Accueil Monde «Cruella Braverman», la ministre britannique qui pense que la Convention de Genève sur les réfugiés n’est plus adaptée à l’époque

«Cruella Braverman», la ministre britannique qui pense que la Convention de Genève sur les réfugiés n’est plus adaptée à l’époque

Elle n'est pas non plus friande du "multiculturalisme", et n'a pas honte de le dire


«Cruella Braverman», la ministre britannique qui pense que la Convention de Genève sur les réfugiés n’est plus adaptée à l’époque
Suella Braverman devant les membres de l'American Enterprise Institute, Washington DC, mardi 26 septembre 2023. © Kevin Wolf/AP/SIPA

La ministre de l’Intérieur britannique, Suella Braverman, a défrayé la chronique cette semaine, lors d’un discours donné à Washington DC sur l’immigration, qu’elle a qualifiée de « défi existentiel » pour l’Occident.


« La migration illégale et incontrôlée » constitue « un défi existentiel pour les institutions politiques et culturelles de l’Occident ». Cette vérité archi-simple, que la plupart de nos politiques ne veulent pas reconnaître et qu’ils ont même peur d’évoquer, est sortie de la bouche de la ministre de l’Intérieur britannique Suella Braverman, cette semaine. Ses propos francs ont provoqué l’ire de bon nombre de ses opposants en Grande-Bretagne, ainsi que d’artistes, surtout lorsqu’elle a remis en cause la Convention relative au statut des réfugiés – en accord avec son gouvernement.

Haro sur les traités et le multiculturalisme

Dans un discours donné le mardi 26 septembre, au think tank conservateur, American Entreprise Institute, à Washington DC, elle a enchaîné en exprimant une autre vérité qui devrait aller de soi : le « dogme du multiculturalisme » est un échec car il « n’oblige nullement les nouveaux arrivants à s’intégrer » et « il permet à des gens de venir s’installer dans notre société et d’y vivre une vie parallèle ». La conclusion qu’elle en a tirée est que les démocraties occidentales devraient remettre en cause et réviser les traités internationaux qui empêchent les nations de maîtriser leurs frontières : « Les politiques et les leaders d’opinion sont dans l’obligation de demander si la Convention relative au statut des réfugiés, et la façon dont elle a été interprétée au fil du temps par les tribunaux, est adaptée à notre époque moderne. Ou si elle a besoin d’être réformée ».

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Le bon sens même ? Avec une prévisibilité totale, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), des ONG diverses et variées, et même le chanteur, Sir Elton John, se sont immédiatement jetés sur les propos de la ministre pour les condamner. Le HCR a nié que la Convention ait le moindre besoin d’être réformée ou même modifiée, tout en soulignant « le principe de partage des responsabilités » – autrement dit, le principe selon lequel chaque pays est obligé de traiter comme un réfugié toute personne sur son sol qui se prétend persécutée dans son propre pays.

« Cruella Braverman »

C’est le nouveau surnom très original donné cette année à la ministre britannique, en référence à la méchante des 101 Dalmatiens. Effectivement, Suella Braverman n’a jamais mâché ses mots sur la question migratoire. Et cette fois-ci, en affirmant qu’il ne suffit pas d’être gay ou femme pour obtenir le droit d’asile au Royaume-Uni, elle ne s’est pas fait beaucoup d’amis, bien au contraire. La chaîne Tiktok Screenshot, qui promeut les droits des femmes et des LGBTIQIA+ a dénoncé les propos « scandaleux » de Mme Braverman. La députée travailliste Yvette Cooper, ministre de l’Intérieur du cabinet fantôme du Labour, a dénoncé des propos « profondément clivants […] indignes de sa fonction », accusant Mme Braverman « d’avoir tellement perdu le contrôle de la politique de droit d’asile chaotique du Parti conservateur, qu’elle s’en prend aux personnes LGBT, dont elle fait des bouc-émissaires. » Même cette dialectique-là n’a pas semblé fonctionner dans l’espace médiatique britannique, ce qui est bien une nouveauté.

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Mais il faut noter que le Parti travailliste est de moins en moins opposé aux conservateurs sur le sujet migratoire, à défaut de pouvoir avancer des propositions crédibles sur le sujet, lequel fait partie des trois premières priorités des Britanniques aujourd’hui. Pour autant, les conservateurs sont en panne de crédibilité eux-aussi : leurs promesses d’arrêter l’immigration après le Brexit est un échec et leurs vociférations publiques contre les migrants illégaux ont rarement été suivies d’accomplissements concrets jusqu’à maintenant. Le projet très contesté d’envoi des migrants au Rwanda, entamé par Boris Johnson en avril 2022, en est le principal exemple.

Dérives d’interprétation

La Convention relative au statut des réfugiés, signée en 1951 et entrée en vigueur en 1954, avait pour objectif de résoudre les grandes difficultés qui ont suivi la fin de la Seconde guerre mondiale en 1945, fin qui a vu de très nombreuses personnes déjà déplacées ou désormais obligées de se mettre sur les routes. En 1967, le Protocole relatif au statut des réfugiés, adopté par la majorité des signataires de la Convention, a mis fin à toute restriction géographique et temporelle, en généralisant le système et les obligations qu’il imposait aux nations. L’obligation centrale permet à une personne se trouvant dans un pays étranger de faire valoir son droit d’asile si elle craint d’être « persécutée » en retournant dans son pays d’origine.

L’argument de Mme Braverman est le suivant : la jurisprudence des tribunaux a introduit petit à petit une dérive dans l’interprétation de cette obligation. Le critère fondamental pour prétendre au statut de réfugié est devenu moins la persécution que le fait d’être l’objet d’une forme de discrimination. Selon la ministre, être homosexuel ou une femme dans certains pays entraîne une discrimination mais ne suffit pas pour définir le statut de réfugié.

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Certes, le choix de ces exemples était peut-être imprudent et, nous l’avons vu, Braverman fut très critiquée. Cette dernière a alors tenté de se défendre par la suite en affirmant qu’elle parlait de migrants qui se prétendaient homosexuels pour avoir le statut de réfugié. Mais le principe n’est pas faux : selon la nouvelle interprétation de la Convention, on pourrait transférer en Europe ou Amérique du Nord une grand partie de la population de nombreux pays dans le monde. Mais où pose-t-on donc les limites ? Et, selon une objection justifiée qui est fréquemment soulevée, comment distinguer entre ceux qui fuient la persécution et ceux qui cherchent une vie meilleure sur le plan économique ?

Surtout, la ministre a raison de nous rappeler que tout pays voulant maîtriser ses propres frontières doit maîtriser les instances internationales qui, par un tropisme congénital, se considèrent comme les ennemies des frontières. Pour dompter ces institutions, il faut que les nations s’unissent (quelle ironie !) pour identifier l’obstacle et le surmonter.



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