Alessandro Bertoldi, directeur exécutif de l’Institut Milton Friedman à Rome, nous dit ce qu’il a vu en Israël et en Cisjordanie.
Je suis allé à Kerem Shalom, le poste de passage au sud de la bande de Gaza qui représente la principale porte d’entrée pour l’aide humanitaire et les marchandises destinées à ce territoire, aussi bien depuis Israël que depuis l’Égypte. C’est un endroit qui vibre d’activité et de tensions: des camions vont et viennent.

Hier, me dit-on, ce fut une journée intense: environ 7 000 Palestiniens ont quitté Gaza en une seule journée, pour des soins médicaux ou des raisons humanitaires. Depuis le début de la guerre, des centaines de milliers de personnes ont reçu une assistance hospitalière ou ont été évacuées à l’étranger grâce à Israël. Ce n’est pas rien, surtout si l’on considère les difficultés logistiques et le fait que de nombreux pays arabes, comme l’Égypte, hésitent à ouvrir leurs portes aux habitants de Gaza, craignant des infiltrations terroristes. Quiconque veut entrer ou sortir doit, à juste titre, passer d’abord par les stricts contrôles de sécurité israéliens. Le vrai défi, cependant, est de trouver un équilibre : faire entrer le plus d’aide possible sans baisser la garde, afin d’éviter que ne se répètent des tragédies comme celle du 7-Octobre.
80% de l’aide finit dans les mains du Hamas
Pour cela, comme auparavant, les camions (environ 300 par jour) passent sous des scanners qui vérifient l’absence d’armes ou de marchandises à usage militaire. J’ai vu de mes propres yeux à quel point Israël s’efforce de maintenir le flux d’aide. Mais une fois à l’intérieur de Gaza, la situation se complique. Même l’ONU a dû suspendre les distributions pour des problèmes logistiques et par crainte d’attaques lors du transport, qui ne peut avoir lieu dans les zones intérieures de la bande et à Gaza-Ville qu’avec le consentement du Hamas.
Le plus choquant ? Environ 80% de l’aide finit entre les mains du Hamas, qui la revend ou, pire encore, l’utilise pour faire pression sur la population et la pousser à soutenir ses actions. C’est une réalité rarement perceptible en lisant la presse occidentale, d’autant plus que les ONG elles-mêmes ne peuvent qu’accuser Israël si elles veulent continuer à opérer à Gaza.
Pourtant, dans le sud de Gaza, la réalité est visible de tous : après la frontière, des centaines de tonnes de nourriture sont entassées au soleil, que l’ONU et les ONG n’ont jamais prélevées ni distribuées. Seule la Gaza Humanitarian Foundation a réussi, avec beaucoup de difficultés et d’obstacles, à créer dans la bande de Gaza des points de distribution qui livrent directement les colis aux familles, sans intermédiaire, mais même ce système ne fonctionne qu’un jour sur deux.
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Les destructions à Gaza sont visibles même à des kilomètres de distance, car ce sont précisément les bâtiments civils les plus hauts, utilisés par le Hamas pour lancer des missiles ou contrôler le territoire, qui ont été détruits lors des bombardements malheureusement nécessaires. Les victimes collatérales sont nombreuses, bien qu’au moins dix fois moins nombreuses que celles de la guerre en cours au Soudan, dont personne ne parle. Surtout, ce sont des victimes voulues par le Hamas, afin d’augmenter le bilan et, par conséquent, l’agressivité de la communauté internationale contre Israël : tandis que l’armée israélienne (IDF) invite les civils à quitter les bâtiments visés avant les bombardements, le Hamas agit en sens contraire, faisant croire qu’il s’agit d’une fausse alerte ou, dans les pires cas, en menaçant de mort ceux qui quitteraient leur logement. À Gaza, le Hamas a utilisé des écoles et des hôpitaux comme bases opérationnelles, creusé 600 km de tunnels jamais ouverts aux civils comme abris durant les bombardements — préférant utiliser ces mêmes civils comme boucliers humains —, transformé l’aide humanitaire en instrument de coercition et utilisé le nombre de victimes à des fins de propagande. Il aurait suffi d’ouvrir les tunnels pour sauver des dizaines de milliers de vies.
Coexistence pacifique inenvisageable
L’attaque du Hamas du 7-Octobre a laissé une marque profonde dans la société israélienne, surtout à cause de la brutalité avec laquelle elle a été menée. Les Israéliens, de toutes origines, sont convaincus qu’il n’est plus possible de négocier avec les terroristes. Au cours des deux dernières années, des dizaines de milliers de missiles lancés par le Hamas et ses supplétifs iraniens auraient pu détruire Israël, sans sa technologie et sa préparation militaire. C’est une situation qui rend impossible d’imaginer une coexistence pacifique et la fin de la guerre sans l’élimination du Hamas. De plus, les dirigeants du Hamas savent bien que s’ils acceptaient un accord et libéraient les otages, ils seraient éliminés ou perdraient rapidement toute influence. En effet, malgré de nombreuses tentatives d’accords — trois presque abouties —, à la dernière minute les jihadistes les ont toujours sabotées par des demandes inacceptables, comme l’ont confirmé les médiateurs qataris et américains.
Béthléem, un autre monde
De Kerem Shalom, je me suis rendu à Bethléem. Entrer dans cette ville, c’est comme plonger dans un autre monde. Il y a trente ans, lorsqu’Israël a quitté la zone, Bethléem était une ville à majorité chrétienne, avec 80% de la population appartenant à cette communauté. Aujourd’hui, les chrétiens ne représentent plus que 20%. La ville est calme, sous le contrôle de l’Autorité palestinienne, et l’on n’y respire pas l’air de protestation que l’on sent en Europe et auquel on pourrait s’attendre. Pas de manifestations contre Israël ou en faveur de Gaza, pas de paroles excessives et encore moins de banderoles. Ici, les gens semblent craindre le passé, désirer la normalité et redouter seulement le retour des groupes jihadistes. Beaucoup de Palestiniens de Bethléem ont vécu à la fois sous l’administration israélienne et sous la pression des groupes terroristes, et leur plus grande peur est que le chaos reprenne le dessus. Tant et si bien qu’ils disent ouvertement préférer la présence israélienne au retour des groupes radicaux. La ville semble rêver d’un avenir différent, peut-être comme une sorte de cité-État dotée d’une large autonomie, plutôt que d’adhérer à un véritable État palestinien national. Chaque coin de Cisjordanie a parfois des particularités très différentes : le pouvoir est fragmenté, souvent entre les mains de familles ou de groupes locaux qui, dans de nombreux cas, dialoguent avec Israël pour garantir la sécurité de tous, comme le fait presque toujours aussi l’AP et sa police. Les chrétiens luttent chaque jour pour préserver leur identité et aimeraient que la ville de la Nativité devienne une attraction pour les fidèles du monde entier.
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Un chiffre m’a frappé : un demi-million de Palestiniens de Cisjordanie travaillent chaque jour en Israël. Ils savent bien que la coopération entre l’Autorité palestinienne et Israël est le seul moyen de contenir le risque de voir des mouvements jihadistes arriver au pouvoir. Parmi les deux millions d’Arabes israéliens, la majorité veut continuer à vivre en paix dans l’État hébreu, avec les mêmes droits que leurs concitoyens juifs. En effet, dans aucun des deux groupes il n’y a eu de manifestations significatives en faveur du Hamas ; en Israël comme à Ramallah, les Arabes savent bien que contre le Hamas il n’y a pas d’alternative à la guerre. Par ailleurs, dans le nord d’Israël vivent les Druzes, une communauté arabe non musulmane parfaitement intégrée. Beaucoup d’entre eux servent dans l’armée, certains même à des postes de commandement.
Après l’intervention terrestre, la fin de la guerre semble proche, et avec elle la possibilité d’une région plus stable à la suite de tous les changements intervenus ces deux dernières années, beaucoup grâce aux États-Unis et à Israël. La solution à deux États, cependant, paraît de plus en plus lointaine : ni l’Égypte ni la Jordanie ne veulent assumer la responsabilité de Gaza, de la Cisjordanie ou des réfugiés. Personne ne semble croire encore au mirage de « deux États pour deux peuples ».
Une autre idée se fait jour : la création d’émirats locaux palestiniens, confédérés ou non, dirigés par des leaders respectés, qui administreraient les territoires en paix et en coordination avec Israël, garantissant sécurité, respect et reconnaissance mutuelle. Un modèle proposé précisément par un leader palestinien, le cheikh d’Hébron. Une idée qui pourrait aussi séduire certains pays arabes, sans revenir à un modèle traditionnel d’État-nation que les Palestiniens eux-mêmes n’ont jamais voulu, afin de ne pas reconnaître Israël, et qui aujourd’hui semble n’exister que dans les têtes des dirigeants occidentaux.
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