Ces dernières années, la collection « Cartoville » de Gallimard se démarque de ses concurrents Lonely Planet et Le Routard en proposant des petits guides cartonnés centrés sur des cartes claires et pratiques, conçus pour être utilisés directement sur place et quartier par quartier, ce qui correspond parfaitement aux voyages courts et spontanés d’aujourd’hui.
Tête de gondole de Gallimard Loisirs, Cartoville fête son quart de siècle. Avec deux nouveaux titres cet été : Bonifacio et Tirana. Et Liège, annoncé pour septembre. Il y a quelques mois, Memphis était mise à l’honneur. Paru en avril 2024, un guide Grand Paris a même débordé le périphérique. Un guide Turin est également sorti récemment. Sans compter les rééditions constamment remises à jour. S’il faut regretter quelques absences notables – par exemple La Havane ou Sao Paulo – Cartoville couvre environ 120 destinations. Autant dire que le fameux guide de poche concurrence sérieusement le fiable, nourrissant et volumineux Lonely Planet d’importation américaine, tout autant que l’impérissable Routard dont le style bidochon bonne franquette, façon « on est pote, j’te tutoie et j’te tape sur l’épaule », agace tellement la bonne langue et bafoue la distance courtoise, permanant hommage rendu à la plouquerie transhumante.
La carte et le territoire
Cartoville quant à lui coïncide à merveille avec l’époque du moyen-courrier low cost, du séjour en accéléré et des points de chute commodes d’accès : au contraire du guide de voyage traditionnel, conçu pour être consulté en amont du départ, annoté au fur et à mesure des repérages, parcouru à chaque étape du périple en guise de pense-bête et lu le soir sur l’oreiller pour faire montre, au retour, de l’immensité de sa culture générale, Cartoville coïncide avec l’instant présent : plaçant, comme son nom l’indique , la carte au cœur même de l’expérience, – sous le ciel exactement : on emporte avec soi, on a toujours en main cet outil de terrain, plus viatique de poche que vade-mecum, volume de petit format solide, miroir instantané de son itinérance personnelle.

Ce compagnonnage utilitaire – et fort utile en effet – se prête idéalement à la découverte immédiate, au caprice de la flânerie, à la baguenaude en territoire inconnu. C’est un guide pour les bons marcheurs, les arpenteurs de sentes non déflorées. Disons-le, la constance de son format, son ergonomie remarquable, son graphisme ultra clair, son chromatisme éclatant en fait un impeccable instrument pratique. Mais c’est fondamentalement l’organisation même du mince et solide livret, rigide et cartonné (au rebours de la traditionnelle organisation thématique, rubriquée, indexée), qui en fait l’originalité, sans équivalent dans le secteur du guide touristique : siglés A, B, C, D, etc. , Cartoville déplie au sens propre un à un quartiers urbains ou zones d’intérêt ; tout uniment et d’un seul tenant s’y découvre plans mis à l’échelle (50m,100m, 3km…), ressources annotées (hôtels, bars, shopping, restaurants, activités), vignettes photographiques, texte de présentation… Dans des villes à la topographie compliquée, comme Bucarest par exemple, on ne s’en passe pas. Idem dans le fourmillement des ruelles de Prague, ou sur les pentes des collines de Lisbonne.
Objet hybride
C’est au regretté Pierre Marchand (1939-2002) qu’on doit l’idée de Cartoville. Ce globe-trotteur invétéré – ouvrier agricole, mousse, apprenti typographe, vendeur d’aspirateurs, magasinier… – fonde le mensuel Voile et Voiliers, rejoint Gallimard en 1972 pour y diriger le département « Jeunesse », y lance les collections 1000 soleils (1972), Folio Junior (1972), la fameuse, hélas défunte collection Découverte Gallimard (1986) dont on s’arrache toujours les incunables dans les librairies d’occasion, initie une politique de co-éditions, crée les Guides Gallimard, avant de partir pour Hachette en 1999, alors même que les premiers Cartoville paraissent au tournant du millénaire : Paris, Londres, Rome, Barcelone…
Objet hybride entre livre et plan de ville, sésame de l’urbain par le vecteur de la carte, Cartoville poursuit sa révolution – à tous les sens du terme. En 2022, sous la houlette de son actuel directeur Vincent Grandferry, il a fait l’objet d’une importante refonte graphique, toilettage indispensable qui détermine aujourd’hui, avec ces codes couleurs contrastés, ses pictogrammes, ses numérotages et repères d’une grande clarté, la pérennité d’une collection unique en son genre – authentiquement inimitable.
En librairie : Cartoville Tirana et L’Albanie, Bonifacio, etc. Voyages Gallimard, 2025.




