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Milady, femme libre

Adelaïde de Clermont-Tonnerre publie « Je voulais vivre » (Grasset, 2025)


Milady, femme libre
La romancière Adelaïde de Clermont-Tonnerre photographiée en 2025 © BALTEL/SIPA

Adelaïde de Clermont-Tonnerre tente de réhabiliter l’image de l’odieuse Milady.


Alexandre Dumas a créé, à partir d’un personnage réel, une héroïne maléfique, synonyme de méchanceté, de perversion, de manipulation psychologique, bref une femme fatale, belle comme le jour qui nait, mais capable de trahir et tuer pour parvenir à imposer sa destinée.

Pari iconoclaste

Les hommes, comme les femmes, malgré son visage angélique et ses boucles blondes, furent ses victimes expiatoires. Le premier d’entre eux se nomme d’Artagnan, le valeureux mousquetaire, frappé mortellement à la tête au siège de Maastricht en 1673. Milady, puisque c’est d’elle dont il s’agit, l’avait séduit, et avait réussi à se débarrasser de sa compagne, la douce Constance, confidente de la reine Anne d’Autriche, morte dans les bras du valeureux mousquetaire. Cette sorcière shakespearienne, aux identités rapprochées multiples, séductrice compulsive, vaguement espionne, en fuite depuis l’enfance, parvint même à être l’amie de Richelieu, s’imposant dans les coulisses du pouvoir, territoire réservé aux mâles en épée. Tout cela est raconté de manière flamboyante, sans temps mort, dans Les Trois Mousquetaires, roman à la construction impeccable.

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre a tenté un pari iconoclaste, et pour tout dire un peu fou. Elle s’est emparée de ce personnage de fiction, passé à la postérité pour ses défauts et non ses qualités, même si le mal, on le sait, peut exercer une fascination coupable, et a décidé de le réhabiliter en montrant la face cachée de Milady. Elle ne réécrit pas le roman de Dumas, ce qui serait un sacrilège, mais elle nous donne les raisons qui ont poussé cette figure emblématique de la littérature à agir de la sorte. Elle fait entendre « sa voix de femme au temps des hommes. » Pari un peu fou, mais réussi. L’auteure nous permet de suivre le parcours incroyable de Milady, avant Milady. Le point de bascule étant quand son tuteur, le père Lamandre, rend l’âme. La jeune fille doit quitter le couvent où elle avait trouvé refuge à l’âge de six ans. Une longue errance commence alors, où chaque jour est synonyme de combat. Une très belle scène éclaire la personnalité méconnue de Milady, qui se nomme encore Anne. Le chat de Lamandre, Grisou, vient de mourir. Il n’a pas survécu à la mort de son maître. Adélaïde écrit : « La jeune fille lui confectionna un tombeau de bois et de pierre dans la forêt (…). L’idée de la décomposition de Grisou, des vers et des pourritures qui devaient attaquer son pelage, lui rappelait la décomposition d’autres êtres aimés : sa mère, sa nourrice, son père disparu, son mentor tout juste enterré. » La femme qui fait l’amour dans le noir car marquée au fer rouge, cette mère qui doit protéger son enfant, l’élever seule, tout en voulant respirer l’air de la liberté, ne dévoilant jamais sa nature profonde, cette femme aux fioles, condamnée à mort à vingt-cinq à peine, par dix hommes, dont d’Artagnan qui n’est pas le moins véhément, méritait bien qu’on la réhabilitât. D’autant plus que ce roman enlevé, habilement agencé, se lit comme s’il s’agissait d’une suite écrite par Dumas, ce qui n’est pas rien.

Pas un scandale

Aux fâcheux qui crient au scandale en vitupérant contre Adélaïde de Clermont-Tonnerre et son entreprise romanesque, il convient de citer cette dernière s’adressant à Dumas : « Autre temps, autres mœurs. Je ne révise pas. Je n’accuse pas non plus. Je me glisse dans les blancs de ton texte, dans les angles morts, et j’invite ceux qui, comme moi, sont épris de justice à ouvrir les yeux et les oreilles. »

Pour notre plus grand plaisir de lecture.

Adelaïde de Clermont-Tonnerre, Je voulais vivre, Grasset. 480 pages




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Pascal Louvrier est écrivain. Derniers ouvrages parus: biographie « Malraux maintenant », Le Passeur éditeur; roman « Portuaire », Kubik Editions.

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