Outre-Manche, les critiques contre la police proviennent désormais aussi de la droite. Les conservateurs dénoncent depuis plusieurs mois le “two-tier policing”: deux poids, deux mesures, et zéro crédibilité… Un rapport parlementaire accablant pour la police de Birmingham concernant la prétendue mauvaise réputation des supporters de football de Tel-Aviv est d’ailleurs venu récemment apporter de l’eau à leur moulin.
Dans un article du 29 octobre, Causeur a attiré l’attention de ses lecteurs sur l’affaire du match entre Aston Villa et Maccabi Tel Aviv qui devait avoir lieu le 6 novembre, à Birmingham. Il s’agit de la deuxième ville du Royaume Uni dont certains quartiers sont dominés par une population musulmane issue de l’immigration pakistanaise. La police de la région, la West Midlands Police (WMP), citant les violences qui avaient eu lieu à Amsterdam lors du match entre Maccabi et Ajax le 7 novembre 2024, avait décidé que les supporteurs du club israélien constituaient une menace pour l’ordre public et qu’aucun billet ne devait donc leur être attribué. Ce refus, qui semblait motivé par le seul désir d’attirer les bonnes grâces de la communauté musulmane locale, a scandalisé jusqu’au gouvernement travailliste de Sir Keir Starmer. Avant qu’un bras de fer ne s’engage entre la WMP, qui jouit d’une autonomie opérationnelle selon la doctrine en vigueur outre-Manche, et les autorités centrales, le club israélien a renoncé à toute allocation de billets à cause de l’« atmosphère toxique » qui entourait désormais la rencontre. Le match, pour lequel la WMP a mobilisé 700 policiers, a eu lieu sans aucun incident grave.
Suite sans fin
Or il s’avère aujourd’hui que le rapport sur lequel la WMP fondait sa décision était truffée d’erreurs factuelles. Telle est la conclusion des audiences organisées par la Commission des affaires intérieures de la Chambre des communes (Home Affairs Committee) qui a interrogé le chef de la WMP, Craig Guildford, et le conseiller indépendant du gouvernement sur l’antisémitisme, John Mann, membre de la Chambre des Lords. Parmi les erreurs du rapport :
- A Amsterdam, les fans de Maccabi Tel Aviv auraient arraché des drapeaux palestiniens le jour du match. En fait, un seul drapeau a été arraché la veille.
- A Amsterdam, il y aurait eu de nombreux incidents avec des chauffeurs de taxi. Il y en a eu un seul.
- Les supporteurs israéliens auraient jeté des citoyens innocents dans la rivière. En fait, c’est un supporteur israélien qui a été jeté à l’eau par des Néerlandais propalestiniens qui l’auraient sommé de crier « Free Palestine » s’il voulait regagner la berge.
- La police néerlandaise aurait décrit les supporteurs du club israélien comme des « combattants » organisés de manière « militariste » dont l’objectif était de se battre avec la police. Les Néerlandais ont nié avoir fait une telle description.
- La police néerlandaise aurait été obligée de déployer 5 000 agents pour maintenir l’ordre. En réalité, il n’y en avait que 1 700. (Je suis tombé moi-même dans le panneau, citant le chiffre de 5 000 dans mon article : mea maxima culpa).
- Il y aurait eu des violences lors d’un match entre Maccabi et le club londonien West Ham en 2023. Un tel match n’a jamais eu lieu.
Ce match purement fictif avait été repéré par la WMP après avoir fait des recherches sur les réseaux sociaux. Quand les forces de l’ordre reprennent des fake news propagées par des internautes, c’est qu’il y a un problème très grave. Il semble évident que la WMP voulait interdire les fans israéliens et cherchait n’importe quel prétexte pour justifier sa décision. Qu’est-ce qui arrive à la police anglaise ?
De la fierté à la honte
A une époque, qui semble aujourd’hui appartenir à un passé lointain, les Britanniques se disaient fiers de leur British Broadcasting Service (BBC), un vaste réseau de médias d’État, plutôt neutres et fiables, dont l’influence s’étendait – et s’étend encore – à travers le monde. Le mirage de la fiabilité a été dissipé par de nombreuses affaires dont la plus récente est celle du faux montage du discours tenu par Donald Trump le 6 décembre 2021. De la même façon, les Britanniques se disaient fiers de leurs forces de l’ordre. Le policier local, le « bobby » (surnom dérivé du nom de l’homme politique conservateur, Robert Peel, qui a créé la police londonienne en 1829) incarnait un modèle de service public et de courage héroïque, lui qui normalement ne portait pas d’arme à feu. Les détectives de Scotland Yard (métonymie dérivée de l’adresse du premier quartier général à Londres – rien à voir avec l’Écosse !) étaient à la pointe de toutes les nouvelles techniques de la traque des criminels. Certes, les exemples de l’héroïsme traditionnel ne manquent pas dans le passé récent. En mars 2017, lors de l’attentat islamiste du pont de Westminster et du Parlement, où un djihadiste utilisant une voiture et un couteau a fait cinq morts et 48 blessés, un policier sans arme s’est sacrifié en affrontant l’assaillant avant que ce dernier ne soit abattu par un collègue armé. Trois mois plus tard, lors de l’attentat du pont de Londres où trois djihadistes armés de couteaux et d’une camionnette ont fait huit morts et 48 blessés, quatre policiers sans armes, dont certains n’étaient pas en service à ce moment-là, n’ont pas craint de faire face aux meurtriers enragés. Pourtant, ces exemples remarquables n’ont pas pu sauver la réputation des forces de l’ordre britanniques qui sont accusées aujourd’hui d’incohérence dans leur politique de maintien de l’ordre, ou de ce qu’on appelle « two-tier policing ». Quel est le sens précis de ce néologisme ?
Depuis des années, la police britannique, comme celle de la France, fait l’objet d’accusations de racisme et de sexisme en provenance de la gauche. Mais de nouvelles critiques sont formulées par la droite, surtout la droite populiste dont la figure de proue est Nigel Farage, le chef du parti Reform UK. Le terme « two-tier policing » ou le maintien de l’ordre « à deux vitesses » ou « deux poids, deux mesures », tel qu’il est utilisé par ces accusateurs, désigne une tendance chez les forces de l’ordre à faire preuve d’indulgence face aux manifestations et actions de contestation organisées par la gauche et des groupes musulmans, et à faire preuve de sévérité face aux événements équivalents organisés par la droite et des groupes patriotiques. Un des premiers exemples de cette tendance serait le laxisme de la police au moment des manifestations Black Lives Matter en mai et en juin 2020, au lendemain du meurtre de George Floyd. Certaines de ces actions ont eu lieu en dépit des restrictions imposées par le gouvernement dans le contexte de la pandémie du Covid. Les forces de police n’ont rien fait pour les empêcher. En revanche, les choses se sont passées différemment en mars de l’année suivante, quand les restrictions sont de nouveau en place. Après l’enlèvement et l’assassinat d’une femme, Sarah Everard, par un policier, Wayne Cousins, dont l’arrestation et la condamnation ont révélé toute une histoire d’agressions sexuelles que sa hiérarchie aurait ignorée, des femmes ont tenu une veillée dans un parc londonien. Cette fois, la police s’est montrée implacable concernant les restrictions et a traité les participantes – majoritairement blanches – avec une brutalité honteuse.
Le non-sens des priorités
À la vague de folie wokiste de 2020 à 2022 succède, après le 7 octobre 2023, celle de la folie en keffieh. Cette nouvelle vague, qui n’est que le prolongement de la première, voit se multiplier de grandes manifestations anti-israéliennes dans les principales villes du pays, que la ministre de l’Intérieur de l’époque, Suella Braverman, a qualifiées de « marches de la haine ». La police aurait pu interdire ces manifestations grâce à son « indépendance opérationnelle » mais elle n’en a interdit aucune, malgré l’atmosphère d’insécurité que ces marches ont créée pour les Juifs britanniques. Lors des émeutes qui ont suivi l’attentat de Southport en juillet 2024, où Axel Rudakubana, 17 ans, le fils d’immigrés rwandais, a tué trois petites filles et blessé dix personnes, la police et la justice ont réagi avec une grande sévérité. On peut toujours débattre de la proportionnalité de la réaction dans tel ou tel cas, mais ce qui a choqué une section du public, c’était une vidéo montrant la police qui parle amicalement avec une bande de musulmans armés de clés et de marteaux prétendument pour défendre leurs lieux de culte. Sévérité plus qu’exemplaire d’un côté, indulgence de l’autre. Un autre élément est venu renforcer cette idée, car outre-Manche la police consacre des ressources disproportionnées au maintien de l’ordre sur les réseaux sociaux. De nombreux citoyens ont été interrogés voire arrêtés par la police suite à des publications qui auraient offensé d’autres internautes. Parmi eux, des personnalités publiques comme la journaliste conservatrice Allison Pearson, qui a reçu une visite surprise de la police un dimanche matin, un an après un post sur X au lendemain du 7-Octobre. Ou l’humoriste et scénariste irlandais, Graham Linehan, arrêté à l’aéroport de Londres pour des posts critiques à l’égard de l’idéologie transgenre. Pourtant, le taux de résolution de crimes des différentes forces de police régionales est en chute libre depuis 2015.
Comment les forces de l’ordre en sont-elles arrivées là ? Il s’agit d’une réaction désespérée aux critiques venant de la gauche qui, il faut l’admettre, ont souvent visé juste. Mais cette ouverture aux sirènes des idéologies les plus wokistes est enracinée dans la formation même des policiers. Un nouveau programme de formation pour les candidats ne possédant pas déjà un diplôme universitaire a été créé en 2018 et généralisé à toutes les forces de l’ordre en 2020. Cette formation est fondée sur une alternance entre le travail pratique sur le terrain et des cours dispensés par les départements de sciences humaines des universités. Il s’agit bien entendu des départements les plus à gauche qui promeuvent sans cesse des idéologies militantes à peine déguisées en disciplines universitaires. C’est là que, en toute probabilité, les apprentis policiers imbibent la théorie critique de la race, les études queer et la théorie décoloniale, ainsi que des concepts comme le privilège blanc, le colonialisme de peuplement et la fluidité de genre…
La tragédie de la police britannique, comme celle de la BBC, repose sur la diffusion de cette vision manichéenne du monde qui sépare les bons des méchants, non selon les anciens critères d’honnêteté, d’impartialité et d’humanité, mais selon ceux d’une doctrine politique portée par une minorité d’intellectuels et d’activistes et rejetée par la majorité des citoyens.




