Anastasia Fomitchova nous rappelle dans son livre que la guerre est de retour en Europe.

Malraux considérait, à juste titre, que la guerre d’Espagne était la répétition générale de la Seconde Guerre mondiale. C’est pour cela qu’il décida de s’engager pleinement en créant l’escadrille Espanã, composée de volontaires internationaux, pour combattre les franquistes, tandis que les démocraties européennes détournaient le regard.
Engagée volontaire
Aujourd’hui, montrerait-il l’exemple en achetant des drones pour épauler les soldats ukrainiens face à l’armée russe ? Le prix André Malraux 2025 vient d’être attribué à une jeune femme, Anastasia Fomitchova, pour son récit Volia.
Ce livre, écrit sans lyrisme, au scalpel, ressemble à celui de Malraux, L’Espoir (1937). Les jurés du prix y ont sûrement pensé. C’est de la même veine, avec une émotion toute particulière parce qu’il s’agit d’une femme de trente-deux ans, chercheuse franco-ukrainienne, qui a quitté Paris, ses amis, son confort, pour rejoindre la résistance et servir comme infirmière au sein du bataillon médical des Hospitaliers. Une première blessure, à l’automne 2022, l’avait tenue éloignée de la ligne des combats les plus rudes. Mais cela n’avait pas entamé sa détermination à protéger sa patrie de naissance. Pour cette engagée volontaire, c’était une question de vie ou de mort depuis que la Russie de Poutine avait envahi l’Ukraine pour la première fois. Le ciel avait la couleur du deuil. Et cette couleur était devenue le quotidien des Ukrainiens.
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Anastasia Fomitchova est née à Kyiv, en 1993. L’URSS n’existait plus et l’Ukraine avait acquis son indépendance depuis deux ans. La jeune soldate revient sur l’histoire récente de son pays avec précision, même si l’enjeu de son livre est ailleurs. Elle rappelle que le bataillon des Hospitaliers a été créé sur le front du Donbass, au moment de la révolution de Maïdan de l’hiver 2013-2014. Elle martèle surtout que l’impérialisme russe ne s’arrêtera pas aux frontières de l’Ukraine. L’enjeu du livre, donc, est de montrer avant tout la détermination de la population ukrainienne – « volia » pouvant être traduit par « volonté » et « liberté » – à repousser l’invasion de l’armée russe. Les renforts occidentaux ne sont pas arrivés en temps et en heure. Les puissances occidentales ont compris tardivement que la défense de l’Ukraine contre le totalitarisme russe les concernait toutes. Au fil d’un récit qu’on ne lâche jamais, on voit Fomitchova, la « médic », monter au front pour secourir les blessés, tandis qu’à l’arrière, les civils apprennent à vivre sous les bombes, dans des caves, sans eau ni électricité, la peur au ventre, la peur de perdre un enfant, une sœur, un ami, la peur d’apprendre que leurs parents ont été torturés, exécutés, et jetés pêle-mêle dans des fosses. Ces combattants et ces civils, ce sont souvent les mêmes, n’attendent pas le dernier smartphone pour Noël, ils espèrent que leur sacrifice empêchera que l’Ukraine soit rayée de la carte. Sacrifice qui ne date pas de 2022. Anastasia : « Les stigmates de ce que nous avaient infligé les Russes étaient inscrits au fer rouge dans nos âmes et nos ventres. Si cette mémoire n’avait pas été entretenue du temps de l’URSS, écrasée par le narratif russe sur les ‘’peuples frères’’, les corps, eux se souvenaient. » Il me revient la phrase de Milan Kundera : « La petite nation est celle dont l’existence peut-être à n’importe quel moment mise en question, qui peut disparaître et qui le sait. » Les Russes pensaient prendre Kyiv en trois jours. La ville résiste toujours, mais celle de Marioupol est en train de devenir le théâtre de l’un des plus grands massacres du XXIᵉ siècle. Les Russes n’ont pas hésité à employer des armes chimiques, affirme Anastasia qui n’exclut plus l’usage d’une bombe nucléaire sur ordre du Kremlin.
Crasse et sang
Il y a des pauses dans le récit. Le carnage ne cesse pas, il s’éloigne un peu. Elle s’arrête, elle et ses collègues volontaires, dans un orphelinat, base historique du bataillon. Nous sommes dans la région de Dnipropetrovsk. Un peu de lumière, l’odeur du feu de bois, le ciel, au loin, qui rosit. La paix ? Non, juste l’espoir qui reprend des forces. Et puis c’est la montée au front sans cesse recommencée. La boucherie ressemble à un tableau de Bosch. Il faut porter secours aux blessés, parmi les cris des agonisants. Les snipers peuvent entrer en action à n’importe quel moment. Anastasia consigne : « Nos journées se résument à des dizaines de bras et de jambes. » Elle ajoute, sans pathos : « Jour et nuit, nous nageons dans un océan de blessés. Ils se ressemblent tous, couverts de crasse et de sang. » Après avoir lu son témoignage, il est impossible de dire qu’on ne savait pas. La guerre est revenue en Europe, elle frappe à nos frontières factices.
Après l’héroïque contre-offensive de 2022, Anastasia réintègre la vie civile et finit sa thèse de doctorat sur les évolutions de l’État ukrainien depuis la révolution de Maïdan. Elle retrouve sa ville natale meurtrie mais debout. Les attaques de drones kamikazes Shahed, livrés par l’Iran à la Russie, s’abattent la nuit sur les civils endormis. L’Ukraine refuse de céder ses territoires car ça n’arrêtera pas la guerre, affirme la jeune femme. Le Kremlin a ordonné le réarmement de la Russie. « Ce processus, écrit-elle, a déjà commencé, et plusieurs nations, comme l’Allemagne, le Danemark et le Royaume-Uni, l’ont clairement identifié : dans quelques années, Moscou disposera de tous les moyens pour lancer une offensive majeure contre le reste de l’Europe. De se confronter directement aux pays de l’OTAN. »
La paix est plus que jamais menacée. Elle n’est déjà plus qu’un doux souvenir. Et comme l’a écrit Malraux : « La liberté appartient à ceux qui l’ont conquise. »
Anastasia Fomitchova, Volia, Grasset. 288 pages
Volia: Engagée volontaire dans la résistance ukrainienne
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