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Anouilh, entre le balai mécanique de la Vicomtesse et «Antigone»

"Souvenirs d'un jeune homme" au Théâtre de Poche - Philippe Tesson, d'après les écrits de Jean Anouilh


Anouilh, entre le balai mécanique de la Vicomtesse et «Antigone»
© Alejandro Guerrero

Jusqu’au 3 novembre, tous les lundis à 21h au Théâtre de Poche Montparnasse, Jean Anouilh revit dans un spectacle imaginé et interprété par Gaspard Cuillé et Benjamin Romieux sur une mise en scène d’Emmanuel Gaury. Les souvenirs du dramaturge, succès et fours mémorables, histoires d’armée et rencontres pittoresques, sont un hymne aux planches.


Quelle leçon ! D’humilité, de fantaisie, de drôlerie et d’adoration du théâtre, de ses personnages et du jeu pour le jeu. Les hommes qui cessent de jouer sont le poison des sociétés modernes. Ils veulent tout régenter, tout expliquer, tout alourdir pour qu’advienne une pensée magique. Ils ont tué le théâtre à trop réfléchir à leur postérité embryonnaire. Ils ont muré tous les espaces de liberté. Leurs mots sont des entonnoirs. Ils ont une mentalité de sergent-instructeur. Seul le brouhaha de leurs idées a droit de cité. Le reste doit être abattu, combattu. Ils sont si peu sûrs de leur talent qu’ils crachent avant de parler. Et puis, il y a Anouilh, le réformé temporaire, le gamin de la Porte de la Chapelle, le bon élève de Chaptal, l’adorateur de Siegfried de Giraudoux, l’apprenti dramaturge lancé dans la vie parisienne à coups de triomphes juvéniles et de salles vides. Il aura tout connu. Les salles combles et les gadins magistraux. Les travaux alimentaires d’écriture et la promiscuité des plus grands, Jouvet, Fresnay ; l’héritage de Molière et de Dullin. L’Occupation et les bureaux des producteurs de cinéma. Les actrices sans filet et les soirs de générale. La chambre mansardée, une fine tranche de pâté de campagne le soir de la Saint-Sylvestre et les tournées internationales au champagne. Aujourd’hui, Anouilh, c’est du sérieux, du « validé » par l’enseignement, l’une de nos gloires nationales bien que certaines pièces conservent leur fumet d’insoumission. Pauvre Bitos ! Dans certains milieux autorisés, on se méfie d’Anouilh, on lui cherche des poux dans le texte, on aimerait bien qu’il clarifia sa position en son temps. De quel côté, de quel bord parlait-il ? Il est mort en 1987. Il était dans le camp du spectacle vivant et des mystères de Paris, messieurs les censeurs ! Cet été, dans un dossier, nous avons eu l’ambition de définir l’esprit français. Chacun apportant sa pierre à un édifice brinquebalant, chacun y allant de ses tocades. Je me souviens avoir évoqué Guitry, Audiard, Broca, Hardellet, mes classiques et j’ai omis Anouilh. Qu’il m’en soit pardonné ici.

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La Compagnie du Colimaçon, alerte, enjouée, sans boursouflure, à l’économie vitale, comble en ce moment mon oubli au Théâtre de Poche. Elle a décidé de monter Souvenirs d’un jeune homme dans un habile dédoublement, ce ping-pong verbal léger à deux têtes est divertissant (ce n’est pas un crime). Sa modestie et son humilité n’ont rien d’un spectacle janséniste. Les deux comédiens présents sur scène incarnent Anouilh à tour de rôle et nous faufilent derrière le rideau. Sans gravité, avec malice et douce ironie, les géants des tréteaux s’animent. On revisite non pas la tarte tatin mais les années 30/40 avec l’œil d’un auteur plus que prometteur. Anouilh a publié à la Table Ronde ses souvenirs sous le titre La Vicomtesse d’Eristal n’a pas reçu son balai mécanique. La Compagnie s’appuie sur cette bible savoureuse, gorgée d’anecdotes et d’intelligence. Avant Antigone, avant Eurydice, Anouilh bachelier ayant quitté les bancs de l’université de droit débuta sa carrière en qualité d’employé des Grands magasins du Louvre au bureau des réclamations puis il se lança en tant qu’éphémère concepteur-rédacteur dans une maison de publicité. Il y fit alors la connaissance de Neveux, Grimault, Prévert et Aurenche. La pièce enchaîne des saynètes sublimes et dérisoires comme ce jour de gala sur une piste de danse. Jadis, Anouilh avait décroché le Premier prix de Charleston au Casino de Stella-Plage (Pas-de-Calais). Voilà ce qui fait le sel de cette pièce, sa mécanique endiablée, l’on passe d’une garnison de Thionville au bureau de l’amer Jouvet, de l’hôtel particulier de la Princesse Bibesco qui le reçoit « étendue sur une méridienne à col de cygne recouverte de satin blanc » à l’intérieur spartiate de Pitoëff « le seul homme de génie que j’ai rencontré au théâtre ». Petite souris, nous nous glissons dans le compagnonnage avec l’ami de toujours Barsacq « un vrai travail, artisanal et fraternel », nous succombons aux fous-rires de Suzanne Flon et aux débuts de Bruno Cremer et de Michel Bouquet. Paulette Pax (1886-1942) avait bien raison de dire : « Anouilh, le théâtre est une chose inouïe ! ».

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Journaliste et écrivain. Dernières publications : "Tendre est la province", (Équateurs), "Les Bouquinistes" (Héliopoles), et "Monsieur Nostalgie" (Héliopoles).

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