussi affaire d’intérêts nationaux, de mentalités collectives, de démographie, d’anthropologie. « Ce que des hommes ont fait, les hommes peuvent le défaire », aime à répéter Henri Guaino. Surtout quand ces hommes sont les gouvernants des principales puissances mondiales. Le problème, c’est qu’après avoir fait tout ce qu’ils ont fait − le marché, l’Europe, la mondialisation financière −, ils ont jeté les clefs.
Eh bien, qu’ils les retrouvent ! Qu’on ne nous dise pas que les États ne peuvent rien faire contre le « pouvoir de la finance » parce que, si les États disparaissent, la « finance » n’exercera plus son pouvoir que sur un champ de ruines. Alors, on se prend à rêver d’un G 20 du volontarisme, à l’issue duquel nos gouvernants prendraient collectivement les mesures qui s’imposent et réaffirmeraient leur autorité : si nous avons choisi de périr ensemble, il est probable que nous ne sauverons qu’ensemble. J’accepterais alors qu’on me chante l’air de « l’union, c’est la force ». Sauf que cela n’arrivera pas. Nous risquons plutôt de découvrir que, non seulement il n’y a plus de pilote dans l’avion, mais qu’il n’y a plus d’avion. Attachez vos ceintures !

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Causeur Magazine 39 : faites des dettes, abonnez-vous !

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Après un été pourri sous la grisaille, Causeur dissèque les prévisions de rentrée anxiogènes qui vont avec. Comme dit la patronne dans son introduction, « on va dans le mur » et comme l’ajoute l’ami Basile, vous êtes cordialement priés de venir avec nous ! La destination, comment dire, ne fait pas vraiment rêver, mais vous serez en excellente et joyeuse compagnie, et c’est tant mieux, puisqu’on vous dit que vous n’avez pas le choix !

Ainsi vous trouverez dans ce numéro une interview de Jean-Luc Gréau qui va vous convaincre de courir illico à la banque clôturer votre PEA pour acheter des lingots et les enterrer sous deux mètres d’humus au fond du jardin. Mais ça tombe plutôt bien car l’une de vos bonnes résolutions de rentrée, c’était de bouger un peu plus, non ?
Après ces exercices revigorants, vous serez prêts à affronter Jean-Pierre Chevènement qui, plus optimiste que Jean-Luc Gréau, nous promet seulement du sang et des larmes !

Du sang, et du vrai, on en retrouvera encore dans le reportage de Paulina Dalmayer, où nos vrais combattants racontent leur vraie guerre en Afghanistan. Ce Causeur Magazine 39 vous parlera aussi de la Birmanie, du Sinaï, et d’une contrée encore plus mystérieuse et dangereuse : Saint-Germain-des-Prés et ses 654 romans de la rentrée.

Tout cela et encore plus (par exemple l’entretien réjouissant entre Basile de Koch et Michel Onfray) sera à vous, rien qu’à vous, si vous vous abonnez ou vous réabonnez (on clique ici), ou tout simplement si vous achetez ce numéro (ici). Allez, la fin du monde est proche dépensez sans compter !

Libye : Drôle de guerre civile

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Checkpoint à 60 km de Bani Walid (photo : Paulina Delmayer)

E. revient dans notre sous-bois avec deux plateaux de couscous, deux bananes, deux bouteilles d’eau fraîche et deux petites barquettes de jus de raisin. Cela fait plus de six heures que nous campons dans notre sous-bois à une soixantaine de kilomètres de Bani Walid, un des derniers villages où la résistance kadhafiste tient encore tête aux rebelles. « Les mouches à merde se sont barrées alors il y a de quoi manger », lance E. Je suis une mouche à merde, moi aussi. Et depuis qu’il a échangé son flingue contre un appareil-photo, E. aussi. Si nous sommes là, dans notre sous-bois à une soixantaine de kilomètres de Bani Walid, c’est précisément dans le but de décrire et de photographier la guerre. Une guerre juste contre un tyran détestable. Seulement, voilà, il se passe rien sur le front. Nous nous attendions au moins à entendre des déflagrations et apercevoir de la fumée à l’horizon, sinon à pouvoir arracher quelque témoignage aux blessés qui auraient dû arriver en nombre pour être secourus par les gars du Croissant rouge qui campent aussi ici, dans leur sous-bois de l’autre côté de la route. Mais il se passe rien. Nous n’entendons rien d’autre qu’une berceuse murmurée par le vent dans les cimes des arbres. De temps en temps les combattants qui ne combattent pas se mettent à crier « Allah Akbar » ou à tirer en l’air, voire à faire les deux, afin de maintenir les journalistes à distance raisonnable du théâtre des opérations. Personne ne sait, le commandant du check-point compris, quand il commencera à se passer quelque chose.

Nous ne connaissons pas la provenance du couscous et c’est sans doute mieux ainsi. J’offre ma portion à E. en échange de quoi j’obtiens une banane supplémentaire. « Depuis Beyrouth, je n’aime pas les journalistes. Un des nôtres était en faction dans le mirador quand une roquette lui a transpercé le cou. Dès le lendemain matin, les images du poteau d’où pendaient des morceaux de chair faisaient le tour du monde », me confie-t-il pour justifier une antipathie vieille de trente ans.

Nous ne sommes plus qu’une petite trentaine de mouches à merde restées sur place, en espérant qu’il se passera quelque chose avant demain matin. Trois voitures civiles parviennent à passer le check-point ce qui met la consœur de Reuters en colère : « Comment se fait-il que vous laissiez passer des villageois tandis que nous poireautons ici comme des débiles depuis plusieurs heures ? ». Le chef du check-point peine à lui donner une réponse satisfaisante. Apparemment, la décision de laisser passer ou non une voiture émane d’un autre check-point, plus proche du front sur lequel il ne se passe rien, mais qui serait gardé par un commandant plus important. Une journaliste travaillant pour une chaîne de télé américaine se mêle de la conversation. « Vous vivez dans un pays libre, pas vrai ? Alors, vous êtes libre de prendre la décision de laisser passer des journalistes en n’engageant que votre propre responsabilité ! ».

« Comment se fait-il que vous laissiez passer des villageois tandis que nous poireautons ici comme des débiles depuis plusieurs heures ? » (photo : Paulina Delmayer)

Mario de TéléSUR, une chaîne espagnole dont je n’ai jamais entendu parler mais qui, à en juger par son équipement – mini-parabole, téléphones satellites, gilets pare-balles et j’en passe – dispose de grands moyens, commence à organiser une rébellion contre la rébellion, en invitant nos chauffeurs à positionner les voitures en file indienne devant le check-point. « Quand même, si on démarre tous ensemble, ils ne vont pas nous tirer dessus, non ? », s’agite-t-il au milieu du troupeau des preneurs de son. Se heurtant les uns les autres avec leurs perches, ces derniers ne peuvent toutefois pas se résoudre à appuyer l’initiative de Mario. Il faut croire que la décision de déplacer les véhicules de leurs équipes ne leurs appartient aucunement. Qui sait, peut-être n’appartient-elle même pas aux envoyés spéciaux, les stars incontestables de notre essaim, dont le montant exorbitant de l’assurance-vie serait inversement proportionnel à leur autonomie décisionnelle. Au final, personne ne bouge. Et il se passe rien sur le front. Une fille blonde et mince, portant une caméra à l’épaule, revient vers le commandant du check-point, mais elle s’y prend mal : « Vous savez aussi bien que moi qu’une équipe d’Al Jazeera est déjà sur place ainsi que celle de CNN. Alors pourquoi nous, les Français, ne pouvons-nous pas avancer ? Nous vous avons aidés, alors aidez-nous ! ». Les Britanniques ricanent dans leur coin tandis qu’un Japonais demande qu’on lui explique ce qui se passe. « Rien, rien… il se passe rien », résume E.

Deux événements majeurs se produisent pourtant, simultanément et de façon totalement imprévisible. Une camionnette frigorifique venue du nord, de la direction de Tarhuna, fonce vers notre check-point tandis que depuis le sud, de la direction de Bani Walid, un pick-up blanc aux vitres teintées avance lentement, un grand drapeau libyen peint sur le capot. Les deux véhicules s’arrêtent à peu près au même moment ce qui nous force, nous les mouches à merde, à choisir celui des deux vers lequel se précipiter. E. opte pour la camionnette, tandis que je m’approche du pick-up blanc. Nous nous retrouvons une dizaine de minutes plus tard, E. avec une nouvelle provision de vivres et de l’eau fraîche, moi avec une information provenant d’une source fiable et se résumant au constat que rien ne se passera sur le front dans les heures à venir. Le Docteur Kanshel, conseiller des rebelles, et par ailleurs originaire de Bani Walid, fait une déclaration officielle à ce sujet : « Les négociations avec les forces de Kadhafi se poursuivent. La situation est difficile mais nous faisons tout pour épargner les vies humaines. Je ne peux rien vous dire de plus précis pour le moment. » Les Américains et les Britanniques font leur live, pour pouvoir plier bagages et décamper au plus vite vers Tripoli. Nous ne sommes plus qu’une dizaine à attendre.

La nuit tombe sur notre sous-bois. E. part pour récupérer de vieux cartons, histoire de dormir sur un semblant de matelas. Nos voisins les plus proches, les rebelles des villages alentour, font un feu, préparent leur couchage, graissent leurs armes. « Hello, welcome ! Tea ? You want some tea ? » J’accepte volontiers. E. revient et une discussion s’engage entre hommes sur la façon de tenir son arme, nettoyer le canon, fabriquer un écouvillon et aussi, bien évidemment, sur le football. La veille la Libye a battu le Mozambique 1 – 0. « Tu veux du thé toi aussi ? ». E. prend un verre. « Alors, il est bon notre thé ? ». E. confirme, « Oui, il est fort, j’aime le thé fort. ». Les hommes sourient. « T’es un vrai Libyen, toi. Les Libyens aiment le thé fort. ». Nos voisins sont informaticiens, profs d’école, commerçants. Certains d’entre eux ont suivi la rébellion depuis ses débuts. Maintenant ils attendent. « Les gars de Kadhafi ne nous font pas confiance. Ils pensent qu’on va les tuer au lieu de les juger. C’est vrai que certains ont plusieurs morts sur la conscience et ne méritent pas de vivre. Mais ils sont malgré tout libyens comme nous. Et puis, il faut éviter que la Libye devienne l’Irak. C’est l’objectif de Kadhafi. Ce n’est pas le nôtre. » Nous partageons une pastèque et discutons de l’avenir. Parce que, pour l’instant, il ne se passe toujours rien sur le front.

Le prix du soda

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C’est en 1977 que Murray Edelman publie Political language, words that suceed and policies that fail où il se propose de comprendre comment les pauvres se font avoir par les experts en économie. Le titre est un peu pompeux, mais on ne peut pas dire que le sujet soit inintéressant.

Voici les trois étapes à suivre pour mystifier le petit peuple :

1) Pour commencer, chaque crise doit être présentée comme quelque chose de fracassant. La comparer avec le krach de 29 est une bonne chose. Mettre la science économique (surtout la plus absconse) au service d’un constat simplissime (c’est ça, ou le retour de la guerre en Europe) est un excellent procédé auprès des gens impressionnables. D’une façon générale, tout ce qui peut préparer les plus faibles à payer plus d’impôts par la dramatisation de l’enjeu vaut de l’or (page 45).

2) Frapper les plus faibles, c’est bien. Faire en sorte que ces mesures aient l’air incroyablement courageuses, c’est mieux. Il est très important que les fautifs passent pour des hommes d’Etat, et, qui plus est, pour des hommes d’Etat courageux (page 46).

3) En économie, tout est affaire de vocabulaire. La situation alarmante du riche qui ne peut plus s’enrichir est une crise. La situation alarmante du chômeur qui ne trouve pas de travail, en revanche, est un problème de société. Si la première appelle des mesures urgentes (hausse de la TVA immédiate), la seconde est un sujet à l’étude (page 47)

Merci pour toutes ces précisions, Jacob Murray Edelman. Sache que le prix du soda que je lève en ton honneur va doubler d’ici peu.

Political Language: Words That Succeed and Policies That Fail

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La nuit la plus courte

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photo : scotthuckphoto (Flicker)

A mon réveil, je songeais a cette recommandation de Jacques Chardonne a son cadet et ami d’alors, Roger Nimier : « Écrire peu. Dormir beaucoup », recommandation que j’ai suivie à la lettre. Cette dernière nuit, pourtant, a été brève. Pendant que je dinais dans un restaurant chinois avec un ami − nous parlions de l’importance des perversions dans le développement intellectuel −, je sentais mon portable vibrer dans ma poche. Je savais qui m’envoyait des SMS et je pressentais que la nuit, en dépit de la canicule, serait brève. Je savais aussi que j’hésiterais à rejoindre dans son studio cette femme dont l’image me poursuivait depuis des années. Je savais, bien sûr, qu’au dernier instant elle me téléphonerait pour me dire qu’il était tard, qu’elle était déjà assoupie, qu’il valait mieux remettre à demain… Plus elle me dissuaderait, plus ma résolution serait inébranlable.

Tout se passa comme prévu[access capability= »lire_inedits »] : elle m’accueillit dévêtue, m’enleva aussitôt ma chemise, se serra contre moi. Les années avaient passé, mais elle demeurait à mes yeux, ce sweet yellow bird, cette adolescente délurée qui entrait et sortait de ma vie avec une désinvolture et une grâce qui m’amenaient parfois à penser qu’elle aurait pu être, qu’elle était sans doute la ≪ femme de ma vie ≫, expression stupide qui signifiait que, quoi qu’il arrive, je n’aurais jamais cessé de la désirer.

L’amour, une duperie réciproque

Plus rien n’importait maintenant que la douceur complice de nos étreintes, la chaleur étouffante s’accordait à la transpiration de nos corps. Nous nous buvions littéralement l’un l’autre. Lorsqu’elle s’endormit − et je ne connais pas de spectacle plus émouvant que celui d’une femme qui, après s’être abandonnée a son amant, glisse dans le sommeil –, je me rhabillai et regagnai mon antre de la rue Oudinot.

Rien ne s’était passe que je n’attendisse, mais j’éprouvais un tel bonheur a avoir une fois encore, et peut-être pour la dernière fois, perçu à travers les vibrations de La nuit la plus courte son corps l’offrande de son âme, que j’en oubliai ma fatigue. Quoi qu’il arrive, elle avait été, elle était, elle serait à moi. Nous n’avions pas pris la moindre précaution… elle par amour, moi parce que j’étais persuade que je ne ferais pas de vieux os. Nous étions le 28 juin. Le 22 septembre, j’atteindrai mes 70 ans. Je ne jugeais pas très fortiche de dépasser cette échéance.

Pénétrer, même à pas de loup, dans cette contrée qu’on appelle la vieillesse et où il n’y a plus rien a attendre, sinon quelques humiliations inédites et le bon vouloir de l’ange de la mort, me tentait modérément. « Dormir beaucoup. Écrire peu. » Le lecteur me pardonnera d’avoir fait exactement le contraire. Mais il fallait bien commencer ce journal d’un nihiliste heureux par le récit de cette nuit invraisemblable et pourtant véridique. Invraisemblable, car rien n’est plus contraire à mon caractère qu’un amour aussi violent après un quart de siècle. Et véridique, car mon parti-pris quand j’écris est de rendre compte avec le plus de précision possible ce que j’ai réellement vécu. A quoi bon d’ailleurs écrire, si c’est pour travestir ses sentiments et tromper son monde ? Ce que j’ai vécu cette nuit du 28 juin est peut-être insignifiant, mais le coucher sur le papier prolonge mon plaisir, même si par ailleurs j’ai la certitude que l’amour est une duperie réciproque. La volupté, elle, en revanche, ne trompe jamais.[/access]

Israël – Turquie, ça rame à nouveau

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Il y a seize mois, avec l’affaire de la flottille, la Turquie effectuait un retour spectaculaire sur la scène moyen-orientale, Ankara se transformant du jour au lendemain en héros de la cause palestinienne. La vague d’indignation qui suivit la mort de neuf citoyens turcs dans l’arraisonnement du Mavi Marmara, le bateau amiral de la flottille, permit au premier ministre Erdogan de battre des records de popularité dans le monde arabo-musulman.

À Gaza, on prénommait des nouveau nés Erdogan pendant qu’à Tripoli, un certain Mouammar Kadhafi lui discernait le « prix des droits de l’homme » (sic). Grâce au succès de la provocation préparée par l’ONG turque IHH, Ankara accentuait son rapprochement avec l’Iran et la Syrie et reconquérait ainsi le terrain précipitamment abandonné par Istanbul il y a un siècle.

Douze mois plus tard, le magnifique édifice géostratégique turc se fissure. A Tripoli, Erdogan devra batailler pour se refaire une virginité auprès des nouveaux maîtres de la Libye tandis qu’en Syrie, le pouvoir vacillant de l’ancien allié Assad est devenu une menace pour la stabilité de la région. Dans ce pays en voie de libanisation, le gouvernement turc redoute l’éventualité d’une guerre civile qui mettrait le feu à ses frontières. Un malheur n’arrivant jamais seul, la crise syrienne met également à l’épreuve les relations entre Ankara et Téhéran, soutien indéfectible d’Assad.

Alors que la guérilla kurde reprend, cette série de revers diplomatiques pousse l’islamo-nationaliste Erdogan à envenimer ses relations avec Israël. Mais après l’échec du cru 2011 de la flottille, le plat semble réchauffé et la ficelle un peu grosse.

Cette fois, Ankara a saisi le prétexte du rapport d’une commission d’enquête de l’ONU pour relancer l’affaire de la flottille. Lesdits enquêteurs ont d’ailleurs été conjointement choisis par la Turquie et Israël, qui n’étaient pas très chauds pour constituer une commission d’investigation. En Turquie comme dans l’Etat hébreu, on sait en effet qu’une enquête ne sert à rien puisqu’Israël est automatiquement coupable aux yeux des opinions publiques arabes. La Turquie ayant déjà gagné la bataille de la communication, elle n’avait aucune raison de prendre des risques inutiles. A Tel Aviv, où on n’attend pas grand-chose de l’ONU, le gouvernement israélien souhaitait tout simplement tourner la page d‘une histoire où il n’a que des coups à prendre.

C’est finalement sous la pression de leurs alliés communs que cette instance dirigée par l’ex-premier ministre néo-zélandais Jeffrey Palmer a été lancée par la Turquie et Israël. A la surprise générale, la commission Palmer a produit un travail honnête. Depuis quelques mois, on sait que le rapport confirme la légalité et la légitimité du blocus maritime israélien sur Gaza – et approuve donc l’arraisonnement de ceux qui tentent de le forcer. Ainsi, le rapport Palmer qualifie le blocus de « mesure de sécurité légitime pour empêcher des armes d’entrer à Gaza par la mer et « sa mise en œuvre (…) conforme au droit international» alors qu’il épingle les organisateurs turcs de la flottille pour avoir « agi imprudemment » . La commission dit même se poser de graves questions « à propos de l’attitude, de l’identité véritable et des objectifs » de l’IHH. Quant au gouvernement turc, ses efforts pour désamorcer la provocation de l’IHH ont été jugés insuffisants. Preuve de cette absence de volonté, l’été dernier, lorsqu’Ankara voulut marquer une inflexion passagère de sa politique étrangère, il fit déjouer l’embarcation d’une nouvelle flottille.

Certes, ce même rapport critique sévèrement l’usage excessif de la force déployé par les commandos de Tsahal. Tout en admettant que les militaires israéliens se heurtaient à une «  résistance organisée et violente de la part d’un groupe de passagers », leur réaction a été jugée  » excessive et déraisonnable ».

Globalement, le rapport Palmer constitue un gros revers pour une diplomatie turque. Récemment convertie à la cause palestinienne, elle apporte comme un dot un document soutenant la position israélienne sur la légalité du blocus de Gaza, mauvais calcul dénoncé par le chef de l’opposition turque. Israël se montrait, bien évidement, prêt à accepter les recommandations de la commission Palmer : exprimer des regrets puis indemniser les victimes de l’assaut ainsi que leurs familles. Mais pour la Turquie, embarrassée par son opinion publique et les positions anti-israéliennes d’Erdogan, il n’était pas question d’en rester là. Malgré son engagement officiel à respecter le rapport et ses conclusions, Ankara exigeait obstinément des excuses israéliennes ainsi que l’arrêt du blocus – maritime et terrestre – sur Gaza.

Autrement dit, les Turcs ont fait une proposition qu’Israël ne pouvait que refuser. En dépit de la faiblesse de ses arguments, la Turquie n’a pas diminué ses exigences. Après des mois de reports, le rapport Palmer a enfin été officiellement remis au secrétaire général de l’ONU, ce qui a réouvert les hostilités publiques entre Israël et la Turquie. Ankara a donc rejeté le rapport d’enquête et gelé ses accords militaires bilatéraux avec Israël. En plus, non content d’annoncer une visite d’Erdogan à Gaza, le gouvernement turc menace d’envoyer sa marine « assurer la libre navigation du bassin oriental de la méditerranée ».

En Israël, deux écoles s’affrontent. Certains estiment que les relations stratégiques avec la Turquie doivent l’emporter sur la fierté israélienne. Au nom du pragmatisme, ils recommandent d’accepter les conditions d’Ankara. D’autres leur objectent qu’il ne s’agit pas d’une simple question de fierté nationale mais que la politique israélienne vis-à-vis de Gaza est en jeu. Ils disposent d’un argument solide : Ankara étant fermement déterminé à s’éloigner d’Israël dans le nouveau contexte régional, l’Etat hébreu n’aurait aucun intérêt à battre sa coulpe. Selon eux, le retour à la normale promis par les Turcs n’est qu’un mirage. En fait d’excuses, Ankara attendrait le premier prétexte venu pour « punir » Israël, qui perdrait alors le gain symbolique du précieux rapport Palmer. Notons qu’en cas de compromis israélo-turc, l’ONU s’est engagée à enterrer ce rapport en en faisant un « non paper ». Que la seconde analyse l’emporte en Israël n’étonnera donc personne.

La Turquie sera donc applaudie pour sa fermeté face au « petit Etat de merde » mais dans certains endroits l’ovation risque de manquer un peu d’enthousiasme. En Syrie par exemple, on pourrait se demander pourquoi tandis que l’ambassade turque à Tel Aviv, à moitié vide, sera dirigée par un deuxième secrétaire, son excellence l’ambassadeur Ömer Önhon, continuera à représenter son pays auprès de Bachar el-Assad.

Et mourir de jouer…

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C’est à ce genre de choses qu’on mesure à quel point notre époque devient d’une étonnante stupidité et surtout, montre beaucoup moins d’élégance et de grandeur dans des débordements qui ont toujours existé. A part Paul Morand, dans Hécate et ses chiens, peu d’écrivains se sont intéressés à ces femmes attirées par les adolescents.

Le phénomène existe pourtant et l’on se souvient de l’affaire Gabrielle Russier, cette professeur de philo qui se suicida après le scandale provoqué par ses amours avec l’un de ses élèves. Cela donna à André Cayatte l’occasion de faire un solide film à thèse qualité France comme il en avait l’habitude, à Charles Aznavour de chanter l’inoubliable « Mourir d’aimer » et au président Pompidou de citer, de manière improvisée, Paul Eluard pendant une conférence de presse.

Un fait divers semblable vient de se produire quarante ans plus tard entre une femme de trente trois ans et un ado de 15 ans. Ils n’ont pas éprouvé une attirance irrésistible l’un pour l’autre en discutant du Banquet de Platon mais en jouant en ligne à Call of duty, la star des jeux de guerre en vidéo et en chattant sur MSN. Les parents du mineur ont porté plainte. On attend donc le film de Luc Besson, la chanson de Justin Bieber et une citation présidentielle de Luc Ferry sur l’amour. Le pire, sans doute, dans cette histoire, c’est que les deux tourtereaux ne se sont jamais rencontrés dans la vie réelle et que tout s’est limité à quelques photos dénudées. O tempora, o mores !

Mauvais Pastiche à Marseille

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la boutique du campus UMP 2011 (image : UMP Photos)

À écouter les radios et les télés depuis deux jours, on a l’impression que la guerre civile est déclarée à l’UMP et que le « campus » du parti majoritaire, jamboree pour jeunes militants à T-shirts ridicules qui s’est tenu à Marseille ce week-end, s’est mué en bataille de la Marne. Et que Fillon a été plus applaudi que Copé, et que Raffarin a fait du boudin pour une histoire de TVA (finalement mort-née) sur le Futuroscope. Et que Devedjian a dit dans la presse qu’il avait des doutes sur le pré-programme présidentiel, sans oublier Rachida Dati qui ne lâche rien sur la Mairie de Paris, bref, l’enfer en plus chaud.

Un beau bordel à neuf mois de la présidentielle, soulignent donc en chœur les commentateurs avisés. Comme si face au PS qui se serait déchiré à la Rochelle, « en dépit d’une photo de famille avec tous les candidats à la primaire » (dans le texte), il fallait absolument proclamer que la droite est en lambeaux pour les mêmes raisons. Voici donc venu le temps du parallélisme des formes politiques, un peu comme si l’équité prônée par le CSA avait dégénéré en traitement identique pour les deux camps.

Pourtant il y avait mieux à faire à Marseille que ce mauvais pastiche de la Rochelle, car la droite majoritaire est bel et bien balkanisée. Mais pas pour les raisons énoncées dans les médias. Malgré les petites grognasseries qui ne manqueront pas d’apparaître dans les semaines à venir, elle devrait s’aligner comme un seul homme derrière Nicolas Sarkozy, qui même aux tréfonds de la popularité, reste la meilleure chance de victoire à la présidentielle donc l’assurance – ou en tout cas l’espoir raisonnable – pour un paquet d’élus, fussent-ils chafouins, de retrouver un siège de député en juin prochain.

Jean-Pierre, François, Jean-François, Rachida et les autres : combien de divisions ?

Mais passons les divisions en revue. Raffarin, vexé, joue les rebelles car le Président aurait eu des mots durs à son endroit et qu’en plus on voulait taxer son parcs d’attraction. Il aurait même menacé de ne plus aller au petit déjeuner rituel de la majorité – quelle terrible menace ! Avant de revenir sur sa décision et, à Marseille, d’animer comme si de rien sa table ronde sur la crise financière. La belle affaire ! Alors certes, Raffarin, a été Premier ministre de la France (si, si). Il doit peser un peu au Sénat (oui, oui) et dans la Vienne. Mais quelle est la force de frappe réelle de Raffarin? Qui connaît Monsieur Raffarin, à part ses électeurs et poitevins et quelques amis députés des Républicains sociaux (ou un truc approchant) ? Pouvoir de nuisance ? Quasi nul. Pouvoir d’occupation médiatique? Assez grand. Au moins toute la journée du samedi.

Venons-en au cas Patrick Devedjian. Lequel ne cache pas qu’il est en fort mauvais termes avec le chef de l’Etat, surtout depuis que celui-ci s’est mis en tête de faire régner son fils sur les Hauts de Seine. Il critique le non-projet de l’UMP ? C’est un non-événement, il a dit bien pire depuis trois ans, y compris lorsqu’il était ministre de la Relance. Pouvoir de nuisance ? Sans doute non nul, mais autolimité car Devedjian n’a aucune envie de prendre la tête d’une croisade anti-sarkozyste. Pouvoir d’occupation médiatique ? Limité aussi, encore que les journalistes n’hésitent jamais à l’appeler. Quand il décroche, on est sur d’avoir son lot de vacheries, agrémenté de quelques analyses pertinentes.

Copé qui fait la tête à Fillon, c’est plus sérieux. Ils ne s’aiment guère. Un peu comme s’ils se voyaient rivaux pour 2017. Et il est indubitable que les militants ont plus applaudi le Premier ministre que le Secrétaire général de l’UMP. Pas vraiment un scoop, ni même une surprise. Arrogant comme pas deux, Copé ne se laisse pas tellement aimer : même quand il fait des blagues, on a l’impression qu’il vous gifle. Et bien qu’il fasse des efforts, on sent qu’il trouve tout le monde moins intelligent que lui. Pas étonnant qu’à l’applaudimètre, ça rende moins. Je me demande même si le but actuel de Copé est d’être populaire. Il va attendre de lancer sa candidature pour la présidentielle de 2017 pour essayer ça. Pouvoir de nuisance ? Pas nul, après tout, si Copé traîne les pieds ou fait du zèle, la campagne peut mal se passer. Mais a-t-il vraiment envie qu’on dise qu’il est coresponsable de la défaite ? Pouvoir d’occupation médiatique ? Immense, ça fait des jolies images, les sourires crispés.

Enfin, Rachida Dati trépignerait très fort pour être la candidate de l’UMP aux législatives dans le VIIème et aux municipales dans tout Paris. Il parait qu’elle embarrasse l’Elysée. Il semble plutôt qu’elle énerve à en croire les échos dans lesquels ses bons amis laissent entendre anonymement qu’il faut « qu’elle se méfie, à demander tout, tout le temps ». Bien. La presse l’oppose aussi souvent à Fillon qui aurait des vues sur les mêmes territoires, une fois Matignon derrière lui. Ne sont-ce pas pour l’instant purs fantasmes journalistico-militants ? En vérité, personne n’en sait rien. Ce qu’on sait c’est que Dati en veut, et que oui, elle peut être terriblement casse-pieds. Pouvoir de nuisance: je dirai nul, elle a encore moins d’amis et mille fois moins de féaux que Copé. Pouvoir d’occupation médiatique: immense, Dati est super à la télé et sur papier glacé.

Les querelles sont bruyantes à gauche, silencieuses à droite

Alors, combien de divisions ? Rien d’irréparable si on s’en tient aux faits. Mais – et c’est peut-être rassurant – de véritables fractures idéologiques, comme au PS et, tiens tiens, sur les mêmes sujets. Par exemple sur certaines options stratégiques qui arrivent dans deux jours à l’Assemblée, pour combler le déficit de la France et sauver le graal du Triple A. Mais même les députés qui préféreraient autre chose que des ravaudages de dernière minute n’auront pas le courage de gueuler longtemps et s’en tiendront, pour l’essentiel, à quelques petites phrases balancées dans les couloirs.

Bien sûr, Borloo et ses amis monteront au créneau. Et on va criera à la division de la droite, turlututu chapeau pointu. Là encore, relativisons, les centristes vont faire monter les enchères et tenter de se différencier, logique. La vérité, c’est que, hors de l’écime d’un week-end, la division est silencieuse à droite, alors qu’elle est bruyante à gauche. Question de rapport à l’autorité sans doute.

L’année passée, on nous a fait le coup du choc des titans, Bertrand/Copé, qui se passaient dans la douleur les commandes du parti majoritaire. Personne n’ignore qu’ils se sont toujours détestés, mais ça a amusé la galerie pendant trois jours, comme le probable remplacement de Fillon par MAM ou Borloo (encore que dans ce dernier cas, l’insoutenable suspense a traîné, souvenez-vous, c’était il y a un an). Pendant ce temps, on a raté les débuts de l’OPA idéologique de la Droite populaire sur le groupe majoritaire à l’Assemblée, et bien d’autres choses si ça se trouve. Là, je ne sais pas ce qu’on rate, mais on ne devrait pas tarder à le voir apparaître façon Lettre volée lors du débat budgétaire. Peu importe, puisqu’on vous dit que Rachida est à cran et Devedjian pas content.