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Magnum, notre héros en bermuda est de retour

Quand la chemise hawaïenne guidait la jeunesse de France


Magnum, notre héros en bermuda est de retour
© NBC Universal

Magnum, nouvelle version, ce soir à 21h05 sur TF1


Ce soir, TF1 diffuse la saison 1 de « Magnum » version 2018 (vingt épisodes) avec un casting renouvelé en surfant ouvertement sur la nostalgie des années 1980. Car Tom Selleck a pris sa retraite au siècle dernier, un an avant la fin du mandat de Ronald Reagan. Terry ne pilote plus son hélico Hughes 500 aux fausses couleurs LGBT, il doit se reposer dans un EHPAD en Floride avec d’autres intermittents du spectacle. Rick ne fait plus le beau au bar de la plage, il soigne son machisme viscéral dans un camp de redressement mental. La drague en milieu balnéaire est aujourd’hui punie par la loi. Les blagues sous la ceinture seront bientôt bannies des conversations privées. Les ligues patrouillent sur le sable fin. L’homme est un contrevenant qui s’ignore. Il s’agit de le surveiller. Les Ferrari de collection dorment au garage, faute de posséder un précieux sésame anti-pollution et l’aval d’une quelconque COP. Le bikini n’est plus un vêtement d’été mais un sujet de thèses. La société s’est figée, peu à peu, dans un ascétisme verbeux.

Magnum transpire le monde d’avant

Les séries actuelles, produits marchands par essence, se raccrochent au wagon d’une modernité ostentatoire en cochant tous les critères dominants du moment. Elles sont dosées pour ne heurter aucune minorité, n’irriter aucune communauté ou ne blesser aucune identité. Les individualités sont dorénavant sacrées. Le « Moi » a gagné la bataille du « Nous ». Le second degré et la légèreté sont des valeurs réactionnaires qu’il faut désormais mater. Ils nourrissent un esprit frondeur. Et on connaît la chanson : de l’amusement à la dissidence, il n’y a qu’un pas à ne surtout pas franchir. La liberté d’opinion se manipule avec des pincettes. Alors, un mec à moustache, portant le short court, ancien vétéran du Vietnam de surcroît, vivant au crochet d’un majordome célibataire, conduisant une voiture de sport italienne à moteur V8 et ayant peur des deux dobermans Zeus et Appolon n’est plus tout à fait compatible avec notre désir d’émancipation et d’égalité. Il transpire le monde d’avant et ses représentations complètement figées. Seul le soleil continue pourtant de briller à Hawaï. Notre mémoire vive n’a cependant pas rendu ses armes. Elle joue les Jiminy Cricket. Elle résiste aux assauts puritains. Elle se moque bien des postures moralisatrices. Cette douceur de notre enfance apparue sur Antenne 2 après l’élection de François Mitterrand a le parfum entêtant des plaisirs défendus. Quelque chose de délicieusement rétrograde et permissif qui met en joie. Le générique de début a des vertus hypnotiques. Tous les gosses de France sont en transe. Ils se trémoussent dans le canapé en renversant leur verre de Tang orange. La mer, les filles en maillots échancrés, la 308 rouge, le dérapage suave, l’humour des copains, l’action musclée, la mélancolie sous-jacente, cette mythologie-là, tout en finesse, loin des caricatures de l’époque, a tracé notre ligne de conduite. Nous envisagions très sérieusement de devenir l’égal de Thomas Magnum. Il incarnait un modèle assez inspirant bien qu’inaccessible. En vérité, il a sauvé de milliers d’adolescents de ma génération perdus dans la grisaille nationale et la torpeur de nos crises ataviques. Entre le SIDA et le chômage, la Peugeot 505 de papa et la pub Bolino, nous désespérions. Je dirais même plus, nous pressentions les emmerdements à venir et le déclassement en marche. Les « winners » faisaient irruption dans notre petit écran avec des gueules satisfaites. Ils sentaient le vétiver bon marché et s’habillaient comme des employés de banque neurasthéniques. Ils parlaient concurrence, compétition et expansion économique. Ce langage de technocrates en campagne, mélange d’austérité et de suffisance, commençait à nous agacer. Nous ne comprenions pas tout, enfin l’essentiel, c’est-à-dire l’idée d’un enfumage généralisé dont nous serions les prochaines victimes consentantes.

Magnum ne pointe pas à l’usine

Magnum était notre secret le mieux gardé, sorte d’idéal masculin pétri de sensibilité et de tact qui a largement participé à notre éducation sentimentale. Nous n’allions pas avouer notre désir de devenir détective privé sur une île à une conseillère d’orientation qui hésitait à nous diriger vers les métiers de la bureautique ou les sciences sociales. Dans ce temps lointain, nous apprenions même qu’un écrivain, Robin Masters, pouvait posséder une villa de luxe. Ça élargissait considérablement notre champ de vision. Sur le plateau d’Apostrophes, nous n’avions vu que des professeurs endimanchés ou des intellos souillons. Nous n’avions pas de rêves de gloire, seulement ressembler à Magnum et imiter son style, cette décontraction naturelle et son bon cœur. Et puis aussi nager, boire des bières, prendre le volant de la Ferrari à la sauvette, flirter, profiter de la générosité de Higgins, ne pas pointer à l’usine, mettre une casquette américaine sur la tête, enfiler une chemise à fleurs, parler jusqu’au bout de la nuit avec de vieux copains, se rappeler des coups durs sans jamais pontifier. Nous aurions aimé simplement dire : « Magnum, c’est moi ! ».



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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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