En évoquant une possible intervention militaire au côté de Taïwan, la Première ministre Sanae Takaichi a déclenché la colère de Pékin et ravivé les blessures du passé, révélant un Japon désormais décidé à assumer une ligne diplomatique plus offensive.
Un mois à peine après son accession au pouvoir, en octobre 2025, la Première ministre japonaise Sanae Takaichi a déclenché une tempête diplomatique en évoquant la possibilité d’une intervention militaire du Japon en cas d’attaque chinoise contre Taïwan. Pékin a réagi avec une virulence rare.
Une escalade verbale qui fait ressurgir les fantômes du passé, réveille les tensions territoriales et confirme que Tokyo n’entend plus pratiquer l’ambiguïté stratégique.
Sanae Takaichi, la Première ministre qui bouscule les lignes
Première femme à accéder à la tête du gouvernement japonais, Sanae Takaich, 64 ans, n’est pas une novice dans l’arène politique. Figure conservatrice du Parti libéral-démocrate (PLD), protégée du Premier ministre Shinzo Abe (2006-2007 et 2012-2020), lequel a été assassiné en 2022, elle s’est construit une réputation de femme de poigne, nationaliste assumée et inflexible sur les questions de souveraineté.
Elle milite depuis des années pour la révision de l’article 9 de la Constitution pacifiste afin de reconnaître explicitement les Forces d’autodéfense comme une « armée nationale », soutient l’augmentation du budget militaire, le développement de capacités offensives et l’adoption d’une législation anti-espionnage. Selon la dirigeante japonaise, en cas de guerre, « il est primordial de neutraliser en premier lieu les bases ennemies » (2021).
Volontiers nationaliste, elle a multiplié les visites controversées au sanctuaire de Yasukuni où reposent les héros de la Seconde Guerre mondiale. De quoi crisper la Chine qui n’apprécie pas non plus que Sanae Takaichi tienne un discours révisionniste, allant jusqu’à affirmer que les crimes de guerre japonais ont été « exagérés » par les historiens. Questionnée en 2002, lors d’une émission télévisée, sur l’incident de Mukden qui avait conduit à l’invasion de la Mandchourie en 1931, alors députée, Sanae Takaichi avait expliqué qu’il s’agissait avant tout d’une « guerre légitime afin de protéger le Japon de toute agression extérieure », remettant même en cause les milliers de morts recensés dans le bombardement (« viol ») de Nankin en 1937. Exit donc les ravages de l’unité 731 dans l’Etat fantoche du Mandchoukouo, des exécutions sommaires et viols commis contre les civils chinois, elle estime que les termes « femmes de réconfort » et « travail forcé » restent aujourd’hui « extrêmement dévalorisant » pour le peuple japonais qui se doit de se réapproprier son histoire nationale.
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Sanae Takaichi n’a jamais caché non plus sa méfiance envers Pékin : dénonciation du vol de propriété intellectuelle, plaidoyer pour réduire la dépendance économique à la Chine, soutien au déploiement de missiles américains sur l’archipel. La tonitruante leader du PLD entend remettre son pays au centre de l’échiquier politique asiatique. En avril 2025, elle s’était rendue à Taïwan pour rencontrer le président Lai Ching-te, reprenant à son compte la phrase de Shinzo Abe : « Une situation d’urgence à Taïwan est une situation d’urgence au Japon ». Une visite qui avait fortement irrité la Chine qui ne reconnaît pas l’indépendance de cette île (1949), considérée comme une simple province chinoise séparatiste.
Taïwan, la ligne rouge qui menace d’embraser l’Asie
Le 7 novembre 2025, devant la Diète, Sanae Takaichi a déclaré : « La situation concernant Taïwan est devenue si grave que nous devons envisager le pire. ». Et d’ajouter que si l’usage de la force par la Chine « impliquait une menace pour la survie du Japon », Tokyo pourrait intervenir militairement en déployant des navires de guerre.
Ajoutée au contexte historique tendu entre la Chine et le Japon, la phrase de la Première ministre a mis le feu aux poudres. Pour la Chine, le signal est clair : Tokyo n’entretient plus aucune ambiguïté stratégique et se prépare à une intervention armée au côté des États-Unis.
À chacun son point de vue sur ce qui est encore considéré comme le rempart à l’influence du dragon rouge. Pour Pékin, Taïwan n’est pas un dossier diplomatique, mais un élément fondamental de son identité nationale : la « réunification » est non négociable, y compris par la force. L’île fut longtemps occupée par le Japon jusqu’en 1945, ce qui ajoute une charge émotionnelle supplémentaire aux relations sino-japonaises. Pour Tokyo, l’enjeu est vital. Taïwan se situe à 100 km seulement de l’archipel japonais. Sa chute provoquerait un encerclement stratégique du Japon, une rupture des routes maritimes essentielles à son économie, une domination chinoise accrue sur le Pacifique que l’Empire du Soleil Levant ne saurait accepter.
La réaction furieuse de la Chine : menace, pressions et représailles
Les autorités chinoises ont réagi avec une brutalité inhabituelle. Le consul de Chine à Osaka, Xue Jian, a publié un message menaçant de « lui couper son p*tain de cou » — un niveau de violence rhétorique rare dans la diplomatie.
Envolées désormais les poignées de main entre Sanae Takaichi et le président chinois Xi Jinping en octobre dernier comme leurs déclarations pacifiques. Le ministère chinois des Affaires étrangères a prévenu : « Quiconque ose s’ingérer dans la cause de la réunification se verra infliger une riposte ferme. ». Quant aux médias officiels chinois, ils ont affirmé que la Première ministre « devrait en payer le prix ». Dans un acte de pression supplémentaire, Pékin a déconseillé à ses ressortissants de voyager au Japon, évoquant des « risques importants pour la sécurité ». Plusieurs compagnies aériennes chinoises ont immédiatement proposé des remboursements gratuits pour les vols vers l’archipel.
La crise sino-japonaise marque un tournant. Pour la première fois, Tokyo semble prêt à lier explicitement sa sécurité à celle de Taïwan. En réponse, Pékin choisit l’intimidation, la menace et l’instrumentalisation de l’opinion publique. Aucun des deux camps ne souhaite la guerre — mais chacun se prépare à l’éventualité du pire. La Première ministre japonaise, en assumant une ligne dure, a levé le voile sur une réalité qui s’impose désormais à l’Asie : la paix dans le détroit dépendra désormais de la fermeté — ou de la retenue — du Japon et de la Chine.
Dans un climat où les mots tranchent comme des lames, l’escalade diplomatique n’est peut-être qu’un prélude à un affrontement stratégique beaucoup plus profond.




