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Sarko, la chasse à l’homme


Sarko, la chasse à l’homme
Nicolas Sarkozy à son procès pour financement libyen présumé, tribunal de Paris, 17 février 2025 © Aurelien Morissard/Xinhua/SIPA

La Cour d’appel de Paris examine ce lundi matin la demande de remise en liberté de l’ancien président incarcéré depuis trois semaines. L’exécution provisoire de la peine qui a conduit Nicolas Sarkozy en prison, sans attendre le jugement en appel, est la conséquence d’une traque judiciaire inédite dans laquelle des juges acharnés se sont contentés de fausses preuves et de témoins louches. Enquête sur une enquête à charge et un jugement déraisonnable.


La condamnation, puis l’emprisonnement, de Nicolas Sarkozy est le dernier épisode en date d’une traque judiciaire menée depuis plus de vingt ans contre l’ancien président de la République. Malgré des années d’enquête, les juges n’avaient pas réussi à le coincer dans l’affaire Clearstream, ni dans le financement de la campagne électorale d’Édouard Balladur, ou dans l’affaire Bettencourt. Heureusement, depuis la création par François Hollande en 2013 d’un Parquet national financier spécialisé, les affaires sont maintenant rondement menées. En dix-huit mois, il vient d’être condamné trois fois. D’abord pour avoir bénéficié du financement occulte de son parti, l’UMP, pour sa campagne 2012 (Bygmalion). Une affaire tellement incertaine que le juge Renaud Van Ruymbeke, cosaisi avec Serge Tournaire, avait alors – fait rarissime – refusé de signer le renvoi de Sarkozy devant le tribunal. Ensuite, dans l’affaire « des écoutes », accusé d’avoir eu la possible intention de corrompre un magistrat. Une condamnation basée sur l’écoute – illégale, mais miraculeusement validée par la Cour de cassation – des conversations avec son avocat, Thierry Herzog. Et maintenant l’affaire libyenne, qui lui a valu l’emprisonnement immédiat pour « association de malfaiteurs » ayant eu « l’intention » (encore une fois) de faire financer par Kadhafi sa campagne de 2007. Pas un sou n’a été versé, est obligé de reconnaître le tribunal, qui réduit ainsi à néant l’instruction du parquet financier. Quelle meilleure preuve de l’acharnement des juges d’instruction et du parquet que la mise en pièces de leur enquête par le tribunal lui-même ? Au bout du bout, il ne reste plus sur le banc des condamnés que l’« intention » de Sarkozy qui, selon des « indices graves et concordants », est la seule coupable dans cette douteuse affaire.

L’enquête

Nous sommes le 29 décembre 2012, dans le cabinet du juge Renaud Van Ruymbeke, au palais de justice de Paris. L’œil excité, il se caresse doucement la moustache. En face de lui, le sulfureux intermédiaire Ziad Takieddine, poursuivi dans l’affaire des sous-marins de Karachi et des frégates d’Arabie pour avoir monté un énorme réseau de rétrocommissions. Mais aussi pour faux témoignage : depuis quinze ans, tout le monde sait qu’il est un menteur invétéré, balançant informations bidon et fausses accusations au gré de ses intérêts. Qu’importe, c’est lui qui a pris contact avec Van Ruymbeke que, d’ordinaire, il insulte copieusement. Là, d’une voix onctueuse, il lui explique qu’il « vit très mal [le] contrôle judiciaire auquel [il] est soumis depuis septembre 2011 ». Van Ruymbeke a mis tous ses biens sous séquestre et, à l’écouter, il vit comme un gueux. Pour sortir de cette funeste situation, il fait au juge une proposition explosive. Il est disposé à « fournir les éléments existants sur le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy au-delà de 50 millions d’euros ». Au terme de deux heures d’audition, Van Ruymbeke emmène Takieddine dans le cabinet de son collègue, le juge Serge Tournaire. La suite, c’est Takieddine lui-même qui la raconte, dans une « sommation interpellative » enregistrée par un notaire, en décembre 2020, et adressée au ministère français de la Justice pour l’obliger à réagir. Il y assure : « Le juge Tournaire m’a fait comprendre que si je pouvais accuser M. Sarkozy et sa garde rapprochée, je m’en sortirais la tête haute dans le dossier Karachi, et que mes biens me seraient restitués. » Il conclut : « J’ai été manipulé par des juges […] qui veulent détruire un ancien président. » Un mensonge de plus ? Ce témoignage a en tout cas été confirmé par une source judiciaire parfaitement au fait du dossier. Quoi qu’il en soit, malgré l’énormité de l’accusation – un juge accusé d’avoir conclu un pacte avec un prévenu –, le ministère de la Justice, officiellement avisé par Takieddine, n’a ouvert aucune enquête. On n’allait quand même pas risquer de devoir annuler une grande partie de la procédure ! L’affaire du financement libyen vient véritablement de commencer avec, pour informateur en chef, un mythomane pathologique.

Cette offre de services est une divine surprise pour les enquêteurs du PNF. Ils sont déçus du manque de suites à la publication, par Mediapart le 28 avril – fort opportunément entre les deux tours de la présidentielle de 2012 –, de la prétendue note libyenne. Celle-ci, est censée rendre compte d’une réunion tenue en Libye, le 6 octobre 2006, entre des dignitaires kadhafistes de premier plan et le ministre français Brice Hortefeux. Il y aurait été décidé de financer la campagne de Sarkozy à hauteur de 50 millions d’euros. Dans les heures qui ont suivi la publication, toutes les personnes mises en cause dans la note l’ont qualifiée de mensonge. Quelques jours après, le président du Conseil national de transition libyen, Mustapha Abdeljalil, déclarait lui-même : « Nous n’avons retrouvé aucune référence à cette lettre dans les archives libyennes. Nous pensons que la lettre est fausse et fabriquée. » De leur côté les experts s’avéraient incapables de se prononcer sur l’authenticité du document, Mediapart refusant de fournir l’original. Les gendarmes de la section de recherche de Paris, eux, concluaient à la « forte probabilité » que le document soit un faux.

Ziad Takieddine lors du procès de l’affaire Karachi, tribunal de Paris, 7 octobre 2019. MERESSE/SIPA

C’est en tous cas un faux intellectuel – c’est-à-dire que son contenu est mensonger – puisqu’il mentionne la participation de Brice Hortefeux à la réunion. La justice a lancé pas moins de 23 commissions rogatoires pour vérifier l’emploi du temps de Brice Hortefeux du 5 au 7 octobre 2006. Organisateurs du Sommet de l’élevage à Cournon (Puy-de-Dôme) ou des Assises des petites villes de France à Cancale (Côtes-d’Armor) ; maires de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), de Montpeyroux (Puy-de-Dôme) ou de Meymac (Corrèze) ; remises de Légion d’honneur ; pilotes ayant transporté Hortefeux d’un bout de la France à l’autre, aéroports où son zinc a atterri : des dizaines de personnes ont été interrogées. Sans trouver le moindre « trou » laissant le temps à Hortefeux de se rendre en Libye.

Les juges, qui ne voulaient pas lâcher le morceau pour autant, ont alors émis l’hypothèse farfelue que la réunion – débattant de secrets d’État – aurait pu être une téléconférence. Et retransmise en direct sur la télé libyenne ? Mediapart évoque pour sa part une possible « erreur dans le document, et que la date de la réunion soit en fait le 6 octobre 2005 et non 2006 ». Et il n’y aurait pas aussi une « erreur » sur la somme ?

Quoi qu’il en soit, le document qui avait lancé l’affaire a fait flop et est en voie d’être écarté de l’instruction avant que la juge du tribunal judiciaire conclue, dans une aimable litote, qu’il était « probablement faux ».

Après le coup de tonnerre médiatique – qui a sans doute valu à Sarkozy sa défaite à la présidentielle de 2012 –, l’accusation se trouvait le bec dans l’eau. Résultat : près d’un an après la publication de la note, l’action judiciaire en est encore au stade de l’enquête préliminaire, c’est-à-dire à la recherche d’un éventuel délit. L’arrivée de Takieddine dans le jeu est donc une bénédiction. À condition de faire semblant de croire à tous ses bobards – ce que les juges font avec empressement.

Difficile d’être exhaustif sur ses innombrables élucubrations, alors que l’intermédiaire a donné, selon la présidente du tribunal, « plus de 16 versions » de l’affaire. Parmi elles, il produit un témoignage direct qui change le cours de l’instruction : Takieddine affirme avoir lui-même remis à Sarkozy, en main propre dans son bureau du ministère de l’Intérieur, 7 millions d’euros, le 28 janvier 2007, pour financer sa campagne. Pas de chance, l’enquête prouve que Sarko était ce jour-là chez son frère à L’Isle-sur-la-Sorgue. En fait, se ravise alors Takieddine, c’est à Guéant qu’il a remis les sous, et seulement 5 millions. Et pas à Beauvau, mais dans son appartement du quai Branly. Dernier épisode : dans une interview au journaliste François de Labarre (Paris Match, 21 novembre 2020), le témoin préféré des juges financiers retire tout : « Il n’y a jamais eu d’argent pour la campagne de Sarkozy. » Heureux de l’apprendre !

Mais les juges financiers n’avaient pas comme seule source le mythomane en chef. Au gré de ses accusations et de leur propre enquête, ils consignent scrupuleusement les déclarations de témoins problématiques. La plupart sont d’anciens proches de Kadhafi, a priori mal disposés à l’égard de Sarkozy, l’homme à qui ils doivent leur malheur. Tel par exemple Moftah Missouri, le traducteur du Guide, qui se répandait dans la presse, mais n’a jamais voulu être entendu par la justice. Le 30 avril 2012, il dit (au Figaro) qu’il « n’a jamais eu connaissance d’un accord financier » entre Sarkozy et la Libye. Quelque temps après, pour le « Complément d’enquête » du 20 juin 2013, il lui revient en mémoire que Kadhafi lui a confié avoir versé 20 millions de dollars, « de l’argent liquide, dans des mallettes ». Autre témoignage surréaliste, celui de Mabrouka Cherif qui se présentait comme « responsable du protocole », mais qui n’aurait en fait été que la pourvoyeuse du harem de Kadhafi. Elle est jointe par les enquêteurs en 2019, dans des conditions surprenantes : elle a refusé de venir témoigner en personne, aussi les échanges ont lieu sur WhatsApp, sans qu’elle ait jamais prouvé son identité. Selon elle, « c’est Sarkozy qui avait demandé de l’aide au Guide ». Un autre témoin, baptisé « 123 » pour préserver son anonymat, confirme ses déclarations et ajoute même qu’en 2011, « Claude Guéant avait appelé [Mabrouka Cherif] sur son portable pour lui demander 20 millions pour la campagne de 2012. » La vie, c’est simple comme un coup de fil.

Malgré tous leurs efforts pour nourrir le dossier, les juges financiers se rendent compte en 2020 que ce n’est pas avec leurs témoignages bouffons qu’ils arriveront à prouver les délits reprochés à Sarkozy. Comme l’explique cruellement le jugement du 25 septembre, « nombre de déclarations de Takieddine se sont avérées mensongères [ou] relèvent de son imagination ». Quant aux témoignages des autres Libyens, « ils sont en grande majorité indirects, souvent imprécis et manquant de cohérence entre eux ». Bref, il n’y a rien de solide contre Sarkozy. Mais pas question, pour les juges financiers, de lâcher l’affaire. Ils s’aperçoivent brusquement – après plus de huit ans d’instruction – que l’ex-président a organisé une « association de malfaiteurs ». Cette incrimination qui permet de poursuivre tout et n’importe quoi est ajoutée en catastrophe, le 12 octobre 2020, à l’ardoise de Sarkozy. Bien leur en prend : alors que l’ex-président est relaxé sur l’accusation essentielle – sa campagne n’a pas été financée par les Libyens –, la justice arrive quand même à l’attraper grâce à l’association de malfaiteurs – Sarkozy n’a commis aucun délit, mais il avait l’intention d’en commettre, même si, au final, il ne l’a pas fait ! On comprend mieux pourquoi Robert Badinter considérait l’association de malfaiteurs comme « liberticide » et l’avait supprimée du Code pénal en 1983.


Le jugement

Nicolas Sarkozy n’aurait jamais dû se retrouver devant le tribunal judiciaire qui l’a condamné, le 25 septembre, à cinq ans de prison. Coupable ou innocent, il était alors ministre de l’Intérieur et son cas aurait dû être examiné par la Cour de justice de la République (CJR), « seule compétente, selon l’article 68 de la Constitution, pour juger les crimes ou délits commis par les membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions ». Une solution que le Parquet national financier voulait à tout prix éviter, de peur que Sarkozy leur échappe. Composée de 12 députés et sénateurs, ainsi que de trois magistrats, la CJR a en effet la réputation d’être assez compréhensive envers les politiques : en trente ans, elle n’a rendu que dix jugements, dont seulement quatre condamnations – et encore, avec sursis. Pour rester en charge, le tribunal judiciaire de Paris s’est livré à une sacrée acrobatie juridique. Il estime que « la relation de corruption s’est établie entre, non pas le ministre, mais le candidat futur à l’élection présidentielle et le gouvernement libyen ». C’est un simple particulier, et non un ministre, qui a commis le délit. Il ne relève donc pas de la CJR.

Nicolas Sarkozy et Carla Bruni quittent leur domicile avant son incarcération à la prison de la Santé, Paris, 21 octobre 2025. (C) Lionel GUERICOLAS – MPP/SIPA

C’est exactement le contraire de ce qui s’est passé pour Balladur : accusé de financement illégal de sa campagne présidentielle de 1995 alors qu’il était Premier ministre, il a été jugé par la CJR. Or, les deux situations sont identiques : un ministre qui est également candidat à la présidence est soupçonné d’avoir bénéficié d’un financement occulte. Il va donc falloir annuler d’urgence le jugement de la CJR qui, en 2021, a relaxé Balladur pour des délits exactement identiques à ceux reprochés à Sarkozy. Balladur, en prison !

Finalement, c’est pour avoir laissé se constituer une « association de malfaiteurs », un pacte de corruption visant à financer sa campagne électorale, que Sarkozy a été condamné. Un pacte censément conclu, au cours de deux dîners, entre son directeur de cabinet, Claude Guéant, son ami et collègue Brice Hortefeux, ministre des Collectivités territoriales et Abdallah Senoussi, numéro 2 du régime de Kadhafi.

L’association de malfaiteurs est, selon le Code pénal, « tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement ». Une incrimination fourre-tout, qui permet de poursuivre n’importe quoi.

Nicolas Sarkozy, aux côtés de Carla Bruni, réagit à son verdict au tribunal de Paris, 25 septembre 2025. (C) Cyril Pecquenard/SIPA

C’est alors que se posent deux gros problèmes. Primo, personne ne sait ce qui s’est dit au cours des deux dîners. « Les récits divergent », note le tribunal. Comment donc en conclure qu’un « pacte de corruption » y a été conclu ? Le tribunal tranche la question en assenant que les entretiens avec Senoussi « ne peuvent qu’avoir un lien avec le pacte corruptif ». Deuxio, qui prouve que Guéant et Hortefeux ont tenu Sarkozy au courant de leurs discussions ? Réponse – surréaliste – du tribunal : « Le soin particulier que Claude Guéant et Brice Hortefeux ont mis à présenter Nicolas Sarkozy comme étant étranger à ce processus corrobore au contraire le fait qu’il en était parfaitement informé. »

Les contreparties d’un tel pacte de financement, assure le tribunal, ont été d’une part, l’engagement pris par Sarkozy d’amnistier Abdallah Senoussi, condamné à perpétuité pour avoir organisé l’attentat contre le DC-10 d’UTA (170 morts) en 1989 ; et d’autre part, celui de soutenir le retour de la Libye sur la scène internationale. Sans craindre la contradiction, les juges notent qu’« aucun élément du dossier n’établit une quelconque action positive de Nicolas Sarkozy pour résoudre la situation de Abdallah Senoussi ». Et en matière de soutien à la Libye, Sarkozy a monté une coalition internationale pour la bombarder. Les Libyens devraient attaquer Sarkozy pour non-exécution de contrat !

Mais c’est l’« exécution provisoire » de la peine qui a le plus frappé l’opinion. Sarkozy n’a bénéficié d’aucun financement libyen, mais il file illico en prison, sans même attendre le résultat de l’appel qu’il a déposé. Il s’agit, expliquent les juges, d’une part de « s’assurer de l’exécution de la peine », c’est-à-dire de garantir qu’il ne se sauvera pas d’ici l’appel ; et d’autre part de « prévenir la récidive ». Sarkozy, qui n’est plus président depuis treize ans, aurait pu signer un nouveau pacte de corruption avec Kadhafi, mort depuis quatorze ans ? Effectivement, ça craignait !

Novembre 2025 – #139

Article extrait du Magazine Causeur




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