Accueil Culture Éloge du temps long

Éloge du temps long

Jean-Paul Rappeneau avec Kéthévane Davrichewy publie "Vive Allure", une autobiographie (Grasset, 2025). La chronique de Monsieur Nostalgie


Éloge du temps long
Catherine Deneuve et Philippe Noiret, "La Vie de Chateau" Jean-Paul Rappeneau (1966) © SIPA

Jean-Paul Rappeneau, le réalisateur entre autres de Cyrano de Bergerac, du Hussard sur le toit ou du Sauvage se raconte avec l’aide de Kéthévane Davrichewy dans Vive Allure aux éditions Grasset. Un cinéma de lente maturation où la construction et les dialogues se répondent dans une exigence peu commune. À l’heure du déconstruit, Rappeneau a cultivé l’art du détail et de l’ellipse.


Rappeneau prend son temps. Sa lenteur est proverbiale dans le métier. Comme si la productivité était le signe d’une créativité foisonnante. Comme s’il fallait ramener une filmographie à une performance vulgairement quantifiée. Les chiffres ont définitivement emporté la bataille de la pellicule dans les mentalités artistiques. Pour un réalisateur né en 1932, ayant passé son enfance sur l’axe Auxerre-Orléans, huit films jusqu’à aujourd’hui est un score tout à fait honorable. Respectable. Enviable même. Quand on sait que ses longs-métrages s’appellent : Cyrano de Bergerac, Les Mariés de l’An II, Le Sauvage, Tout feu, tout flamme ou l’inoubliable La Vie de château. Cette filmographie « réduite » est l’expression de notre exception culturelle, une qualité France qui se dégage dans le soin apporté à la narration, aux costumes, à l’atmosphère, au ping-pong verbal ; le juste équilibre patiemment dosé, longuement réfléchi entre la sincérité et l’émotion. Rappeneau, c’est la France des préfectures décaties, des bâtisses alanguies, des rapports de classe étouffés, de notre belle langue tourangelle, de l’amour courtois et des frisottis du destin. Rappeneau, c’est le contraire des vies réglées en province car l’aventure arrive par la porte de service, la fantaisie vient contrecarrer l’éducation. Qui n’a pas vu Adjani en polytechnicienne sensuelle et désuète ne peut comprendre les élans incertains du cœur. Qui n’a pas vu Deneuve lisant dans un hamac ou allongée dans un champ de blé en mousseline faussement sage ne connaît rien des blondeurs assassines. Rappeneau, élégamment, sans la brusquerie maladroite des habituels révolutionnaires du 7ème art, emprunte ce chemin étroit de la dissidence amusée, de l’intrusion poétique, de l’emballement buissonnier, du plaisir enfantin d’imaginer la vie. Alors que tout semble installé, immuable, la bourgeoisie se repose sur ses lauriers, elle dort tranquille, un élément fantasque, un héros irrégulier, une peine intime vont entraîner une mécanique nouvelle. Chez Rappeneau, le spectateur n’est pas agressé, il n’est pas le punching-ball des idées confuses, il est ce promeneur sensible à la beauté, totalement perméable à l’inattendu.

A lire aussi: Pierre Maillet: le cinéma le rend marteau !

Rappeneau, le réalisateur aux fondations solides est paradoxalement le plus à même d’écorner la réalité, de la passer au tamis de la fiction, de la désaxer et de la propulser dans un autre imaginaire. Laissons les comptables à leur cahier de doléances, ils se plaindront toujours, que huit films, c’est trop peu et que l’attente entre chacun n’est pas raisonnable. Dans une profession vouée à l’image, ne pas vouloir s’exposer à tout prix est un sacerdoce. Et puis Rappeneau sait des histoires (comme dans la chanson de Reggiani), il nous les conte dans ces mémoires vagabondes entre secrets de fabrication, souvenirs de tournage et points de vue esthétique. Comment aussi cohabitent la part d’individuel et de collectif dans l’édification d’une œuvre. Ce livre ravira les cinéphiles sur la complicité, la jalousie, l’admiration, tous les rapports ambigus qui ont existé entre Rappeneau et Louis Malle, Rappeneau et Daniel Boulanger, Rappeneau et Claude Sautet, Rappeneau et Roman Polanski. Mais surtout le compagnonnage exclusif avec son frère « ennemi », Philippe de Broca. Rappeneau a participé activement au scénario de L’Homme de Rio, du Magnifique, de Tendre Poulet ou du Cavaleur. Ces deux-là se sont aimés et brouillés en même temps. Une relation particulière qui « se transformera au cours des années en une amitié forte et complexe, faite de rivalité ». Dans ces confidences, il nous explique sa façon de concevoir un film, la patience qu’il faut, les doutes qui assaillent, les nombreuses publicités réalisées durant toute sa carrière entre chaque sortie en salles, l’acharnement nécessaire pour arriver à ses fins. « J’ai vécu une enfance sans cinéma et sans télévision », nous avoue-t-il. Ce fut une bonne base pour oser prendre la caméra. Dans ce voyage, Rappeneau s’amuse des soubresauts de caractère d’un Montand égocentré, il loue le charme et l’intelligence d’Anne Brochet, il n’est pas satisfait de la voix d’Olivier Martinez, il se rappelle son agacement de voir son nom mal orthographié au générique de L’Homme de Rio, il manquait un « p », et puis il nous réconcilie avec un épisode « traumatique ». On sait que l’entente entre Jean-Paul et Marlène Jobert n’a pas été cordiale sur Les Mariés de l’an II. Dans cet éprouvant tournage en Roumanie, Jean-Paul a pu se montrer raide. Rappeneau nous relate des décennies plus tard, leur rencontre chaleureuse, les yeux embués, à la Cinémathèque, ils ne se quittaient plus. Ils parlaient. Ils parlaient. Happy end !

Vive Allure de Jean-Paul Rappeneau avec Kéthévane Davrichewy – Grasset 256 pages

Vive allure: Autobiographie

Price: 20,90 €

12 used & new available from 14,86 €




Article précédent Faut-il laisser Orwell tranquille?
Article suivant Caisse qu’il dessine?
Journaliste et écrivain. Dernières publications : "Tendre est la province", (Équateurs), "Les Bouquinistes" (Héliopoles), et "Monsieur Nostalgie" (Héliopoles).

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération