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Abus de quatrième pouvoir?

Thomas Legrand / Patrick Cohen : complotera bien qui complotera le dernier…


Abus de quatrième pouvoir?
De gauche à droite, la ministre de la Culture Rachida Dati, les journalistes Thomas Legrand et Patrick Cohen © Christian Liewig-POOL/SIPA

La connivence politique entre les journalistes Thomas Legrand et Patrick Cohen avec deux responsables socialistes, attablés dans un bistrot et manigançant contre Rachida Dati, semble évidente. Mais aussitôt, un récit de circonstance s’est imposé: deux journalistes talentueux seraient injustement traînés dans la boue par « qui vous savez »… Voilà une polémique comme on les aime tant.


Il est toujours amusant de voir s’agiter progressistes et défenseurs de l’audiovisuel public sur le rafiot du camp du Bien quand il prend l’eau. D’autres séquences rigolotes nous sont vraisemblablement promises dans les prochains jours, à mesure que le système politico-médiatique va tenter de réhabiliter les journalistes Thomas Legrand et Patrick Cohen – qui ont été surpris en train de parler fort maladroitement de leur ministre Rachida Dati avec deux pontes du Parti socialiste dans une vidéo filmée à leur insu.

Alors, Thomas Legrand serait un éditorialiste de gauche ? Voilà un scoop ! Et France Inter un bastion progressiste où l’on roule pour la gauche ? Quelle révélation ! Sérieusement, qui pouvait encore l’ignorer ? On feint de s’indigner parce que la droite et le Rassemblement national ne cachent plus leur projet de privatiser un audiovisuel public qui coûte des milliards aux contribuables tout en étant systématiquement orienté contre eux ? Là encore, rien de bien nouveau.

Crise à France Inter

Dimanche matin, à 8h49, avant de lancer un disque, la journaliste Marion Lhour adopte un ton solennel : « Thomas Legrand n’est pas à l’antenne ce matin. La direction de France Inter a décidé de le suspendre à titre conservatoire. Des extraits vidéos et des propos rapportés d’un échange privé et informel (…) ont été publiés en ligne. Les propos tenus par Thomas Legrand peuvent porter à confusion ; la direction justifie cette décision par le choix de protéger l’antenne et le travail des journalistes de tout discrédit. » Un texte lu avec sérieux, mais sans grande conviction apparente.

La veille, Rachida Dati s’était insurgée sur X : « Des journalistes du service public et Libération affirment “faire ce qu’il faut” pour m’éliminer de l’élection à Paris. Des propos graves et contraires à la déontologie qui peuvent exposer à des sanctions. Chacun doit désormais prendre ses responsabilités. »

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La Société des journalistes de Radio France, de son côté, a rapidement réagi. Fidèle à son rôle de bouclier corporatiste, elle a assuré en écriture inclusive son soutien inconditionnel à MM. Legrand et Cohen, et a pris ses distances avec la ministre honnie et cette direction qui a déjà osé écarter de l’antenne l’hilarant Guillaume Meurice ou la délicieuse Giulia Foïs : « La SDJ de Radio France s’indigne de l’instrumentalisation par un média d’extrême-droite de propos volés et complètement sortis de leur contexte. Nous déplorons que certain.e.s s’en servent déjà pour s’en prendre à l’audiovisuel public, sans attendre d’explications. Nous sommes solidaires de Thomas Legrand et Patrick Cohen face à toutes ces attaques ».

Manipulera bien qui manipulera le dernier…

On nous explique désormais que nous n’aurions pas réellement vu ce que nous avons vu. Les deux journalistes ne complotaient pas contre Mme Dati : ils discutaient simplement avec Luc Broussy et Pierre Jouvet, cadres du Parti socialiste, dans une brasserie parisienne. Et si Thomas Legrand a lâché cette phrase maladroite – « Nous, on fait ce qu’il faut pour Dati, Patrick (Cohen) et moi » – il faudrait la replacer dans son contexte, bien sûr. D’ailleurs, ils ne complotaient pas. Au contraire : on leur avait donné rendez-vous parce qu’ils ne récitaient pas comme il faut la bonne parole concernant le Secrétaire national un peu pâlot Olivier Faure !

Déjà, ceux qui diffusent cette vidéo se voient menacés de poursuites judiciaires pour atteinte à la vie privée. Partout, on martèle que l’émetteur du message est un « mensuel d’extrême droite », comme pour souligner à quel point se faire le relais de pareils quolibets contre de si éminents journalistes sent mauvais… Comme si les journalistes de gauche comme Elise Lucet ou « Quotidien » ne s’étaient pas également déjà fait une spécialité de la diffusion de propos volés.

Patrick Cohen dénonce de son côté un procédé manipulatoire : « On a pris des bouts de phrase. Il n’y a pas vingt secondes de conversation suivie. C’est complètement manipulatoire. » Soit. Mais le mal est fait, le public a bien entendu : « Nous, on fait ce qu’il faut pour Dati »

Mais, on tente de minimiser l’affaire. Le journaliste Laurent Joffrin nous présente Mme Dati comme un « cas très particulier », prompte à l’invective et aux approximations, presque une Trump à la française. En revanche, Jean-Luc Mélenchon dénonce une « vidéo consternante » révélant « deux journalistes essentiels de l’officialité PS », tandis que Marine Le Pen rappelle que « le service public ne peut pas être la succursale du Parti socialiste » et relance l’idée de privatisation.

Peuvent-ils rester à l’antenne ?

Thomas Legrand est éditorialiste : il peut bien penser ce qu’il veut. Mais ne devrait-on pas désormais ranger ses chroniques dans la fameuse rubrique « En toute subjectivité » ? Et surtout repenser le pluralisme des voix sur une antenne qui se prétend neutre ?

S’il n’y a peut-être pas vraiment d’agenda caché ou de complot, la connivence politique entre les éditorialistes et les socialistes est en revanche flagrante dans la phrase prononcée par M. Legrand.

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La suspension de M. Legrand ressemble à un sacrifice destiné à sauver Patrick Cohen, plus central à l’antenne et beaucoup plus présent cette année, de France Inter le matin à France 5 en soirée en passant par la Chaîne parlementaire. On donne l’impression de protéger le navire en sacrifiant un rameur secondaire : M. Legrand n’a plus l’édito politique quotidien de France inter, repris par M. Cohen, et il peut continuer d’écrire ses chroniques dans Libération

Il arrive à tous les journalistes de rencontrer des personnalités de toute tendance pour des discussions sans filtre, se défend Thomas Legrand. Il a raison. Mais pourquoi cette indulgence quand il s’agit de discussions avec le PS, et tant de sévérité dans d’autres cas ? Lors de l’affaire du journaliste Jean-François Achilli, écarté de France info, par exemple, tout ce petit monde avait moins de scrupules à sanctionner semble-t-il. Et sérieusement, MM. Cohen et Legrand iront-ils vraiment demain boire des bières avec des responsables du RN en leur promettant de « s’occuper » des « mensonges » de Raphaël Glucksmann, par exemple ses dénégations quand on lui rappelle qu’il était candidat « Alternative libérale » en 2007 ? On peut en douter. Oui : tous les journalistes et tous les politiques peuvent avoir une idée derrière la tête – même M. Cohen et M. Legrand. La seule vraie faute de ce dernier, c’est peut-être de s’être fait pincer !



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