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Hong Kong et gilets jaunes: où sont les leaders?

Des points communs entre les deux mouvements


Hong Kong et gilets jaunes: où sont les leaders?
Des gilets jaunes se mobilisant à Bourgoin-Jallieu, dans l'Isère, le samedi 7 septembre 2019. Pour eux, ça ne fait aucun doute, le mouvement va prendre un nouveau souffle en cette rentrée © Allili MOURAD Numéro de reportage: 00922675_000003

A l’heure où les gilets jaunes redémarrent leurs manifestations à Paris, Montpellier, Rouen et d’autres villes de province, il n’est pas inintéressant de tenter une comparaison avec un autre mouvement situé aux antipodes de l’Hexagone: Hong Kong.


Diamétralement opposées tant sur le plan politique que spatial, le mouvement des gilets jaunes et celui des indépendantistes de Hong Kong ont des points communs! Dans leurs techniques d’action d’une part. Et d’autre part, les deux mouvements n’ont pas de leader.

Retour sur des faits

En juin 2019, des manifestations de masse ont paralysé Hong Kong. Entre un et deux millions de personnes sont descendues quasiment au quotidien, dans la rue, pour protester contre un projet de loi autorisant les extraditions judiciaires en Chine communiste. Ce projet de loi a mis le feu aux poudres car il entamait de manière significative le contrat liant Hong Kong à la Chine communiste depuis la rétrocession de l’ex-colonie britannique en 1997: celui du « one country-two systems ». Rapidement traduit, cela donne: le territoire de Hong Kong est bel et bien rattaché à la Chine continentale, mais la population de Hong Kong conserve son autonomie économique et juridique. La loi sur l’extradition proposée par un exécutif acquis à Pékin est apparue aux manifestants comme le début d’une intolérable forme de normalisation politique.

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En quelque sorte, la France aussi est un « one country – two systems ». L’unité territoriale est de façade: les grandes villes captent la richesse et le dynamisme économique. Le système expulse, marginalise et paupérise la France des petites villes et des zones rurales. Les Hong-Kongais sont descendus dans la rue pour préserver les libertés politiques qui vont avec le dynamisme économique de leur mégalopole. Les gilets jaunes ont accaparé de leur côté les ronds-points et (tenté) d’envahir la capitale pour échapper à leur relégation.

Absence de leaders, réseaux sociaux omniprésents

A Hong Kong, le mouvement a tiré les leçons de la répression qui s’est abattue en 2014 sur Joshua Wong, leader charismatique du « Mouvements des parapluies ». Aussi désormais, ce sont les idées et propositions d’action formulées à travers les réseaux sociaux qui suscitent la mobilisation, pas les personnes. En France, les gilets jaunes ont refusé d’être incarnés par principe: ils ont estimé que toute représentation était spoliatrice de la volonté générale. Le référendum d’initiative populaire (RIP) demeure le fer de lance revendicatif du mouvement et le symbole de leur projet démocratique. Les gilets jaunes voudraient restaurer la participation du plus grand nombre à la décision sans passer par une quelconque représentation.

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La mobilication passe par les pages Facebook pour les gilets jaunes, et par la plateforme Reddit pour les manifestants de Hong Kong. La particularité de Reddit est que ce sont les idées et propositions d’action qui mobilisent, sans qu’un leader focalise sur sa personne. Sur le forum LIHKG de Reddit, une proposition plébiscitée est propulsée en tête du forum et fait alors office de mot d’ordre.

L’organisation de la foule, à travers les réseaux sociaux, présente les mêmes inconvénients en Chine et en France

Les grands réseaux sociaux comme Facebook n’aiment pas servir de support à de puissants mouvements sociaux. Les dirigeants et actionnaires de ces plateformes sont sensibles aux mesures de rétorsion pénales et fiscales des gouvernements qui les accusent d’agir contre eux. On a vu ainsi Facebook changer les règles de  son algorithme pour morceler le mouvement des gilets jaunes qui s’organisait sur ses pages. Autre danger: les réseaux sociaux sont parasités par les fake news et l’intox organisée.

A cet égard, les protestataires chinois ont fait preuve de plus de créativité que les gilets jaunes français et ont su multiplier le recours aux plateformes pour éviter de devenir victimes de l’une d’elles. Quand Telegram a subi une attaque des services de sécurité du gouvernement de Pékin, ou quand les réseaux de téléphonie mobile ont été surchargés, les manifestants se sont tournés vers Airdrop pour envoyer des messages via Bluetooth. Ils ont même utilisé Tinder (plateforme de rencontre) et Pokemon Go (plateforme de jeux) pour mobiliser les manifestants.

La plus grande habileté des protestataires chinois découle sans doute de son origine sociale. A Hong Kong, c’est la bourgeoisie éduquée des grandes villes qui a défendu ses libertés, alors qu’en France, la protestation mobilisait les classes populaires, peut-être moins habiles dans son utilisation des nouvelles technologies.

Les mouvements sans leader sont perméables à la violence et au parasitisme

Les gilets jaunes ont expérimenté l’accaparement de leurs marches par les Black Blocks, les racailles de banlieue, les Dieudonnistes antisémites… A Hong Kong, des manifestants violents ont occupé et vandalisé le bâtiment du Conseil législatif le 1er juillet. Certains manifestants ont attaqué brutalement deux personnes soupçonnées d’être des agents de Pékin à l’aéroport international de Hong Kong. On a vu aussi les Triades de Hong Kong agir pour le compte de Pékin et agresser les manifestants à coups de bâton.

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De tels événements minent la popularité du mouvement et permettent au pouvoir de diffamer le mouvement. Emmanuel Macron parlait de « foules haineuses » lors de ses vœux du 31 décembre. Pas si différent du gouvernement de Pékin, lequel parle de « voyous » et de gangsters.

C’est à ce stade que l’absence de leader pose problème

Le leader est traditionnellement celui qui impose le narratif du mouvement aux médias et il est aussi celui qui indique la stratégie. Mais parce qu’il est la première victime de la répression (rappelons que Jérôme Rodrigues a été éborgné par la police et que Eric Drouet est régulièrement en garde à vue), le leader n’a pas d’avenir.

Les manifestants de Hong Kong ont tenté de garder le contrôle de leur narratif de manière originale. A l’aide de cagnottes en ligne, ils ont ramassé des fonds, acheté des espaces publicitaires dans les médias traditionnels pour communiquer en plusieurs langues sur leur mouvement. Une forme spectaculaire d’intelligence collective en matière de communication. Faute d’argent et sans doute aussi de créativité, les gilets jaunes ont laissé le narratif de leur mouvement à un « parti des médias » généralement hostile.

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L’élaboration stratégique a fait défaut dans les deux mouvements jusqu’à présent. Hong Kong et les gilets jaunes manquent de stratèges – anonymes et désireux de le rester – capables de penser la situation discrètement, capables de repérer les forces et faiblesses de l’adversaire et d’impulser-proposer ensuite des actions à la foule.

Cette idée d’une élaboration stratégique clandestine pose, on s’en doute, de redoutables problèmes touchant à la démocratie. Mais faute de réponse créative (et démocratique) à cette question, les mouvements sans leader sont condamnés à demeurer ce qu’ils sont: limités. Pourtant, les deux mouvements précités sont porteurs d’universalité : le premier porte en germe la restauration d’une identité nationale – drapeaux tricolores et Marseillaise sont ses emblèmes -, une prise de distance avec l’Union européenne dirigée par des bureaucrates… Le second porte en germe le séparatisme d’avec Pékin et la constitution d’une démocratie autonome.

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