Christian Authier, le dernier hussard occitan, revient avec un roman d’une grande finesse psychologique aux éditions du Rocher qui retricote la figure d’un père rencontré sur le tard

Authier est un maître théier en décoction lente. Est-ce là, un effet de la ville rose sur sa plume à retardement ? Une forme de mélancolie avancée où ses personnages ont le temps de s’apprivoiser ou de se détester, de s’ignorer ou de s’enlacer. Qui l’emportera à la fin, l’amour filial ou la froide indifférence ? L’enfant triste ou le père absent ? Aucune brusquerie dans cette rencontre avec un inconnu, aucun emballement dans cette histoire de famille étouffée de secrets, une cuisson en papillote sous le soleil grimaçant du Midi, une écriture au plus près des sentiments, sans l’exagération coutumière des mauvais romanciers, sans esbroufe, pas de sensationnalisme ; Authier vinifie naturellement, il travaille sur les fruits sains ou gâtés, il s’approche à tâtons de ses faux héros, les laisse décanter, les laisse s’entrechoquer, comme si l’écrivain était lui-même curieux du résultat final. La fiction n’est pas une longue ligne droite. Tortueuse, elle est même capable de dérouter son propre créateur. C’est plus tard, en refermant Comme un père qui vient de paraître aux éditions du Rocher que le lecteur est heureux d’avoir assisté à cet alambic de sentiments contrastés. Heureux de retrouver dans cette rentrée littéraire de septembre, un roman de style en langue française, c’est-à dire avec des accents larbaldiens et une proximité de cœur avec Sagan, dans les méandres et le clair-obscur des bourgeoisies factices. Alexandre Berthet n’a jamais connu son père. Il n’en fait pas une maladie mais on ne raye pas un géniteur quel qu’il soit d’un trait vengeur. « Il aurait voulu le chasser de son esprit, mais l’on n’efface pas ainsi un père, même absent, même enfoui on ne sait où, peut-être décédé », écrit-il. La vie n’a pas épargné Alexandre ; très jeune, il a perdu sa mère, il a été ensuite confié aux bons soins d’une famille aimante. Si matériellement, il est à l’abri, il possède un bel appartement, il écrit des chroniques culturelles et prend des photos, on ne guérit jamais vraiment d’une enfance à trous. Elle rôde. Elle s’infiltre. Elle vient piquer l’intranquillité de l’être à intervalle régulier. Et puis, un jour, Patrick, ce père oublié, ce père ni fantasmé, ni détesté, refait surface à sa manière, désinvolte et empruntée, farceuse et agaçante, malhabile et inquiétante, grotesque et impossible. Une caricature des temps anciens, l’âge d’or des années 1980, hâbleur et décomplexé, un mirage dont il est bien difficile d’entrevoir une sincérité. « Depuis deux jours, il hébergeait un fantôme, un feu follet, un locataire, un inconnu », voilà comment Alexandre encaisse ce choc.
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Il observe les faits et gestes de cet homme. Il s’irrite de son comportement, de sa légèreté, parfois s’amuse de son côté pique-assiette ; très souvent, il ne comprend pas sa mécanique volatile. Sont-ils de la même lignée, du même sang ? Y-a-t-il quelque chose à comprendre avec les pères d’infortune qui débarquent à l’improviste quand minuit est déjà passé ? Ses tics de langage, son charme d’affairiste sur la paille, sa drague à l’ancienne dans les cafés, son inculture satisfaite, ses copains infréquentables et délicieux, tout ça le chagrine et l’aimante. Dans ses rêves les plus fous, il aurait voulu une explication franche, détaillée, argumentée sur son départ. Authier se méfie de la netteté, c’est un leurre qui crée une littérature sans jus, qui annihile les élans. Partons du constat que nous errons tous dans des sous-ensembles flous. Les hommes cheminent, cahin-caha, dans une existence brumeuse. Cette relation père-fils inexistante au départ peut-elle évoluer vers autre chose ? Le talent d’Authier n’est pas de clarifier, plutôt de teinter les zones d’ombre. Il excelle dans la description de ces cinquantenaires qui oscillent entre le ratage et la réussite, toujours sur le coup d’un contrat mirifique. Il érafle toutes les boursouflures progressistes, toutes les vaches sacrées des temps présents. Il égale Claude Sautet dans la mise en scène des déjeuners et des dîners. Chez Authier, on mange et on boit beaucoup. Son étude des caractères, notamment des bien-pensants, confinés dans leurs certitudes, lambrissés dans leur confort, est implacable. Jouissive. On voyage beaucoup de Sète à la Costa Brava en passant par le Lot. En filigrane, nos vieux amis, Déon, Blondin, Ronet et Patrick Sébastien prennent la pause dans cette aquarelle à la Marie Laurencin. Chez Authier, l’été indien dure et l’amour peut toquer au moment où l’on s’y attend le moins. La belle Mara jouera un grand rôle, elle est à la fois Romy et Lea Massari. Découvrez-la !
Comme un père de Christian Authier – éditions du Rocher 264 pages.
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