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«Mère empoisonneuse» de Dax: ce témoignage qui ébranle l’accusation

Les Landes face à une affaire digne d’un roman noir


«Mère empoisonneuse» de Dax: ce témoignage qui ébranle l’accusation
Forêt landaise. Image d'illustration. DR.

Au terme de la première semaine du procès de la mère, Maylis Daubon, 53 ans, présumée empoisonneuse de ses deux filles, qui s’est ouvert lundi dernier devant la cour d’assises Landes, à Mont-de-Marsan, un sérieux doute s’est installé sur son éventuelle culpabilité sans pour autant convaincre de son innocence.


Dès lors, pour les six membres du jury, qui doivent rendre en principe leur verdict mercredi prochain, se faire une intime conviction se complique sérieusement au point de leur poser très probablement un cas de conscience digne de Corneille… C’est qu’au quatrième jour d’audience, vendredi, un témoignage est venu sérieusement ébranler l’accusation.

La cadette convaincue de l’innocence de sa mère

Appelée à déposer en qualité de témoin et non de victime, la propre fille de l’accusée, la cadette, Lau, la survivante des deux, aujourd’hui une jeune de femme de 23 ans, étudiante en 3ème année de biologie, élégante, maître de soi, lunettes à grosses montures, abondante chevelure brune frisée lui tombant sur les épaules, l’a innocentée avec conviction.

« Je sais que ma mère n’est pas coupable de ce qu’on lui reproche », a-t-elle déclaré d’une voix sûre en s’adressant à la présidente Emmanuelle Adoul. Juste avant de réitérer devant le tribunal ce qu’elle n’a jamais cessé d’affirmer tout au long de l’instruction, elle avait souligné avec une pointe d’émotion retenue : « Cela fait six ans que j’ai perdu ma sœur, quatre que je n’ai pas vu ma mère ».

À l’allégation formulée à la barre et à maintes reprises dans la presse par son père, Yannick Reverdy, 49ans, un colosse ancien international de handball, présent sur le banc de la partie civile, selon laquelle elle serait sous l’emprise de celle-ci, et qu’il espérait que ce procès lui ouvre les yeux, sa réponse a été cinglante : « Ça me rend triste et en même temps ça me fait rire. »

En outre, visiblement, la médiatisation dont a bénéficié son père (qui, en effet, pose une vraie question de déontologie journalistique NDLA) lui est restée en travers la gorge. Il s’est porté partie civile alors qu’elle s’y est farouchement refusée bien qu’elle aurait pu. Un examen toxicologique, au moment du décès de sa sœur Enéa, de deux ans son ainée, le 19 novembre 2019, avait décelé la présence d’une mixture médicamenteuse, pas létale, dans ses flux et cheveux.

Menteuse pathologique 

Dans ses déclarations à la presse, le père a toujours pris la posture de victime. Il s’est séparé de son épouse il y a 16 ans, lorsque Lau avait 7 ans. Les deux filles avaient choisi de rester vivre avec la mère. Dans un récent entretien à Sud Ouest, le quotidien de Bordeaux, il a dit être un « homme abîmé » par l’empoisonnement de ses filles et aussi avoir été la cible d’un « assassinat moral » de la part de son épouse qu’il a accusée de « menteuse pathologique ». Elle comparait en outre pour avoir commandité son exécution auprès de codétenues libérables de la prison de Pau où elle est détenue depuis 2022. L’accusation repose sur les dires de ces dernières. Du procès en cours, M. Reverdy attend enfin « une reconnaissance de sa culpabilité ». Et si sa seconde fille a choisi le parti de la mère, c’est qu’elle sa subi « un lavage de cerveau pendant des années ».

A relire: Suicide ou assassinat? Le dilemme du procès de «la mère empoisonneuse»

À une question de la présidente sur son enfance, celle-ci a répondu : « J’ai eu une enfance très heureuse, au final… surtout quand j’ai arrêté d’aller voir mon père. (…) J’ai vu mon père casser la gueule à ma mère. (…) Mon père était quelqu’un de très violent, soit physiquement, soit mentalement. »

Pour elle, il ne fait aucun doute qu’Enéa, dépressive chronique, s’est suicidée. Il est inconcevable que leur mère les ait empoisonnées. « Enéa, c’est l’amour de ma vie. J’ai perdu mon double, » a-t-elle conclu sa déposition. Quand elle s’est retirée de la salle d’audience, pleine à craquer comme les jours précédents, sa mère s’est levée alors que jusque-là elle restait assise, prostrée sur le banc du box des accusés, et lui a lancé : « Il faut que tu avances. Je t’aime. Tu es une belle femme. »

Êtes-vous libre de parler ou gardez-vous un secret par solidarité ? 

Avant elle, avait été appelé à déposer par visioconférence, depuis la cour d’appel d’Orléans, son petit-ami de l’époque, Mayveen, un moustachu de 25 ans. Ils étaient les deux seuls présents dans le modeste pavillon de la périphérie de Dax quand Enéa a eu, ce matin du 13 novembre 2019, sa crise de convulsions et son arrêt cardiovasculaire qui lui a coûté la vie six jours plus tard. A l’ouverture de l’instruction, les deux avaient été mis en examen pour complicité d’empoisonnement puis rapidement mis hors de cause. C’est lui qui, étant monté à l’étage avait découvert dans sa chambre la future défunte en pleine crise, bave à la bouche. Il était arrivé un peu plus tôt en début de matinée, l’avait vu boire son café au lait puis retourner se coucher… La mère était absente du domicile. C’est Lau qui l’alertera, elle accourut et appela les pompiers qui a leur tour alerteront le SAMU vu la gravité de l’état de l’assistée. A 8h30, l’infirmier était venu prodiguer à Enéa son traitement quotidien et n’avait rien remarqué d’anormal chez elle.

Mayveen a commencé sa succincte déposition en disant qu’il « ne (savait) pas quoi dire ». Sauf que « c’était un peu sa meilleure amie ; ma petite sœur ». La présidente lui demande alors : « Êtes-vous libre de parler ou gardez-vous un secret par solidarité ? ». Sa réponse est laconique : « Vous savez, ça date, je n’ai pas trop de souvenirs. »

La veille, deux amies d’Enéa, toutes les deux prénommées Juliette, toutes les deux vêtues de noir, avaient, elles aussi, déjà déposé en faveur de l’accusée. D’après elles, la victime avait des « idées noires » qui l’ont conduite à se suicider. D’ailleurs, elle aurait fait plusieurs tentatives, leur avait-elle confié. À l’ouverture de l’enquête, elles avaient écarté cette éventualité. Mais avec le temps, elles s’en sont convaincues.

La similitude dans la teneur de leurs propos qui laisse supposer qu’elles se sont concertées a irrité la défense du père.  « Pourquoi vous organisez-vous tous pour nous faire gober cette théorie du suicide ? », les interpelle-t-il en donnant de la voix, son avocat Me Victor Font suggérant qu’elles aussi seraient sous l’emprise de l’accusée. L’une d’elle lui réplique, avant de pleurer : « Je suis vraiment choquée par ce que vous venez de dire ». Sa camarade ajoute, elle aussi en larmes : « je suis là pour livrer ma vérité, qui est la vérité. »

En revanche, de son côté un pompier avait affirmé auparavant que lorsqu’ils sont arrivés, ils avaient ressenti comme une atmosphère étrange. Dans les cas de suicides, a-t-il expliqué en substance, on trouve toujours quelque chose, une boite de médicaments, un message laissé, là rien, comme si un ménage avait été fait préalablement, ce qui les a amenés à saisir la police qui dès les premières constations a ouvert une procédure pour soupçon d’empoisonnement.

Intime conviction

Quoi qu’il en soit, lundi matin, à la reprise des audiences, une seule certitude était acquise : Enéa a bien succombé à une surdose de propranolol, un bêtabloquant cardiaque. D’après l’experte en toxicomanie, au moins deux heures avant sa crise, elle en a ingurgité entre 50 et 75 cachets. Mais aucun indice tangible ne permet de déterminer si c’est elle qui les a ingérés ou si c’est la mère qui les lui a fait absorber.

Dès lors, on se demande sur quoi l’avocat général pourra se fonder pour requérir une éventuelle condamnation de Maylis Daubon, si ce n’est sur des déductions.

Quant à elle, elle va avoir à s’expliquer lors de son audition sur les raisons pour lesquelles elle détenait un stock impressionnant de boites de propranolol alors qu’elle avait dans un premier temps nié en posséder, sur le recours à des ordonnances truquées et sur ses 83 passages en pharmacie pour se les procurer. Si ce n’est, comme l’ont déduit les enquêteurs, pour empoisonner méthodiquement ses deux filles.




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écrivain et journaliste français.

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