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Comparer la France à l’Iran, la tribune honteuse signée par Annie Ernaux

mais aussi Assa Traoré, Judith Butler, Éric Fassin, Adèle Haenel, Fatima Ouassak, #NousToutes, le Planning Familial etc.


Comparer la France à l’Iran, la tribune honteuse signée par Annie Ernaux
Annie Ernaux © Hannah Assouline

Notre chroniqueuse est tombée sur une tribune, sur le Club de Mediapart, qu’elle a trouvé honteuse et choquante car elle récupère le combat des femmes iraniennes pour le dépouiller de son sens et le remplacer par un salmigondis indigeste en novlangue militante progressiste qui dénonce l’ « islamophobie » supposée de la France.


Pendant qu’en Iran, les femmes se font violenter, violer et tuer par la théocratie iranienne car elles rejettent violemment le voile, un outil sexiste qui symbolise leur condition d’inférieure et l’impureté de leur corps, en France, quelques petites bourgeoises ultra-privilégiées froncent le nez.

Femme, Vie, Liberté !

Ces femmes Iraniennes, qui affirment que la liberté et les droits des femmes sont incompatibles avec le port du voile, ridiculisent une gauche néo-féministe qui fait de l’islam son nouvel horizon, des musulmans ses nouveaux opprimés et de la « liberté de porter le voile » un combat pour l’émancipation. Toutes ces postures sont ridiculisées par le courage et la force des Iraniennes qui désignent clairement le voile comme le symbole de leur oppression et montrent à la face du monde à quel point ce signe est sexiste et porteur de violences à l’égard des femmes.

Mais, nos petites bourgeoises parisiennes n’en ont cure. Pour Annie Ernaux, Assa Traoré, Adèle Haenel, Judith Butler mais aussi le Planning familial ou les Soulèvements de la terre, s’opposer au port du voile, c’est être islamophobe ! Alors, les militantes ont décidé de faire taire les Iraniennes, de nier leurs revendications et de les remplacer par les leurs. C’est ainsi que les voix autoproclamées du bien, du bon et du juste ont rédigé une tribune où le ridicule le dispute à la mauvaise maîtrise du français et à la phraséologie indigeste. En gros, il s’agit de faire un parallèle entre l’Iran et la France pour expliquer que les deux Etats répriment de la même manière les révolutions anticapitalistes qui s’y déroulent.

Un texte écrit avec les pieds

Oui, parce que non contente d’être écrite avec les pieds, on suppose que fort peu de neurones ont été sollicités pour une aussi mauvaise production.

Commençons donc par l’évacuation du cœur du combat des Iraniennes : leur refus du voile. « Au fil des mois et face à une répression sanguinaire, l’insurrection n’a cessé de se transformer. (…) Les organisations syndicales ont réclamé dans un communiqué unitaire historique des conditions de travail décentes, la fin des politiques écocides, de l’armement nucléaire, de la privatisation des espaces naturels; mais aussi l’égalité politique pour les femmes, les minorités ethniques, nationales et les LGBTQIA+. » Ouf ! le mot « voile » est évacué et la question de la femme ramenée au niveau d’un combat subalterne. Séquence déni parfaitement réussie.

Mais au cas où de vilains réactionnaires n’aient pas compris le message, nos grandes consciences progressistes vont le marteler. Je cite toujours les auteurs de la tribune : « La question n’est pas de porter ou non le voile. On ne le répètera jamais assez dans le contexte islamophobe français : c’est aux femmes de le décider pour elles-mêmes. Ce qui est en jeu dans le voile obligatoire en Iran, c’est le contrôle et l’assujettissement de tous les corps par l’État, dans l’objectif, pour une minorité, de s’accaparer les ressources. »

À partir de là, la rédactrice a dû retrouver de quoi fumer en aspirant sa moquette, car sa plume s’exalte, s’échauffe. Le mauvais lyrisme y gagne ce que la maitrise du français y perd. Il est d’ailleurs désolant qu’une écrivaine à qui a été donné le prix Nobel de littérature signe d’aussi mauvais textes… Mais jugez plutôt : « La République Islamique gouverne à travers un apartheid de genre et un racisme d’État. Elle ne tient que par le déploiement effréné d’un maintien de l’ordre ciselé selon les coordonnées raciales des populations à mettre au pas. » Vous n’avez rien compris à la dernière phrase ? C’est normal, elle ne veut rien dire. Après ce chef-d’œuvre abscons vient le cœur du propos : virer les Iraniennes-prétextes pour faire le procès de la France : « Toutes ces techniques infusent l’économie coloniale globale. Les vies ne se valent pas : cette réalité a été rappelée en France en juin 2023 par le meurtre de Nahel et la répression sanglante des mouvements de révolte qui ont suivis. » Je traduis : la France c’est comme l’Iran, en pire. Ici, on exécute les gens dans la rue. « Les pouvoirs occidentaux n’ont eu alors à la bouche qu’admiration pour le « courage des femmes iraniennes, tout en déroulant le tapis rouge à un féminisme libéral, islamophobe, et transphobe, qui prenait bien soin de séparer la lutte pour les droits des femmes de celles contre l’ensemble des oppressions contestées par les soulèvements révolutionnaires en Iran. » Pour ces enfants gâtés, l’égalité – qui est pourtant à la base de notre contrat social – et la question du droit des femmes ne sont pas de vrais problèmes. Refuser l’égalité au nom de la couleur de peau est une horreur. La refuser au nom du sexe, ça se discute si c’est l’islam qui l’exige. Bref la démocratie, l’égalité, rien de tout cela n’est réel.

Aucune différence entre une dictature islamique et une république laïque : « Car ce à quoi nous avons à faire ici comme là-bas, ce sont, sous des modalités différentes, des appareils d’États aux mains de franges radicalisées de la bourgeoisie, dont les discours, religieux ou laïcs, recouvrent de plus en plus mal un projet similaire et concurrent de captation des richesses et d’exploitation de tout ce qui est vivant. »

Allez, un dernier passage pour la route ?

« Il ne nous est jamais apparu aussi clairement que les discours sécuritaires, dont nous abreuvent quotidiennement les médias possédés par une oligarchie réactionnaire, désignent en réalité la sécurité des pelouses de golfs. Sécurité pour le capital jusqu’à ce que le monde crève. » Même Mediapart a trouvé le texte intellectuellement indigent, et l’a mis sur son blog et pas dans le journal.

Cette histoire peut sembler anecdotique, mais elle ne l’est pas

Notre collectif de dindes en faveur de Noël ne représente pas grand-chose, et, même si Annie Ernaux est prix Nobel, cela n’a pas tant marqué les Français. Elle n’est pas Camus et la France a été globalement indifférente à cet honneur qu’elle n’a guère compris.

Donc, cette tribune aurait pu n’être que ridicule, mais elle résonne avec une petite musique qui s’élève. Celle du « french bashing » et, surtout, celle qui fait passer la liberté religieuse avant tout. Or, il n’y a pas de liberté au sein de l’islamisme. La religion justifie le refus de l’égalité, à raison du sexe, de la pratique religieuse. Elle est incompatible avec une société politique fondée sur l’égalité. Il y a peu, à propos de l’interdiction du hijab par la France pour les JO de 2024, la porte-parole du haut-commissariat aux droits de l’homme de l’ONU a dit : « De manière générale, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme estime que personne ne devrait imposer à une femme ce qu’elle doit porter ou non. » Or, Si Marta Hurtado a sorti grandes orgues et violons, ce n’est pas pour défendre la liberté et l’égalité des femmes iraniennes, c’est pour tenir la main de leurs bourreaux et les aider à mieux les ensevelir sous le hijab. En effet, si l’ONU se laisse pousser le courage, ce n’est pas pour s’en prendre aux mollahs, mais pour attaquer la France. Notre crime : avoir interdit aux athlètes françaises de porter le voile islamique aux Jeux Olympiques en France.

Pour cela, la porte-parole du Haut-Commissariat reprend les éléments de langage des islamistes canal Frères musulmans ou des auteurs de la tribune de Mediapart et présente donc un asservissement réel comme une liberté : celle de s’habiller comme on le veut. Sauf qu’un uniforme/symbole comme le voile n’est pas un vêtement, c’est une marque de soumission et un message univoque adressé à l’extérieur. Avec le voile, il n’est pas question du choix vestimentaire des femmes mais bel et bien de mise en avant du refus de l’égalité à raison du sexe.




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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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