Le sermon du Père Plenel


Le sermon du Père Plenel

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En 1829, des adeptes de Saint-Simon s’établirent à Ménilmontant pour créer une communauté selon les préceptes de leur mentor, qui dégénéra en secte mystique, appelée « Nouveau Christianisme ». Quelques siècles plus tard, un autre prêcheur a convié ses disciples sur les pentes de l’ancien faubourg parisien. Edwy Plenel, le gourou de Mediapart, patronnait une soirée-débat au théâtre de la Colline, lundi 19 mai, sur le thème : « Du « mariage pour tous » à « la-théorie-du-genre », nouveaux clivages, alliances nouvelles ».

L’objectif était de faire un bilan des débats de l’an passé, et d’analyser la mobilisation hostile aux réformes sociétales. La date de la célébration était choisie pour coïncider avec l’anniversaire du vote de la loi Taubira sur le mariage homosexuel, le 17 mai 2013. Autour de Plenel, officiaient Houda Asal, de l’Université McGill, spécialiste des inégalités sociales, Céline Béraud, de l’Université de Caen, experte en « fait religieux », et Éric Fassin, de l’Université Paris 8, sociologue, et militant LGBT décomplexé.

Devant un public nombreux, plutôt grisonnant et bobo, le Père Edwy Plenel prêcha fougueusement. En guise d’action de grâce, il loua le progrès historique indéniable que représentait la légalisation du mariage gay. Pour l’exhortation, il s’alarma de la montée de la réaction, « homophobe, raciste, antisémite ». La situation justifiait une telle soirée, afin de préparer la riposte. Pour illustrer son propos, il déclama une citation de Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ».

Les « monstres ». Voilà l’adversaire nommé. « Avez-vous vu, Mesdames, les monstres de la mi-janvier, qui manifestèrent contre l’avortement ? Ce sont les mêmes qui s’opposaient au droit de vote des femmes, à la contraception… Ce ne sont que les poupées gigognes de notre ennemi inchangé : le conservatisme ». Le ventre de la bête est encore fécond, et Plenel ne craint pas le formol, lorsqu’il désigne l’origine du mal : « l’Action française ». Oui, vous avez bien lu. « Ce laboratoire idéologique de la réaction,  hélas non dénué de talent, qui poursuit son travail de subversion ».

Succédant le prédicateur en chaire, l’experte en fait religieux se lança dans un exposé démontrant que l’Eglise catholique avait joué un rôle moteur dans la mobilisation de l’an dernier, les autres cultes et les « athées dévots », sympathisants de son message, s’étant ralliés à ses arguments anthropologiques, et non religieux. Elle déplora l’absence des « catholiques d’ouverture » dans le débat. Aussitôt, le Père Plenel nomma Jean-Pierre Mignard, « avocat de Mediapart », qui a racheté Témoignage Chrétien : « lui au moins est fidèle à la Parole de Dieu, ‘’Qu’as-tu fais de ton frère’’ ! »

Vint le tour de Houda Asal, qui annonça parler au nom de la communauté musulmane. À l’entendre, contrairement aux catholiques, tous unis contre le mariage gay, les musulmans seraient plus « divers », plus « en retrait ». Elle minimisa la portée des Journées de Retrait de l’Ecole initiées par Farida Belghoul, pour protester contre la théorie du genre. Elle déplora enfin l’islamophobie, qui, selon elle, accompagnait la réaction conservatrice anti-mariage gay. Elle se plaignit enfin que le clivage droite-gauche était actuellement brouillé par ces sujets : « vite, que la gauche redevienne la gauche, et la droite, la droite, qu’on s’y retrouve ! »

Quant à Éric Fassin, rompu à l’exercice des colloques mondains, il toisa l’assistance avec gourmandise et commença son sermon par une plaisanterie : « la banlieue est bien descendue à la Manif Pour Tous : c’était Versailles ! ». Effet garanti. S’ensuivit la dénonciation de la vision de l’homme issu du catholicisme, coupable d’avoir engendré un racisme biologique et « naturaliste ». Il termina sur un mot grave : « nous sommes dans les années 30 ». La solution ? « Réunir des publics, comme ce soir, peser dans le débat ».

Les prédications terminées, le public fut invité à participer à l’élaboration de la Sainte doctrine. Trois dames d’un certain âge tinrent à se présenter comme « sociologues » et « féministes ». Une autre précisa qu’elle vient du XIXe arrondissement, « quartier populaire », où s’était déroulée une attaque homophobe d’une violence inouïe : des autocollants Manif Pour Tous furent trouvés sur la voie publique. Par souci de parité, Plenel donna équitablement la parole à des hommes : le premier s’empara du micro pour se livrer à une charge contre l’Union nationale des associations familiales (UNAF), opposée au mariage gay l’an dernier, qui représente selon lui un « reliquat du pétainisme ». Le second demanda benoîtement si le débat sur la théorie du genre n’est pas le même que celui qui oppose créationnistes et darwinistes aux Etats-Unis, ce à quoi Éric Fassin opina du chef.

La messe allait être dite, lorsqu’un jeune téméraire du public demanda pourquoi les intervenants n’avaient pas évoqué la PMA et la GPA, qui jouèrent pourtant un rôle de repoussoir contre la loi Taubira. « J’ai manifesté à deux reprises l’an dernier : contre le Traité d’austérité européen, et avec la Manif Pour Tous. Pour moi, c’est le même libéralisme à l’œuvre, qui menaçait avec la PMA et la GPA ce qu’il y a de plus immatériel, la vie, l’enfant. Comment des gens de gauche peuvent-ils défendre qu’on puisse vendre son enfant ? »

Se sentant visé, Éric Fassin fit huer le fâcheux par une partie de la salle, tandis que l’autre demeurait dans un silence gêné. Il déclara qu’il fallait distinguer le marché, et les « droits », et assura que l’avenir était à la GPA éthique, « dans le cadre familial ».

Le prédicateur moustachu ramena le calme, et le sujet. Il déclara que la gauche, si elle était réellement courageuse, eût voté, avec le mariage gay, le droit de vote des étrangers, pour ne pas discriminer les « quartiers ». « Des droits ! Des droits pour les musulmans, pour les ouvriers, pour les chômeurs ! Des droits ! Des droits ! ». Ainsi soit-il.

Sur le parvis du théâtre de la Colline, les discussions allèrent bon train. On s’aperçut que pendant deux heures, pas un seul des prêcheurs n’avait employé le mot « démocratie ». Sans doute le fait que des centaines de milliers de citoyens aient manifesté l’an dernier en allant contre un progrès fondamental de l’humanité suffisait à les priver de ce qualificatif.  

La révélation spirituelle n’a pas quitté les pentes de Ménilmontant : tout devient clair. Le Père Edwy Plenel est animé de vertus chrétiennes devenues folles, et ses fidèles sont les dernières grenouilles de bénitier d’un progressisme passéiste.

*Photo : BALTEL/SIPA. 00618647_000026.



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