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Maltraitance de sous-traitants


Mon ami Charly exerce le métier de graphiste-maquettiste dans la charmante bourgade de Marnaz, en Haute-Savoie, haut-lieu de l’industrie micromécanique de la vallée de l’Arve. L’essentiel de son activité consiste à concevoir et élaborer des brochures vantant pour les donneurs d’ordres l’excellence des PME du secteur.

Jusqu’à une époque récente, ses clients étaient plutôt coulants sur le coût de ces brochures et le passage de commande se faisait à la bonne franquette : « Tu m’y fais ça bien, pour le prix on y arrangera !» Une fois son travail terminé, Charly transmettait ses maquettes à l’un ou l’autre des imprimeurs du coin, en leur disant « on y fait comme d’habitude et tu m’envoies la facture. » Ledit imprimeur repoussait alors à plus tard la série d’étiquettes de reblochon commandée par des éleveurs qui en avaient discuté le prix aussi âprement que celui d’une génisse au foirail de la Roche-sur-Foron. Priorité à la commande de Charly, qui lui, au moins, n’avait pas d’oursins dans le crapaud.

Le boulot était fait, et bien fait et le patron de la PME était ravi de diffuser à travers l’Europe et même au-delà la prose et les photos vantant son atelier pourvu de machines à commandes numériques capables d’usiner une pièce minuscule au dixième de micron près.[access capability= »lire_inedits »]

Mais comme dirait Bob Dylan, « The times, they are changing… »

Beaucoup de vieux décolleteurs[1. Le décolletage, issu de l’artisanat des pièces d’horlogerie, fournit aux industriels de l’automobile, de l’aéronautique, de l’armement des pièces de métal usinée avec une haute précision] ont écouté les sirènes de la City de Londres, des hedge-funds et autres nomades de la finance qui leur ont offert des sommes considérables pour aller flamber à Saint-Martin ou dans d’autres paradis tropicaux et fiscaux le fruit de leur travail de quarante ans.

L’arrivée des Béotiens qui ne regardent que la page des tarifs

Ces messieurs-dames de la finance internationale, lorsqu’ils prennent possession de la poule aux œufs d’or chèrement acquise, ne se déplacent jamais sans leurs vautours, qu’on appelle en anglais cost-killers. Le fait qu’il n’existe pas de traduction française satisfaisante de ce vocable est un signe : ces gens-là, qui regardent jusqu’à la facture du papier-chiottes des toilettes du personnel pour voir si on ne pourrait pas trouver moins cher chez Lidl, sont totalement étrangers à notre culture industrielle.

Cette évolution n’a pas été sans influence sur les affaires de mon ami Charly. Plus question de laisser les imprimeurs du coin faire du gras sur l’impression de brochures publicitaires aussi soignées que des catalogues d’exposition au Louvre, quand on travaille pour des Béotiens qui ne regardent que la page des tarifs.

Il faut dire que ces patrons d’imprimerie souffrent du syndrome MOF (meilleur ouvrier de France) qui les pousse à faire un chef-d’œuvre de chaque ouvrage qui leur est commandé. C’est qu’ils travaillent pour leurs pairs, pas pour les utilisateurs de leurs produits pour qui la quadrichromie style Playboy est le comble de l’art.

Donc Charly, qui jusque-là avait mis régulièrement à la corbeille électronique les offres de services d’imprimeurs allemands, commence par demander des devis comparatifs à ses fournisseurs habituels, et, pour voir, aux descendants de Gutenberg. Voici le résultat de ses démarches.

À Marnaz et dans les environs, le résultat est le suivant : la secrétaire du patron imprimeur (sa femme ou sa cousine) est partie deux jours en congé et enverra un devis à son retour si elle a le temps parce qu’elle n’a pas que ça à faire et que d’habitude on s’épargne ce genre de paperasses.
À Heidelberg ou Karlsruhe, dans les 24 heures, la Schpountz Druckerei GMBH adresse à Charly, par internet et en français, un devis détaillé proposant trois tarifs (normal, rapide, urgent) et un délai de livraison ferme et définitif pour chacune de ces options. Les tarifs sont vraiment compétitifs. Charly aime bien ses potes imprimeurs savoyards avec qui il fait de la montagne et boit quelques coups de blanc dans les alpages. Mais il lui faut bien faire tourner sa petite boite malgré les cost-killers.

On apprenait début juillet 2011 que jamais le déficit commercial de la France n’avait été aussi important. On se demande bien pourquoi.[/access]

Juillet-août 2011 . N°37 38

Article extrait du Magazine Causeur



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