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Une hécatombe universelle

Le billet du vaurien


Une hécatombe universelle
Sakado au Japon © Kunihiko Miura/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22437545_000045

Le billet du vaurien


Nous ne nous agitons que pour aggraver des situations qui ne feront qu’empirer, incapables que nous sommes d’affronter l’angoisse d’être nous-même, disait Cioran dans un élan taoïste. « Pratique le non-agir et tout restera dans l’ordre » :  Lao Tseu avait tout compris. Qu’est-ce qu’une épidémie, sinon une relaxation démographique dont la planète a parfois besoin, comme le corps humain d’une purge ?

Dans sa jeunesse, Cioran concevait avec volupté l’extermination d’une moitié de ses compatriotes. Avec l’âge, il envisageait comme possible et même souhaitable une hécatombe universelle. Les années passent et j’arrive à la même conclusion. Mais je ne vois toujours rien venir. L’humanité est une usine qui tourne à plein rendement, quoi qu’il arrive.

Wittgenstein disait qu’on pourrait mettre des prix aux pensées. Certaines coûteraient très cher, d’autres seraient vite soldées. Mais quelle serait l’unité de compte pour les pensées ? « Le courage », répondait Wittgenstein.

Le plus étrange, ce sont ces philosophes d’une érudition extrême, mais dont les pensées leur sont étrangères et qui, par manque de courage, resteront toujours à l’écart de ce qu’ils professent, comme s’ils craignaient d’être contaminés par le matériau qu’ils manipulent. L’érudition n’est d’ailleurs jamais qu’une fuite loin de notre propre vie.

Le Moi, pour Schopenhauer, est le point noir de la conscience. Il ne peut pas y avoir d’introspection, faute d’un Moi transcendantal, mais uniquement une analyse bornée, sans fin, inutile, vouée à des explications qui n’expliquent rien. Et pourtant construire des fictions à partir de nos vies n’est pas un passe-temps pire qu’un autre.
Quand nos angoisses sont apaisées, sommes-nous encore capables de les comprendre? J’en doute. Mais même si nous l’étions, nous préférerions les mettre au rancart.

Les théories sont les cimetières de l’âme, soutenait Cioran. Il faut aimer les cimetières, car c’est le seul lieu où nous échappons à nous-même. Mais par un étrange paradoxe, il ne nous déplairait pas de laisser une trace, même infime, de notre passage dans ce tourbillon infernal. Le ridicule atteint là son apothéose. J’en suis parfaitement conscient, mais je n’y échappe pas. L’extinction du désir de paraître n’est pas à notre portée. Même le suicide est grandiloquent. Mais reconnaissons au moins qu’il y a un charme silencieux à continuer à vivre quand chaque jour emporte son lot de victimes.



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