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Politique israélienne: Bennett était le choix le plus casher


Politique israélienne: Bennett était le choix le plus casher
Le nouveau Premier ministre israélien Naftali Bennett le 13 juin à l'assemblée, Jérusalem © Ariel Schalit/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22576220_000023

Elu avec une seule voix d’avance à la Knesset, le Premier ministre Naftali Bennett est le seul à pouvoir incarner la synthèse politique considérée comme l’unique ciment possible de la nouvelle coalition hétéroclite de l’Etat hébreu. Mais attention, même si les juges veulent le voir, Netanyahou n’est pas définitivement écarté du jeu politique. L’analyse de Gil Mihaely.


La situation politique en Israël semble toujours très compliquée. Elle l’est sans doute, mais pas forcément là où on croit.

Idéologiquement, une majorité claire de l’électorat israélien soutient depuis plus d’une décennie la politique de Netanyahou : ne rien céder aux Palestiniens, libéraliser l’économie et renforcer le parlement aux dépens de la cour constitutionnelle. Si Netanyahou n’est pas depuis plus de deux ans à la tête d’un gouvernement appuyé sur une coalition réunissant les deux tiers des députés de la Knesset, c’est pour une seule raison : lui-même.

En une longue décennie de pouvoir, il s’est forgé une base solide d’électeurs fidèles qui lui vouent une véritable admiration – il a des groupies que même Trump pourrait lui envier ! –  mais en même temps il a transformé presque tous ses proches et collègues en ennemis jurés. Sans même évoquer ses « casseroles » et son procès pour corruption, il suffit de regarder ceux qui l’ont fait tomber pour se faire une idée de sa façon de faire de la politique.

Avigdor Lieberman le premier cogneur

Parmi tous ces Brutus, le premier à frapper fut Avigdor Lieberman. Proche et allié de Netanyahou depuis 1988, année où ce dernier rentre de New York après avoir représenté Israël comme ambassadeur aux Nations Uniers, Lieberman l’avait accompagné sur le chemin du pouvoir. Quand Netanyahou a été élu Premier ministre en 1996, Lieberman est son chef de cabinet.

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Pendant une longue décennie, il demeure l’homme fort de « Bibi » au Likoud. Mais à un moment donné, vers la fin de la décennie 2000, Netanyahou – et peut être son entourage familial proche – a commencé à voir dans Lieberman une menace, un homme aussi compétent qu’ambitieux, un fardeau plus que le précieux actif politique qui attire le « vote russe » vers le Likoud. Blessé, Lieberman fonde alors « Israel Beytenu », un parti dont l’électorat est composé essentiellement d’Israéliens immigrés de l’ex-URSS venus dans les années 1980-1990. D’abord « allié naturel » mais indépendant de Netanyahou, Lieberman décide que le moment de faire tomber Bibi est arrivé après les élections de 2019. Il le prive alors de son soutien et donc d’une majorité, lançant la séquence de quatre législatives que le pays a connu en deux ans de paralysie politique.

Difficile de savoir si Lieberman avait un plan de bataille bien défini, mais on explique très bien l’analyse politique qui a été la sienne. Il a compris que pour la droite israélienne comme pour ses propres ambitions, Netanyahou était devenu un obstacle. « Bibi » tient le pouvoir et le Likoud – première force politique en Israël – mais sa personnalité et son comportement empêchent la droite de gouverner de manière stable. De tout temps, partout où il exerce le pouvoir, Netanyahou bloque la montée de personnalités fortes, au Likoud comme dans ses gouvernements. Partout où il est au pouvoir, c’est Netanyahou et les sept nains !

Le Likoud affaibli, Naftali Bennett nouveau Premier ministre

L’échec de Netanyahou à contourner l’obstacle Lieberman avec des élections à répétition a fini par fissurer le Likoud. Gideon Saar, la dernière personnalité du Likoud à défier ouvertement Netanyahou s’est jeté à l’eau il y a six mois. Avec un autre membre important du parti, Zeev Elkine, il a fondé le parti Nouvel Espoir qui s’est présenté avec un succès modéré aux dernières élections.

Enfin, Naftali Bennett, le nouveau Premier ministre israélien depuis dimanche, a lui aussi commencé sa carrière politique comme proche conseiller de Netanyahou dans les années difficiles ayant suivi la défaite du Likoud aux élections de 2006. Ancien membre de la même unité d’élite que Netanyahou (et de son frère tué à Entebbe en 1976) et d’Ehud Barak, Bennett est croyant pratiquant. Religieusement modéré, il appartient au courant idéologique et politique du nationalisme religieux auquel appartient le noyau dur des Israéliens habitant en Cisjordanie. Pour Netanyahou, cet entrepreneur talentueux issu d’un groupe stratégique d’électeurs, qui a fait fortune dans les nouvelles technologies, aurait dû être un cadeau inespéré. Or, après deux ans aux côtés de « Bibi », Bennett a à son tour été éloigné ! Selon la presse israélienne, il avait fortement déplu à Madame Netanyahou, ce qui – même si c’est vrai – n’ôte rien de la responsabilité du mari dans cette nouvelle grosse erreur politique. A partir de ce moment-là, l’entrepreneur en high-tech se lance dans l’entrepreneuriat politique avec son partenaire de toujours Ayelet Shaked (encore une autre qui est bannie des Netanyahou). Plusieurs mouvements et partis sont créés. Ils se retrouvent au cœur du jeu politique aux dernières élections du 23 mars malgré seulement six députés élus sur 120.

Lieberman doublé par Bennet au finish

Seul Naftali Bennett possède et incarne la synthèse politique considérée comme l’unique ciment possible pour la coalition hétéroclite – allant d’une gauche à la « Benoit Hamon » à une droite à la « Fréderic Poisson » – qu’il dirige depuis dimanche soir. L’objectif et la « colle » la plus puissante de cette nouvelle majorité est certes la volonté de mettre Netanyahou hors-jeu politiquement, mais cela ne donnera aux gouvernants ni la légitimité de l’action ni la capacité de se faire entendre par une majorité de l’électorat israélien. On peut dire que Bennett avec sa (petite) kippa et son passé de leader des colons est tout simplement le candidat le plus « casher » d’un bloc politique anti-« Bibi ». C’est pour cette raison que tous les autres, à commencer par Yaïr Lapid, chef du plus grand parti de ce bloc (Yesh Atid), lui ont cédé la voie dans le cadre d’un mécanisme de rotation. Lapid remplacera Bennett – si Dieu le veut – à la tête de l’exécutif dans deux ans.

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Avigdor Lieberman s’est probablement imaginé à la place de Bennett quand il a initié le processus d’élimination de Netanyahou il y a deux ans, mais c’est donc ce jeune de 49 ans au parcours « atypique » qui y est parvenu. Mais rien n’est définitivement joué.

Le procès de Netanyahou se déroule depuis déjà un an, et une décision n’est pas attendue avant fin 2022. Dans le cas d’une condamnation, Netanyahou pourrait faire appel et retarder le verdict définitif d’un an encore, voire plus. Et puisque dans l’état actuel du droit israélien seul un verdict définitif peut empêcher un député d’être Premier ministre, la neutralisation politique de Netanyahou par voie juridique n’est pas à l’ordre du jour dans les deux ou trois années à venir sauf changement de la loi. Tous ces anciens proches de Netanyahou (Lieberman, Saar, Bennett et quelques autres) n’ont qu’un espoir : que les membres de Likoud, refroidis par les fauteuils de l’opposition, comprennent que c’est l’homme qui les dirige depuis quinze ans qui les empêche de retrouver leurs maroquins ! Deux d’entre eux commencent déjà à manœuvrer mais avec la prudence des chefs du parti communiste de l’URSS pendant les dernières 48 heures de la vie de Staline. Le leadership de la droite est le prix le plus prestigieux de la politique en Israël. Et la saison de la chasse va bientôt commencer. 




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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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