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Benoit XVI, pape avec frontières


Restée seule organisation planétaire hiérarchisée depuis la déconfiture de l’Internationale communiste, l’Eglise catholique est soumise à des mouvements tectoniques souterrains, conséquences de ses luttes idéologiques internes.

Dans ces jeux de forces, la personnalité et les conceptions du chef suprême, le Pape, sont des éléments-clé de l’évolution de l’ensemble. Certes, l’église catholique universelle est une sorte de gros tanker qui ne fait pas demi-tour par une simple manœuvre du gouvernail. Cependant les impulsions venues de Rome ne sont pas sans effets sur son orientation, et le Pape dispose aujourd’hui d’une « force de frappe » médiatique inégalée dans l’univers religieux, et même politique.

Pour comprendre les ressorts de l’action de Benoît XVI, ci-devant Joseph Ratzinger, il n’est pas inutile de le replacer dans son terroir d’origine, l’Allemagne, et plus précisément la Bavière, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

Les relations entre l’Eglise et l’Etat, dans ce Land majoritairement catholique, sont régies par le Concordat de 1924 entre l’Etat libre de Bavière et le Vatican. L’Etat finance le culte et rémunère son clergé, l’enseignement religieux est obligatoire dans les écoles publiques, les crucifix trônent dans les tribunaux et Rome désigne les évêques des sept diocèses bavarois à partir d’une liste de trois candidats proposés par le gouvernement provincial.

Cela ne signifie pas, pourtant, que l’Eglise et l’Etat soient en telle symbiose que la démocratie bavaroise puisse être considérée comme une théocratie à visage humain.

La juste répartition entre ce qui revient à Dieu et ce qui revient à César, en Bavière, remonte au début du 19e siècle, quand un ministre réformateur du royaume, le comte de Montgelas (1759-1838), d’origine savoyarde, laïcisa l’administration, déposséda les abbayes de leurs biens fonciers au profit des paysans, accorda un statut égal aux protestants et aux juifs. Ce libéralisme bavarois, ce « vivre et laisser vivre », mot d’ordre toujours en vigueur dans la bourgeoisie de Munich, s’est perpétué jusqu’à nos jours. Benoît XVI n’a aucun problème avec cette séparation du religieux et du politique, il en a même nourri sa réflexion théologique et en a tiré les conséquences pastorales. Il fut archevêque de Munich en 1977, à l’époque où le ministre-président Franz-Josef Strauss tenait d’une main de fer le gouvernement provincial, à la tête d’un parti à référence chrétienne, la CSU. Jamais l’archevêché ne put empêcher Strauss d’approuver des mesures comme la libéralisation de l’avortement, décidée au niveau fédéral et appliquée, avec réticences certes, mais appliquée tout de même en Bavière. Les relations avec un parti dominant qui se réclame du christianisme ne sont bien souvent pas plus simples, pour la hiérarchie catholique, que les affrontements rituels avec des adversaires anticléricaux…

Par ailleurs, le théologien Ratzinger a pu observer, dans son pays les effets des courants « modernistes » de l’église qui pratiquaient vis-à-vis des luthériens, l’autre grande force chrétienne allemande, un œcuménisme sans rivages et, à ses yeux, sans principes. On en était arrivé, dans les années 80 au point où, dans un très grand nombre de paroisses catholiques d’outre-Rhin, les curés vivaient en concubinage ouvert, avec la bénédiction et l’approbation de leurs ouailles…

Contrairement à son prédécesseur, Ratzinger n’est pas un pape politique dont l’objectif est la victoire sur l’incroyance par la mise en mouvement des masses plus ou moins sommairement catéchisées.
La restauration du dogme, l’accent mis sur la formation théorique et morale d’un clergé conscient de sa mission et de sa responsabilité, et le mépris affiché pour ceux qui voudraient faire de l’Eglise catholique une vaste ONG humanitaire, voilà les piliers de sa pensée et de son action. En cela il se rapproche plutôt de feu Jean-Marie Lustiger, dont la gestion pastorale du diocèse de Paris fut tout sauf laxiste…

La laïcité à la française n’a donc rien à redouter d’un pape qui voit dans l’intervention des clercs dans la vie politique un risque de corruption morale de ces derniers. À ses yeux, ces intrusions dans les affaires terrestres ne peuvent que désarmer les soldats de la foi. Pour le reste, c’est l’affaire des catholiques, dont je ne suis pas, de s’accommoder ou non de la forme de religion austère et rigide que leur prêche aujourd’hui leur guide suprême.



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