Accueil Économie Elisabeth Borne à Mayotte : rentrée scolaire sous haute tension

Elisabeth Borne à Mayotte : rentrée scolaire sous haute tension

Une criminalité omniprésente que l’État peine à endiguer


Elisabeth Borne à Mayotte : rentrée scolaire sous haute tension
Des manifestants expriment leur mécontentement face à la pénurie d'eau et à l'insécurité, Mayotte, le 8 décembre 2023. A l'époque, Elisabeth Borne était Première ministre. GREGOIRE MEROT/SIPA

La ministre de l’Éducation nationale est attendue aujourd’hui à Mayotte. Son accueil risque de ne pas être des plus chaleureux, car Paris n’est toujours pas arrivé à régler les problèmes d’insécurité qui empoisonnent la vie des habitants, notamment en ce qui concerne les transports scolaires. Le fond du problème est d’ordre économique.


Lundi 18 août la ministre d’État, ministre de l’Éducation nationale, Elisabeth Borne, se déplace à Mayotte pour évaluer le dispositif de la rentrée huit mois après Chido et quelques jours après le vote final de la loi « Mayotte Debout ». Sur place, la colère gronde avec des craintes en particulier sur la sécurité des élèves dans les transports alors que certaines entreprises ne sont pas payées depuis des mois pour leurs prestations de sécurisation dans les transports publics. 

« Nous attendons depuis février que la Cadema [communauté d’agglomération de Dembeni-Mamoudzou] nous paye mais rien ne vient. Nous sommes face à un mur de silence » déplore, amer, Stéphane Labache, dirigeant de la société de sécurité, RSP Sécurité, basée à Mamoudzou et Saint-Denis à La Réunion. Sa mission ? Protéger les transports urbains, utilisés notamment, mais pas exclusivement, par les scolaires de la Cadema. 

Maillon essentiel de la sécurité dans les transports publics 

Un maillon essentiel du dispositif de sécurité dans l’île face à une criminalité installée partout et que l’État peine à endiguer. Depuis plus de sept mois, cette société, dépositaire du marché public de sécurisation et de prévention des transports de l’agglomération depuis la rentrée 2024, n’a connu aucun règlement des prestations réalisées et les dernières ont tout simplement été refusées par la Cadema dans le logiciel Chorus, interface de gestion factorielle entre entreprises et collectivités.

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Ces impayés des collectivités locales menaçant salariés et survie des entreprises sont légion sur l’île et dénoncées depuis longtemps par la Cour régionale des comptes de La Réunion et Mayotte qui dénoncent rapport après rapport mal gestion, abus, incompétences et dysfonctionnements. En avril, Emmanuel Macron en visite à Mayotte avait demandé que les arriérés dus à de nombreuses entreprises soient réglés en urgence. Paris a sorti le chéquier une nouvelle fois mais ce règlement partiel effectué deux mois plus tard en juin n’a pas bénéficié à tous. 

La ministre de l’Éducation nationale interpellée 

Ici ce sont 120 emplois qui sont menacés et autant de familles qui sont privées de revenus essentiels, aggravant une crise sociale déjà profonde dans l’île aux parfums. « Et pourtant, nos salariés sont tous les jours sur le terrain. Ils se dévouent à leur mission, conscients du caractère vital de celle-ci. Ce sont aussi leurs enfants, leurs femmes et leurs familles qui prennent ces bus ». Faute de règlement depuis le début de l’année, l’entreprise RSP Sécurité n’est plus en capacité de régler les salaires depuis avril. « Nous sommes fiers d’être indirectement des acteurs du service public de l’Éducation nationale mais nous avons besoin que l’État vienne aussi nous soutenir » poursuit Stéphane Labache qui a alerté le cabinet de la ministre de l’Éducation nationale avant sa visite ce lundi 18 août ainsi que le rectorat de Mayotte. « Je sais que les services de l’État sont mobilisés, des Préfectures de Mayotte et de La Réunion, à la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS) en passant par la Direction régional des finances publiques (DRFiP). Il y a 120 emplois en jeu mais aussi la sécurité de nos concitoyens, en particulier des plus jeunes ». « La rentrée à Mayotte est le 25 août, il est essentiel que cette situation prenne fin », déclare un parent d’élève. « Mon fils ne peut pas prendre le bus scolaire et emprunte le réseau de l’agglomération comme d’autres. Il faudrait donc vivre dans la peur chaque matin ? »

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Stéphane Labache a mobilisé depuis plusieurs mois un cabinet d’avocats à Paris et a engagé une procédure devant le tribunal administratif de Mayotte qui mettra la collectivité dirigée par Saidi Moudjibou, président de la Cadema, réélu en juillet, face à ses responsabilités à quelques mois des municipales. « Nous avons initié un référé pour faire exécuter le règlement des prestations. Face au silence de la Cadema nous avons été contraints à faire ce recours. Un accord avec la Cadema est toujours possible, » déclarent Maître Niels Bernardini et Maître Renaud Garrouste, avocats de RSP Sécurité, « mais là il est urgent de cesser de jouer avec la vie et la sécurité des gens, en contribuant à une haute tension déjà palpable ». Des mots aux actes, les avocats parisiens pourraient venir à Mayotte, selon nos informations, dès la semaine prochaine. 

Finances publiques, crise sociale, insécurité : l’irresponsabilité des élus locaux 

« Pour les élus locaux, c’est facile : ils jouent l’irresponsabilité et laissent l’État payer. Derrière ces contrats non respectés et ces impayés pour les écoles ou ici un marché de sécurité, il y a des intérêts moratoires qui peuvent être colossaux. Ils laissent filer et faute de règlement de leur collectivité, ils savent que Paris finira par créditer des budgets exceptionnels. Qu’ils se moquent du cadre légal et des finances publiques est une chose, qu’ils se fichent de la sécurité des familles en est une autre », analyse un entrepreneur mahorais victime de ces impayés dans le BTP. 

Déni, silence ou délai sine die de Saidi Moudjibou

Du côté de la Cadema et de son président Saidi Moudjibou, le silence règne. Au mieux on ne sait pas, au pire on annonce un paiement dans… deux ou trois ans. Le dernier président de la Cadema, Rachadi Saindoux, jugé pour des faits de détournement de fonds public, recels et prise illégale d’intérêt, a été condamné en 2024 à deux ans de prison dont un avec sursis et 50.000 euros d’amende ainsi qu’à une peine d’inéligibilité de deux ans et une interdiction d’exercer une fonction publique de quatre ans.



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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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