Dans son dernier rapport, le CAE expose au gouvernement un large éventail d’économies possibles. Mais certaines questions demeurent taboues, déplore cette tribune.
Placé auprès du Premier ministre et composé d’économistes universitaires, le Conseil d’analyse économique (CAE) a pour mission, si l’on en croit le site internet de l’institution, « d’éclairer, par la confrontation des points de vue et des analyses, les choix du gouvernement en matière économique ». Il est censé réaliser « en toute indépendance », des analyses économiques pour le gouvernement, et les rend publiques.
Tax force
Dans sa dernière livraison (Comment stabiliser la dette publique ? CAE, Focus n°124, 16 octobre 2025), le CAE s’efforce de recenser les pistes envisageables pour réduire la dette publique. Il évalue tout d’abord à 112 Md€ (soit un peu plus que trois points de PIB) l’effort pérenne d’ajustement budgétaire à réaliser – par le biais d’une hausse des recettes ou une baisse des dépenses – pour stabiliser la dette publique. Cette première partie de la publication n’appelle guère de commentaires : tant en termes de méthode que d’ordre de grandeur des résultats, le CAE se place dans le prolongement de nombreux travaux déjà disponibles par ailleurs, notamment ceux du Haut conseil pour les finances publiques (HCFP) ou ceux du site Fipeco animé par François écalle.
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S’agissant des pistes de hausses des recettes et de réduction des dépenses, le CAE prétend réaliser « un travail de synthèse » s’appuyant sur « un large corpus de rapports institutionnels, d’études académiques et d’analyses de différents groupes de recherche ». Du côté des recettes, le CAE identifie presque une centaine de mesures qui pourraient générer au total jusqu’à 111 milliards de recettes supplémentaires chaque année ! Pour n’en citer que quelques-unes : l’augmentation d’un point du taux de CSG et des taux de TVA, la réintroduction de la taxe d’habitation et de l’ISF, l’augmentation d’un point de tous les taux d’impôt sur le revenu, l’augmentation de 8,5 points de l’impôt sur les sociétés, la taxation accrue de l’héritage, la fin de la défiscalisation du gazole non routier… Le CAE prend garde à ne pas omettre la « taxe Zucman », même s’il évite prudemment de la mettre en avant.
Oublis
Quand il s’agit d’augmenter les impôts, certains, à l’université ou dans des organismes officiels, ne semblent donc décidément pas manquer d’imagination. Mais on peut se demander s’il est bien raisonnable de proposer de nouvelles hausses d’impôts en France, au moment même où notre pays présente à la fois la part des dépenses publiques dans le PIB la plus élevée de tous les pays de l’OCDE (57,3 % du PIB en 2024) et le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé (43 % en 2024), ce que la publication du CAE se garde de rappeler. Il peut être tentant, pour le gouvernant qui souhaite s’épargner un effort réel de réduction des dépenses, de céder à la facilité qui consiste à raboter les niches fiscales ou à alourdir la fiscalité sur les plus aisés, en s’appuyant sur l’argument selon lequel certains individus seraient moins lourdement taxés que d’autres. Nous pensons au contraire que dans la situation qui est celle de notre pays à présent, la réduction massive des dépenses constitue la seule voie pertinente pour maîtriser la dette dans la durée, et que l’engagement à ne pas augmenter quelque impôt que ce soit, voire les baisser, est nécessaire pour crédibiliser une démarche sérieuse de redressement des finances publiques.
Du côté des dépenses, le CAE montre nettement moins d’empressement et d’insistance que pour les recettes à recenser l’ensemble des pistes d’économie qui ont pu être évoquées sur la place publique. Vous ne trouverez pas trace, dans ce document du CAE, de possibles économies sur l’aide au développement, ou encore des recettes que pourrait générer une privatisation de l’audiovisuel public. Il n’y a pas non plus la moindre suggestion de tenter de négocier auprès de Bruxelles un rabais sur notre contribution au budget de l’UE, ce que font pourtant de longue date – avec succès – l’Allemagne et les Pays-Bas. Pas de remise en cause non plus des dizaines de milliards de subventions aux véhicules électriques, aux panneaux photovoltaïques et aux éoliennes, subventions versées sans effet autre que très symbolique sur le niveau de CO2 dans l’atmosphère. On n’y trouve pas davantage la proposition pourtant émise par plusieurs partis politiques de conditionner à une durée minimale de séjour régulier en France la possibilité pour les étrangers de percevoir des aides sociales, une disposition qu’appliquent pourtant plusieurs autres pays de l’UE. Le CAE ne se donne même pas la peine d’évoquer un possible coup de rabot – sans aller jusqu’à parler d’une suppression pure et simple – de l’Aide médicale d’État (AME), qui a pourtant fait l’objet de rapports officiels.
Pincettes
Le CAE évoque les effets bénéfiques que présenterait un relèvement du taux d’activité des seniors – nous acquiesçons – mais ne s’interroge pas sur le gâchis que représente, pour la collectivité et pour les intéressés eux-mêmes, l’absence de sélection à l’entrée à l’université, où plus de la moitié des étudiants échouent et abandonnent avant d’avoir obtenu le moindre diplôme. La question de la fraude aux prestations sociales est certes abordée, mais avec des pincettes, et sans que le CAE ne juge utile de s’interroger sur les incohérences du discours officiel (soulevées entre autres par Charles Prats) face aux millions de cartes Vitale surnuméraires.
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Si le nombre de mesures d’économies est conséquent, leur ampleur est souvent limitée, par exemple quelques dizaines de millions pour les associations, quelques dizaines de milliers de postes administratifs à comparer aux centaines de milliers créés au cours des dernières décennies. Certains domaines sont contournés : soutien à l’Ukraine, multiplicité d’agences souvent controversées, par exemple dans l’audiovisuel, l’écologie ou encore l’immigration.
Il faut donc croire que pour le CAE, certaines questions sont taboues, celles précisément dont le traitement – ou plus exactement le non-traitement – par le pouvoir et par les élites heurte le bon sens de nos concitoyens. On n’ira pas ici jusqu’à proposer la suppression du CAE lui-même, qui coûte sans doute sensiblement moins cher à la collectivité que France Télévisions, mais la façon dont le CAE évacue les questions qui fâchent ne nous semble hélas pas de nature à réconcilier le peuple et ses élites.
Enfin, il est fait référence à des réformes structurelles débouchant sur une baisse notable du chômage ou encore sur un redressement des gains de productivité, le tout rehaussant la croissance et au-delà les recettes publiques. Comment les hausses d’impôts envisagées pourraient-elles stimuler l’investissement, l’innovation et in fine l’activité économique ? Cela reste assez mystérieux.
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