Lors de l’émission « C dans l’air » sur France 5, via une référence à l’« effet von Papen1 », la journaliste Caroline Michel‑Aguirre a fait sans en avoir l’air un petit parallèle entre le président du RN Jordan Bardella et l’Allemagne nazie. Pourtant, le nationalisme contemporain n’est pas un projet d’expansion, mais un patriotisme lucide, une résistance à la déstructuration du lien social et à la disparition du politique dans le règne de la marchandise et des identités fragmentées, estime notre chroniqueur. Grande analyse.
Il est frappant de constater à quel point, dans la France et l’Europe contemporaines, les intellectuels, chercheurs comme Georges Bensoussan, Florence Bergeaud-Blackler, des médias comme Causeur, Tribune juive, le Journal du dimanche, CNews ou de simples observateurs de la vie collective qui osent décrire sans détour la crise identitaire, la montée de l’insécurité ou les effets désintégrateurs d’une immigration massive, se voient aussitôt rejetés dans le camp du mal politique. Ils ne sont plus perçus comme des analystes, mais comme des fauteurs de haine. La mécanique de disqualification idéologique, née au cœur du XXe siècle, se réactive sous de nouveaux habits.
Ce qui se joue aujourd’hui, c’est la confiscation du réel par la morale, l’impossibilité de décrire ce que tout un peuple éprouve sans être accusé d’adhérer aux idéologies qui autrefois conduisirent à la catastrophe. À partir du moment où l’on parle de frontières, de continuité culturelle, de cohésion sociale ou de sécurité publique, on franchit la ligne rouge qui, dans l’imaginaire politique dominant, sépare la respectabilité de l’infamie.
De la disqualification soviétique à la stigmatisation contemporaine
Il faut ici rappeler un précédent historique souvent oublié. Dans les années 1950, le KGB et la propagande soviétique avaient déjà perfectionné l’usage du vocabulaire politique comme arme psychologique. Le terme de fasciste servait alors à amalgamer tous ceux qui refusaient la domination idéologique du camp socialiste, qu’ils fussent libéraux, démocrates-chrétiens ou sociaux-démocrates non alignés. Ce procédé, d’une redoutable efficacité, permettait d’assigner l’adversaire à une position morale illégitime, avant même de discuter ses arguments.
Aujourd’hui, cette mécanique de disqualification par contamination symbolique a été reprise et raffinée. Les héritiers du progressisme, alliés paradoxaux de l’islamisme politique, ont repris ce lexique pour rejeter dans les ténèbres idéologiques tout ce qui s’oppose à leur vision d’un monde sans frontières, sans identités, sans ancrages.
Le discours sur « l’extrême droite » n’est plus une description politique : il est devenu une injonction morale, un instrument de police du langage et des affects. En ce sens, il ne s’agit pas d’une lutte d’idées, mais d’un dispositif de contrôle des représentations collectives.
La transmutation de la gauche : de l’émancipation au conformisme moral
Ce retournement s’inscrit dans une mutation plus profonde de la gauche elle-même. La gauche historique fut celle de l’émancipation – émancipation des peuples, des classes, des consciences. Celle d’aujourd’hui s’est muée en religion séculière du Bien, où la vertu remplace la vérité, et la posture morale tient lieu de pensée.
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Cette métamorphose n’est pas sans rappeler les ambiguïtés des années 1940. À cette époque déjà, nombre de socialistes et de communistes, au nom d’un réalisme travesti en pacifisme, passèrent du côté de la collaboration avec l’occupant. Ils croyaient sauver l’essentiel en se ralliant à l’ordre établi. De la même manière, la gauche actuelle, au nom de l’humanisme, s’accommode d’alliances idéologiques avec des forces dont l’objectif déclaré est pourtant de détruire la civilisation démocratique qu’elle prétend défendre.
L’islamisme politique, en s’adossant à la culpabilité coloniale et à la rhétorique antiraciste, a trouvé dans cette gauche moraliste un cheval de Troie. Ce n’est pas une collusion fortuite, mais la conséquence logique d’une perte de repères : lorsque l’histoire est relue à travers la seule grille du bourreau et de la victime, toute défense d’un ordre symbolique commun devient suspecte.
Le renversement du sens du nationalisme
Autre signe de ce basculement : le mot « nationalisme » a changé de contenu. Dans les années 1930, il désignait l’ambition hégémonique des puissances européennes, notamment l’Allemagne nazie. Aujourd’hui, il exprime le besoin vital des peuples de se défendre contre la dissolution généralisée — dissolution culturelle, politique et spirituelle — opérée par le double mouvement du mondialisme économique et de l’islamisme conquérant.
Le nationalisme contemporain, ou plutôt le patriotisme lucide, n’est pas un projet d’expansion : c’est une résistance. Une résistance à la déstructuration du lien social et à la disparition du politique dans le règne de la marchandise et des identités fragmentées.
Là encore, la pensée dominante inverse les signes. Ce qui est aujourd’hui un réflexe de survie collective est présenté comme un symptôme de régression. Mais c’est précisément parce que la nation, la famille, l’individu et la liberté sont encore les seules formes capables de structurer une humanité politique que leurs adversaires cherchent à les dissoudre.
L’union des trois propagandes
Le paradoxe de notre temps tient dans la coalition objective de trois forces idéologiquement hétérogènes :
- le mondialisme, qui nie les appartenances et réduit les hommes à des flux économiques ;
- le gauchisme postmoderne, qui transforme la culpabilité en système de pouvoir moral ;
- et l’islamisme, qui exploite cette faiblesse pour imposer sa logique communautaire et religieuse.
Ces trois courants, pour des raisons différentes, convergent vers un même but: l’effacement des nations, c’est-à-dire la disparition du cadre où la liberté politique, la responsabilité collective et la mémoire historique peuvent s’incarner.
Retrouver la nation, la famille, l’individu, la liberté
Face à cette conjonction d’utopies et de fanatismes, il ne s’agit pas de revenir à un passé idéalisé, mais de retrouver les conditions du réel : celles qui permettent à une société de se penser, de se protéger et de se transmettre.
Retrouver la nation, ce n’est pas rejeter l’autre : c’est redonner sens à la communauté de destin. Retrouver la famille, ce n’est pas nier la diversité des existences : c’est reconnaître le lieu où se forme la continuité humaine. Retrouver l’individu, ce n’est pas exalter l’égoïsme : c’est rappeler que la liberté commence par la responsabilité. Et retrouver la liberté, enfin, c’est accepter le conflit du réel, non le fuir dans les dogmes de la vertu.
Conclusion
Ce que vit aujourd’hui le débat public français n’est donc pas une querelle d’opinions, mais une crise de la vérité. Ce n’est pas l’extrême droite qui menace la démocratie : c’est la peur de nommer les choses. Dans ce climat d’intimidation morale, les intellectuels qui persistent à décrire la réalité sont traités en parias. Mais ce sont eux, paradoxalement, qui incarnent la fidélité à l’esprit critique, celui qui a toujours fait la grandeur du monde occidental.
Car il n’y a pas de liberté sans le courage de penser contre le mensonge.




