Accueil Culture Ardisson – un souvenir

Ardisson – un souvenir

Thierry Ardisson, surtout un grand pro


Ardisson – un souvenir
Thierry Ardisson durant l'Ardinight l'emission mensuellle de battle de playlist , 22h a 1h00 sur RFM , a Paris, France, le 29 Avril 2021. JP PARIENTE/SIPA

Invité trois fois sur le plateau de Tout le monde en parle, Dominique Labarrière se souvient de l’animateur de cette émission culte et rend hommage, non seulement à son charisme, mais aussi à son professionnalisme.


Il se trouve que j’ai participé à trois reprises à l’émission culte de l’homme en noir sur France 2, Tout le monde en parle. Deux fois pour accompagner un auteur de la maison d’éditions pour laquelle je travaillais à ce moment-là, et surtout une fois en tant qu’invité pour mon essai sur la mort de Pierre Bérégovoy, Cet homme a été assassiné, publié à la Table Ronde par notre ami Denis Tillinac, de subtile et joyeuse mémoire.

Je garde naturellement un souvenir très précis de cette expérience. 

La veille de l’émission, un membre de l’équipe de production vous appelait pour s’enquérir de vos goûts alimentaires, des tabous ou régimes à respecter. En effet, vous arriviez assez tôt, vers vingt et une heure, je crois, dans les immenses hangars-studios de la Plaine Saint-Denis. Là, vous étiez accueilli en VIP, conduit à une loge qui vous était exclusivement réservée pour toute la soirée, très longue soirée le plus souvent. Une personne passait très régulièrement vous proposer du champagne, des mets… Un impératif, donc, être patient, car vous pouviez fort bien passer à plus de minuit, voire une heure du matin.

A lire aussi : Ardisson, ce fils de pub

Ce fut mon cas, cette fois-là. Toujours entre les mains de personnes d’une exquise gentillesse, on me conduisit au maquillage. C’était vers minuit…

De nouveau l’attente. L’attente du fameux convoité mais redouté passage. 

Pour tenter de tromper mon impatience, je me mets à déambuler dans le couloir, long couloir. Sacha Distel, autre invité de l’émission, fait de même. Nous nous croisons, petit salut. Une fois, deux fois, à la troisième, Distel, manifestement tendu, m’aborde.

         – Vous êtes là pourquoi, vous ?

         – Pour mon bouquin sur la mort de Bérégovoy.

         – Alors c’est vous ou moi, s’énerve le chanteur. Moi, je suis ici pour un album jazz à la guitare. Pas mon registre habituel de variétés…

         – Vous avez dit vous ou moi ?

         – Oui. À chaque émission, ils flinguent un invité. C’est Baffie qui s’en charge en général. Et là, je vous dis que ce sera vous ou moi !

Je passe mon chemin. Jusqu’à cet instant, j’étais plutôt serein, tranquille, mais plus du tout après ce bref échange. Je panique. Sûr, ils ne vont pas « flinguer » Distel, donc c’est moi ! Trop tard, évidemment pour se débiner.

Je retourne dans ma loge. Petit coup de champagne qui ne me fait aucun bien. Distel passe peu après, comme on ne l’éreinte pas le moins du monde, ce ne peut être que pour ma pomme. CQFD.

Enfin, on vient me chercher. Nouvelle attente de quelques minutes au seuil du plateau. Comme par hasard, il y a trois ou quatre marches à monter puis autant à descendre avant de prendre place, ébloui par les projecteurs, sur le siège qu’on vous a désigné. J’ai beau respirer à fond, je ne suis pas au top. Pas du tout.

L’accueil plateau, musique à fond, votre nom lancé comme celui d’une star par l’animateur, de sa voix forte, singulière. Puis l’interview commence. 

A lire aussi : Barbie au bûcher

Et là, à l’instant même, par un petit quelque chose que je ne saurais vraiment expliquer et encore moins décrire, Ardisson me fait comprendre que ce sera sérieux, respectueux. Et cela l’a été en effet.

Je crois que de toutes les interviews que j’ai eues sur ce livre – et Dieu sait qu’il y en a eu ! – pas un seul journaliste n’avait autant travaillé le sujet. Pas un ne s’est montré autant professionnel, précis, rigoureux. J’ai vite compris que le sniper Baffie ne serait pas de la partie. Il écoutait, attentif, lui aussi respectueux. En effet, il n’intervint pas. Seule Claude Sarraute qui était là me posa une question, toute professionnelle d’ailleurs. Pas une fois Ardisson ne m’a interrompu, j’ai pu répondre à ma guise, développer chaque point.

Un bonheur, vraiment. 

Pourtant, ce dossier-là était complexe, délicat, extrêmement sensible à ce moment-là. Il fallait un très grand professionnel pour le traiter sans tomber dans le clinquant, la caricature, l’accusation facile de complotisme. Thierry Ardisson fut bel et bien en la circonstance ce grand professionnel-là. Très au-delà du banal provocateur qu’on a trop volontiers voulu voir en lui, y compris, parfois, ces derniers jours. C’était un très grand pro, vraiment. Voilà, très modestement, l’hommage que je me permets aujourd’hui de rendre à sa mémoire.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent L’arasement de la majesté
Article suivant A Ré, un bain de musique après le bain de mer
Ex-prof de philo, auteur, conférencier, chroniqueur. Dernière parution : « Je suis Solognot mais je me soigne » éditions Héliopoles, 2025

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération