Dans les Landes, la mère de famille Maylis Daubon assure au tribunal qu’elle n’est pas responsable de l’empoisonnement de sa fille.
Depuis son inauguration en 2021, le flambant Palais de justice de Mont-de-Marsan, à l’architecture tout en angles et grandes baies vitrées, ressemblant davantage à une moderne salle de spectacle qu’à un solennel édifice où l’on prononce des condamnations ou accorde parfois un acquittement, trône à la périphérie de cette commune de 40 000 habitants, préfecture des Landes. Il n’avait encore jamais connu pareille affluence. C’est que depuis le lundi 24 novembre se tient jusqu’au moins mercredi 3 décembre, en cour d’assises, un procès hors du commun d’une durée exceptionnellement longue, huit jours alors que la moyenne est deux ou trois jours.
Un geste routinier
On y juge en effet une affaire particulièrement ténébreuse, morbide, scabreuse, appelée, si condamnation il y a, à rester dans les annales judiciaires, comme si elle était sortie de l’imagination de l’écrivaine anglaise, Agatha Christie, dite « la Reine du crime » et dont l’arme de prédilection dans ses romans était les poisons.
Devant un « jury citoyen » composé de six personnes tirées au sort et de trois magistrates professionnelles comparaît Maylis Daubon, une mère de famille de 53 ans originaire de Dax, ville voisine de Mont-de-Marsan, accusée d’avoir, durant des mois, empoisonné ses deux filles en leur administrant à leur insu une mixture de médicaments de manière systématique, presque quotidienne. L’ainée, Enéa, y a succombé à 18 ans. La cadette, Luan, un an de moins, a survécu. Témoin crucial, elle a pris le parti de sa mère, ne s’est pas constituée partie civile estimant que celle-ci ne lui a rien fait de mal. Ce qui fragilise singulièrement l’accusation.
Pas moins d’une trentaine de journalistes, presse régionale et nationale, ont été accrédités. Un important service d’ordre a été mobilisé. La salle d’audience était le premier jour, et aussi, les suivants, pleine à craquer. Tous les matins bien avant l’ouverture des portes à 8 h 15, une longue file d’attente de curieux se forme pour assister aux débats qui devront établir s’il y a eu effectivement assassinat ou suicide. Car si l’acte d’accusation est accablant, les preuves d’un geste délibéré sont absentes.
L’accusée défie l’assistance
Le journaliste du quotidien régional Sud Ouest, Alexis Gonzalez, rapporte que lundi, à l’ouverture du procès, Maylis Daubon est entrée « dans la salle vêtue d’un tailleur gris, sa longue chevelure noire tenue par une barrette. Elle ne baisse pas la tête et jauge du regard chaque personne présente, prenant tout de même le soin d’éviter le banc des parties civiles où siège son ex-mari ». Ce dernier, père des deux filles, séparé depuis 13 ans de son épouse, Yannick Reverdy, 49 ans, un ancien international de hand-ball au physique de colosse, est son unique accusateur et s’est beaucoup répandu dans la presse pour l’accabler.
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« L’accusée, souligne l’article, (a) fait forte impression. » C’est un peu, déduit-on, comme si elle avait voulu défier l’assistance en affichant par cette posture altière son refus de reconnaître la moindre culpabilité.
« Je suis innocente de ce qu’on me reproche, a-t-elle proclamé dans une déclaration liminaire avant de s’asseoir et de rester coite, recroquevillée sur son banc. Je suis dévastée par le décès de mon enfant. C’est un chagrin abyssal. Je suis terrorisée d’être ici, accusée de faits horribles pour une mère et une femme. Jamais rien au monde ne pourrait me faire commettre ces actes. » Durant toute l’instruction, elle n’a cessé d’affirmer que sa fille s’était suicidée. Pourtant, les faits établis — ou plutôt le faisceau d’indices concordants — mentionnés dans l’acte d’accusation accréditeraient le contraire. La présidente de la cour, Emmanuelle Adoul, les égrènera pendant une bonne heure et demie, sans négliger le moindre petit détail.
Médication noire
En proie à des convulsions et à un arrêt cardiorespiratoire le 13 novembre 2019, Enéa est hospitalisée aux urgences de Dax. Six jours plus tard, elle décède. Perplexe face à cette mort étrange, le corps médical procède à une expertise toxicologique. Stupéfaction, on y décèle dans ses flux une quantité faramineuse de propranolol, un bêtabloquant cardiaque, équivalente à l’absorption de 50 à 75 cachets. Une analyse capillaire révèle en plus la soumission à ce qu’on appelle une « médication noire », à savoir la présence d’un cocktail d’hypnotiques, anxiolytiques, sédatifs, antidépresseurs. Le soupçon d’un empoisonnement s’installe. Le parquet ouvre une enquête. Une perquisition est menée trois jours après le décès au domicile de l’accusée.
Nouvelle stupéfaction, alors qu’elle avait dit ne pas en disposer, les enquêteurs découvrent une quantité impressionnante de propranolol, de psychotropes, et des seringues n’ayant pas servi. Pour se justifier, elle se dit avoir été dépassée par la maladie de sa fille sans être en mesure de la nommer. L’enquête établit rapidement que c’est elle qui se les est procurés « après 83 passages en pharmacie », à l’aide d’ordonnances aux dates trafiquées, et que, durant la même période, de février 2018 à novembre 2019, elle a accompagné Enéa à 58 consultations de psychiatres pour cause de dépression chronique. Autre fait troublant, le portable de la défunte demeure introuvable. Or une énigmatique communication a été passée après son admission aux urgences. Par qui ?
A sa décharge, le jour de son hospitalisation, Maylis Daubon n’était pas à son domicile. En outre, à la même époque, une forte dose, pas suffisante pour être mortelle, du même cocktail médicamenteux, avait été détectée dans les flux et cheveux de Luan, la cadette. Donc logiquement, pour l’accusation, elle aussi avait été victime d’une tentative d’empoisonnement de la part de la mère. À la mort de sa sœur, elle a refusé d’aller vivre avec le père pour rester auprès de sa mère. De plus, âgée de 22 ans aujourd’hui, Luan a refusé catégoriquement de se porter partie civile contre cette dernière qui n’a été mise en examen et incarcérée à Pau qu’en 2022, trois ans après les faits qui lui sont imputés. Comme quoi la certitude de l’empoisonnement a mis du temps à s’imposer aux enquêteurs.
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Le père prétend qu’elle a subi de la part de sa famille maternelle qui l’a hébergée, « un lavage de cerveau pendant des années ». Il ajoute dans un entretien à Sud Ouest : « Elle continue de défendre son bourreau. Ce procès doit lui ouvrir les yeux. »
Son ex-épouse fait l’objet également d’une autre mise en examen. Elle aurait commandité auprès de codétenues libérables son assassinat. L’accusation repose essentiellement sur la délation de ces dernières.
Syndrome de Münchhausen
A partir du peu de témoignages qu’il a pu recueillir auprès des proches de l’accusée, l’enquêteur de personnalité, Bruno Rougeoreille, la décrit comme une menteuse invétérée et mythomane « qui surjoue les émotions qu’elle exprime ». Une policière chargée de l’enquête a affirmé à la barre lundi que ses dépositions étaient un tissu « de petites incohérences ». Un de ses collèges, lui, a taxé celles-ci de « mensonges ». Mais il a ajouté que « beaucoup de questions demeurent », précisant que « c’est l’histoire de la mort d’une gamine de 18 ans dans des circonstances que l’on ne connait pas ». Mais il a néanmoins écarté l’éventualité d’un suicide.
Pour une psychologue du pôle départemental de la protection de l’enfance, Maylis Daudon serait atteinte d’une pathologie mentale rare, le syndrome de Münchhausen. Il s’agit « d’un trouble factice qui conduit un parent à simuler, exagérer, ou provoquer chez son enfant une pathologie physique ou psychique, puis à faire appel au corps médical pour le soumettre à des traitements inutiles, voire dangereux. La plupart du temps, le parent (…) semble être à la recherche d’une reconnaissance au travers de l’assistance qu’il offre à son enfant. »
Lors de la première audience, son avocate, Me Carine Monzat a d’entrée fixée quelle sera, dans cette nébuleuse affaire, la ligne directrice de la défense de sa cliente. « Même si elle est mythomane, et alors ? Ça ne fait pas d’elle une empoisonneuse » a-t-elle lancé à l’endroit du jury.
Pour entrer en condamnation, une cour d’assisses n’a pas besoin de preuves mais seulement d’une intime conviction. Et quand il se l’est faite, le tribunal prononce son verdict en « son âme et conscience ». Mercredi prochain, quand il se retirera pour délibérer, face « aux circonstances que l’on ne connaît pas » de la mort d’Enéa, le jury des assises des Landes aura sans doute bien du mal à se faire la sienne d’intime conviction.
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