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Burkini: pour en finir avec les juristes du dimanche


Burkini: pour en finir avec les juristes du dimanche
Marseille, août 2016 (Photo : SIPA.AP21939060_000001)
Marseille, août 2016 (Photo : SIPA.AP21939060_000001)

La réservation d’un Aqualand par une association salafiste dans les Bouches-du-Rhône, puis l’arrêté municipal du maire de Cannes interdisant pour le mois d’août le port du burkini sur une plage de sa ville, ont suscité des polémiques qui témoignent d’un changement politique majeur. Les attentats du début de l’été ont en effet favorisé un changement de perspective au sein de la masse des Français. Les attentats de Charlie et du Bataclan avaient déjà provoqué un effet de sidération et d’anxiété. Mais aujourd’hui, à la focalisation sur l’ennemi principal que l’on présentait, c’est-à-dire Daech, a succédé la prise de conscience que le djihadisme était aussi et surtout un problème interne à la France. Les assassins sont souvent de jeunes Français qui non seulement se sont placés en dehors de la communauté nationale, mais rêvent de la détruire. Et la majorité des Français, surtout dans les couches populaires qui ont vu se transformer les quartiers sous l’influence insidieuse d’un islam salafiste séparatiste, considèrent désormais que le problème principal est celui-là. L’idéologie — parce qu’il faut marteler que c’en est une — véhiculée et enseignée par ce courant est considérée comme pouvant facilement conduire les plus disponibles à la barbarie. Cette idéologie — qui veut que l’autorité publique supérieure n’est pas la République mais Allah et que la charia est supérieure à la loi française — sert de base à un combat politique visant à l’instauration d’un communautarisme séparatiste religieux. Et cette mise en cause de l’unité nationale angoisse et révulse les couches populaires.

Curieusement, la violence des réactions et l’hystérisation du débat, après la prise de l’arrêté par le maire de Cannes et la décision rendue en référé, ont été d’abord le fait des opposants à la mesure, appartenant à ce qu’on appelle la « gauche morale ». Mais l’accaparement des grands médias par les tenants de cette gauche-là a été perçue cette fois-ci comme une provocation et a fini par provoquer, par l’intermédiaire des réseaux sociaux et de la presse de province, une réaction d’une ampleur inhabituelle. Panique à bord chez les belles âmes qui sont remontées à l’assaut, sans peur du ridicule en exhumant des photos des maillots du début du XXe siècle, et sans peur d’une propagande mensongère avec l’affaire de Sisco.



Cette perte de sang-froid de la « bien-pensance » est provoquée à mon sens par sa prise de conscience de la catastrophe qui l’attend. La campagne présidentielle qui va commencer le 1er septembre et la probable sinon inéluctable victoire de la droite de gouvernement, va achever de pulvériser son magistère moral déjà bien endommagé.

Fort normalement, les tenants de la complaisance avec l’islam intégriste ont invoqué en la dévoyant la « laïcité » pour justifier les provocations calculées des salafistes. Et ensuite, le respect de la liberté et en particulier celle de s’habiller comme on veut. Cela fait sourire de la part de personnes qui sont restées totalement muettes face aux atteintes aux libertés publiques particulièrement graves qui ont émaillées le quinquennat de François Hollande. Or, le débat de fond était avant tout politique. Il s’agit de savoir quelle attitude adopter face à l’offensive politico-religieuse d’un islam salafiste auquel une majorité de Français — à tort ou à raison — reproches deux choses, rappelons-le : d’abord d’être une idéologie servant de sas à ceux susceptibles de basculer vers le djihadisme, ensuite d’être un projet communautaire séparatiste antirépublicain. C’est donc tout simplement une question d’ordre public. En France, où la culture administrative est forte et la culture juridique faible, on rencontre un maximum de juristes amateurs qui n’hésitent pas à expliquer péremptoirement aux spécialistes les questions auxquelles eux-mêmes ne comprennent rien. Et là ils se sont déchaînés.

L’organisation de l’événement « tous en burkini à l’Aqualand » était susceptible de troubler l’ordre public par son côté provocateur dans une période extrêmement tendue du fait des massacres de juillet. Mais, contrairement à ce qu’ont mensongèrement prétendu quelques élus indignes, ce n’était pas un événement privé, mais bien une manifestation publique et commerciale. Soumise de ce fait aux règles du droit pénal prohibant la discrimination. On trouvera ici exprimé avec concision le problème juridique posé. Et on y verra que l’objectif des organisateurs était bien d’instaurer entre les citoyens une discrimination religieuse et communautaire interdite.

Concernant l’arrêté du maire de Cannes, le problème se posait en des termes très différents. Constatant probablement comme je l’ai fait que, pour l’instant, malgré l’horreur des massacres et en particulier celui perpétré à quelques kilomètres de là, les Français parvenaient à garder leur calme, mais que cette maîtrise était fragile, la Ville a estimé qu’il était inutile de mettre de l’huile sur le feu. Les incidents de Sisco — qui n’ont même pas eu besoin d’un burkini pour être déclenchés — ont montré que ces inquiétudes n’étaient peut-être pas infondées. Le maire a donc, dans le cadre de l’exercice de ses pouvoirs de police, en tenant compte d’une situation particulière et exceptionnelle liée aux attentats et à l’état d’urgence, pris un arrêté limité, d’interdiction du costume de bain salafiste. Limité bien entendu aux plages de sa commune mais limité surtout au seul mois d’août 2016. Ce fut immédiatement un énorme tintamarre.

Était-il opportun politiquement de prendre cette décision spectaculaire à ce moment-là ? Là était le vrai débat, mais il ne fallait surtout pas qu’il ait lieu. « Arrêté illégal » affirmaient les belles âmes qui adorent user de l’argument d’autorité juridique, persuadées que le droit qu’elles ignorent, se plie à leur vision du monde. Premièrement l’arrêté avait été pris par un maire Les Républicains, et ça, c’est bien évidemment directement illégal. Deuxièmement, c’était une décision raciste qui allait provoquer la guerre civile, deuxième énorme motif d’illégalité. Les associations groupusculaires habituelles ont fait leur boulot et formé un recours devant le tribunal administratif de Nice contre l’arrêté.

Quel était le problème ? Les collectivités locales, en application de l’article 72 de la Constitution s’administrent librement, dans le respect de la loi. On peut demander a posteriori au juge d’apprécier si la loi a été respectée en saisissant le tribunal administratif pour lui demander de le vérifier et sinon de prononcer l’annulation de la décision. Le problème est que les institutions publiques bénéficient d’un privilège, celui de l’exécution d’office, ce qui veut dire que les décisions de l’administration sont immédiatement exécutoires même s’il y a un recours, celui-ci n’étant pas suspensif. En cas d’urgence il faut donc saisir en même temps le juge des référés qui doit statuer rapidement et peut prononcer la suspension de ce caractère exécutoire. Si deux conditions sont réunies : urgence, et un moyen sérieux au fond. Le juge de Nice a considéré qu’aucune des deux conditions n’était remplie. L’arrêté est donc resté exécutoire. Il appartiendra donc par la suite au tribunal administratif d’examiner l’affaire au fond.

Que disent les textes ?

Ce fut bien sûr un nouveau tollé et, comme pour le refus de libération conditionnelle de Jacqueline Sauvage, le magistrat concerné en a pris plein la tête. Chacun sait que dans notre pays on respecte la justice mais uniquement quand elle vous donne raison. Le mieux, avant de l’insulter, aurait peut-être été de se reporter à ce qu’il a écrit. Sachant que les débats doctrinaux sont tout à fait passionnants, mais que le seul avis qui compte, pour être opératoire, c’est celui du juge… « Dans le contexte de l’état d’urgence et des récents attentats islamistes survenus notamment à Nice (…) la forme de tenues de plage affichant leur religion (…) sont de nature à créer ou exacerber des tensions (…) et un risque de trouble à l’ordre public (…) Le port d’une tenue vestimentaire distinctive (…) peut en effet être interprétée comme n’étant pas (…) qu’un simple signe de religiosité. (…) La mesure de police limitée au mois d’août prise par le maire de Cannes (…) n’est pas disproportionnée par rapport au but poursuivi. »

Pour prendre cette décision, le magistrat s’est appuyé un arrêt du Conseil constitutionnel de novembre 2004 qui disposait « que le droit garanti (à sa conviction religieuse en public) a le même sens et la même portée que celui garanti par l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’il se trouve sujet aux mêmes restrictions, tenant notamment à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé et de la morale publics, ainsi qu’à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Le Conseil d’Etat, quant à lui, avait précisé dans un arrêt du 25 novembre 2014 que « l’organisation des relations entre l’État et les Églises en France repose sur un principe simple et clair : la religion relève de la sphère privée, l’État affirmant son indépendance et sa neutralité à l’égard des institutions religieuses. Toutefois, la liberté religieuse ne se borne pas à la liberté de croire ou de ne pas croire. Elle implique une certaine extériorisation qu’il s’agisse de l’exercice du culte ou tout simplement de l’expression – individuelle ou collective – d’une croyance religieuse. Il convient dès lors de garantir la conciliation entre l’intérêt général et l’ordre public, d’une part, la liberté de religion et son expression, d’autre part. » Pour le juge de Nice, l’arrêté du maire a bien garanti la conciliation entre l’ordre public et la liberté religieuse.

Il y a eu d’autres arrêtés dont on ne garantira pas l’absence d’arrière-pensées démagogiques. Certains concernent par exemple les plages de la mer du Nord où la combinaison intégrale est pourtant indispensable à qui ne veut pas devenir tout bleu et claquant des dents. Ils feront également l’objet de recours et il n’est pas impossible alors que le Conseil d’État se saisisse du problème afin d’émettre un avis. On voit mal comment celui-ci pourrait contredire sa jurisprudence de novembre 2014.

Finalement, le droit c’est bien pratique, cela permet de poser les termes du débat. Et en l’occurrence d’éviter les arguties juridiques pour aborder de face la vraie question politique : quels rapports doit entretenir l’État français avec l’entreprise salafiste ?

Burkini, par magazinecauseur



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