Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…
La journée avait commencé de manière étrange. C’était tôt le matin ; il avait plu toute la nuit. Soudain, mon attention fut attirée par une centaine de gouttes suspendues sur les fils du portant sur lequel je fais sécher du linge, sur la terrasse. Je m’approchai ; à l’est, le soleil se pointait et semblait avoir allumé ces minuscules boules de Noël aqueuses. « Qu’est-ce que c’est beau ! », pensais-je, un peu simplet. Je savais que cette journée qui commençait ne serait pas tout à fait comme les autres. Je restai là, devant le portant, à observer les gouttes. Je me revoyais à peu près au même endroit, cinq ans auparavant, en pleine crise de Covid et de confinement, en train d’observer le jardin à la recherche d’une idée pour alimenter la chronique du « Jardinier confiné », que m’avait commandée mon confrère et ami Daniel Muraz, rédacteur en chef adjoint du Courrier picard. Tout était prétexte pour écrire : un oiseau mort, un arbre en fleurs, une tourterelle qui se posait sur la rambarde, les radis qui se mettaient à pousser, une merluche aguicheuse au ventre roux qui me faisait un clin d’œil, mon bon voisin Tio Guy qui tondait sa pelouse… Reclus comme l’ensemble de mes compatriotes, j’observais, jardinais et noircissais des pages. Je finis par réunir celles-ci en un livre Mares & Jardins, sous-titré « Chroniques du pêcheur-jardinier », paru en novembre 2021 aux Soleils bleus. Je rentrai dans la maison et vaquai à mes tâches avant d’aller retrouver ma Sauvageonne. C’était un mercredi ; l’idée lui prit d’aller saluer son excellente copine Corinne qui officie comme secrétaire médicale chez un dentiste près de la gare d’Amiens. C’est bien connu : garer sa voiture dans ce quartier est aussi difficile que de faire boire un verre de limonade à Antoine Blondin. Nous finîmes, l’ébouriffée et moi, par trouver une place rue Alexandre-Fatton. Là encore, ce fut un périple. L’horodateur, qui se trouvait à trois mètres, n’était même pas allumé. En panne totale. En bons citoyens, nous nous rendîmes à celui qui se trouvait à trois cents mètres. Ce dernier était complètement fou ; il ne cessait de buguer et affichait sans cesse « Erreur technique ». Nous recommençâmes une dizaine fois l’opération. Rien n’y fit. Ce cinglé d’horodateur ne voulait rien savoir. « Laisse tomber, vieux yak », suggéra la Sauvageonne. « Avec la chance que j’ai, je vais encore me choper une prune ! », lui rétorquai-je, péremptoire. Et, tout de go, j’appelai le service stationnement de la police municipale afin d’expliquer mon cas et, ainsi, témoigner de ma bonne fois. Une dame fort aimable me répondit que je craignais rien, qu’il n’y aurait pas de contrôle dans le secteur, que je pouvais boire mon expresso tranquille. Je repartis le cœur léger jusqu’à ce que mon regard se posât sur les enseignes de deux hôtels presque mitoyens : le Central Anzac et le Spatial. Un visage me sauta à l’esprit : celui du fantastique, mystérieux et très drôle Philippe Katerine. Je l’avais interviewé une dizaine d’années auparavant avant son concert à La Lune des Pirates ; plus moyen de savoir dans lequel. Le Central Anzac ou le Spatial ? Mystère. J’étais en train de réfléchir très très fort, interloqué et mutique comme un chat apercevant Léon Zitrone, le Brian Jones des Jeux Intervilles, en train de pisser contre la pompe d’une station-service. La Sauvageonne parvint à m’extraire de mes encombrantes cogitations en m’interpellant de sa voix de Brigitte Bardot, époque Vadim et Vailland : « Savais-tu, vieux yak, qu’il y a eu, il y a fort longtemps, un crime horrible dans l’un des hôtels de cette rue ? » Je ne le savais point, oubliai Philippe Katerine et en frissonnai de frayeur. Je consultai mon téléphone portable et constatai que l’ébouriffée avait raison : Pierre Taverniers, avait assassiné à la hachette, dans une chambre de l’hôtel de la Crémaillère, M. Soveaux, son épouse, Nelly Soveaux et leur fille, Nelly Soveaux. « C’est le 25 janvier 1970 qu’un coursier de la boulangère de la rue de Noyon découvre le carnage dans un hôtel célèbre d’Amiens, La Crémaillère, fréquenté par une clientèle d’habitués », nous apprit un site spécialisé dans les faits divers. « Les corps de M. Soveaux, son épouse et sa fille assassinés sont parfaitement alignés, baignant dans une mare de sang, où des bouts de cervelles apparaissent. Lors de la perquisition, les enquêteurs trouveront des lettres d’amour et de menaces adressées à Micheline Soveaux âgée de 38 ans et toujours célibataire par un certain Pierre Taverniers. Malgré qu’il clame son innocence, il est arrêté et inculpé du triple meurtre. » Pierre Taverniers fut condamné à la prison à perpétuité. « Quelle horreur ! » fis-je intérieurement. Effectivement, cette journée des jolies gouttes d’eau ne fut pas tout à fait comme les autres…

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